Anticiper la transmission de son cabinet pour maximiser ses chances de réussite

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Comment préparer la transmission de son cabinet d'expertise comptable ? Charles-Henri Cussac, avocat au sein du cabinet Odinot & Cussac, partage son expérience sur le sujet et formule plusieurs recommandations.

D'après votre expérience, quelle est la clé d'une transmission de cabinet d'expertise comptable réussie ? 

L'anticipation. Une transmission, c'est une course de relais. Pour qu'elle fonctionne, il faut que tout le monde soit en mouvement : celui qui tend le relais bien sûr, mais aussi celui qui le reçoit. Pour cela, la clé est de s'y prendre tôt, au moins 5 ans avant la date de départ envisagée. 

En gérant la transmission au dernier moment, on réalise souvent une « cession sèche » : la cession dans un temps très court d'une clientèle, d'un fonds libéral ou de parts de société. C'est une option qui entraîne souvent le départ de collaborateurs ou de clients, car par définition ils ont été insuffisamment préparés à ce changement.

Je recommanderais aussi aux experts-comptables de bien s'entourer. Ils côtoient généralement des avocats qui pourraient les accompagner dès la conception du projet, très en amont. Bien sûr, sur le plan technique, les professionnels du chiffre connaissent les processus de transmission. Or cette période est trop chargée émotionnellement pour la gérer soi-même : dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, les cordonniers sont les plus mal chaussés.

Quel schéma de transmission recommandez-vous à 5 ou 10 ans de la cession ? 

Avec quelques années d'anticipation, la meilleure solution est sans doute de se rapprocher d'une structure existante, cabinet, réseau ou groupement. Concrètement, cette structure prend alors une participation minoritaire dans le cabinet, de l'ordre de 10 à 20%, et s'engage à racheter le restant dans les 5 années qui suivent, selon une méthode d'évaluation fixée à l'avance. Dans l'intervalle, le cabinet qui sera repris affiche déjà les couleurs du repreneur. Contrairement à une idée reçue, il est possible de faire ce type d'opération sans rien perdre de son autonomie de décision.

Quels sont les avantages de ce rapprochement anticipé ?

Tout le monde y gagne. Le repreneur bénéficie tout de suite des avantages d'une nouvelle structure pour 10 à 20% du prix et un complément différé. Cela peut permettre d'accroître son maillage territorial ou de disposer de nouvelles compétences par exemple.

Le cédant, quant à lui, se place dans une toute autre dynamique que celle de la cession sèche. En effet, tout ce qui peut être amélioré au sein du cabinet maximisera le futur prix de vente. Il est donc fortement incité à continuer à investir, former ses équipes, améliorer les process,... et ce jusqu'au dernier moment.

Ce type de transmission donne aussi de la visibilité aux équipes et aux clients, et limite donc les départs. Autre avantage de taille, l'audit d'acquisition et la garantie d'actif et de passif n'ont plus lieu d'être dans cette configuration, car le repreneur est associé depuis des années au moment de la transmission.

Quelles sont les autres modalités de transmission que peut utiliser un expert-comptable ? 

Si on anticipe encore davantage l'opération, on peut prévoir la transmission à un collaborateur, que l'on ferait progresser sur plusieurs années. En pratique, il s'agit d'organiser une cession progressive des parts, ou des augmentations de capital, voire des attributions gratuites d'actions. La mise en place d'un pacte d'associés, avec une clause de liquidité, permet de sécuriser le tout.

On est dans un temps beaucoup plus long, mais en bout de course, la transmission se fait très naturellement : le cédant a présenté son successeur progressivement, et les collaborateurs ont eu le temps de s'habituer à ses méthodes de travail par exemple.

J'évoquerais aussi le cas de la reprise familiale, qui fait appel à des montages juridiques tout à fait différents, puisqu'il sera plutôt question ici de donations partage ou de pacte Dutreil.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées durant la phase de négociation ? 

Tout d'abord, le cédant comme le cessionnaire doivent éviter de trop se focaliser sur le prix. Les fourchettes de valorisation de la profession sont connues, les ordres de grandeur sont donc en général partagés. Dans le détail, le vendeur a souvent un prix psychologique en tête, qui pour lui correspond au travail d'une vie. Pour éviter tout blocage, il faut donc laisser le temps aux deux parties de bien se connaître, et de parler de « l'après-cession ». En discutant des projets du repreneur et du cédant, on ouvre la discussion.

La garantie d'actif et de passif peut aussi faire l'objet d'intenses discussions. En ce moment, les vendeurs sont dans une telle position de force qu'on voit régulièrement des cessions de cabinets sans la moindre clause de ce type.

Autre point délicat, les modalités éventuelles d'accompagnement du cédant. Du côté du repreneur, il est souvent difficile d'imprimer sa marque si l'ancien dirigeant est, d'une façon ou d'une autre, toujours dans les murs. Du côté cédant, c'est le contraire : certains peuvent avoir du mal à accepter que le nouvel arrivant remette en cause des habitudes et méthodes de travail bien ancrées. Encore une fois, c'est tout l'intérêt d'anticiper la transmission.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.