#LesMoulinsEC : impacts sur les ressources humaines

Article écrit par (317 articles)
Modifié le
1 876 lectures
Dossier lu 44 562 fois

Sixième épisode de notre série d'articles sur la dernière étude des Moulins, « Quels métiers demain ? ». Après avoir dressé un état des lieux de la profession, et défini l'impact de la transformation numérique sur l'activité des cabinets, le think tank s'intéresse aux impacts sur les ressources humaines.

L'automatisation aura immanquablement un impact lourd sur les tâches et sur la façon de travailler des collaborateurs et des experts-comptables. Car si les destructions de postes ne seront certainement pas aussi importantes qu'on l'avait imaginé dans un premier temps, les postes de demain vont profondément évoluer.

Téléchargez gratuitement la 3ème étude #LesMoulinsEC « Quels métiers demain ? »

La création destructrice d'emplois

La transition numérique détruit certes certains emplois, mais pas tant que ça. Son impact n°1 est de les modifier. In fine, la profession devra faire face à des tâches qui vont disparaître (la saisie des documents, le traitement des factures...) et des tâches qui vont apparaître (la gestion des flux numériques, les activités liées au traitement et à l'analyse des données...). Sans oublier naturellement, et ce sont sans doute les plus nombreuses, toutes celles qui vont être transformées. L'impact de l'automatisation sur la profession sera lourd (rappelons que les tâches de production sont à l'origine de l'écrasante majorité du chiffre d'affaires des cabinets). Il est donc urgent pour la profession de s'interroger sur les activités de demain, c'est-à-dire sur les nouvelles tâches à développer.

Les professionnels interrogés par l'OMECA, dans le cadre de son baromètre emploi-formation [1], semblent partager ce constat que l'impact sur le niveau de l'emploi dans la profession restera limité. Quelle que soit leur taille, les cabinets interrogés sont en effet très majoritaires à estimer que l'évolution numérique aura un impact nul ou positif sur le nombre de salariés au sein de leur entreprise dans les années à venir. Si l'impact principal n'est pas quantitatif, il est donc qualitatif.

L'obsolescence programmée des compétences

L'automatisation conduit à une obsolescence accélérée des compétences techniques (20 ans de durée de vie il y a quelques années, contre 12 à 18 mois pour certaines aujourd'hui, selon l'OCDE). Qu'est-ce que cela signifie ? Tout simplement que le temps gagné sur l'automatisation des tâches de production devra être mis à profit dans les cabinets pour former leurs collaborateurs à ce nouveau type de compétences, ce qui leur permettra ensuite de prendre en charge au sein du cabinet de nouvelles missions d'accompagnement. Car l'accompagnement nécessite justement de telles compétences plus « comportementales » que techniques.

L'élévation du niveau des emplois

L'automatisation a pour conséquence d'augmenter le niveau de gamme des prestations proposées par une entreprise. En effet, dans la mesure où l'entreprise réalise ses prestations historiques par le biais de logiciels, elle cherche à développer de nouveaux services, à plus forte valeur ajoutée, pour fidéliser les clients et maintenir son chiffre d'affaires.

Le passage de compétences techniques à des compétences plus comportementales et plus transverses a donc pour corollaire une complexification du travail, face à laquelle des compétences transverses sont requises : capacité à travailler en équipe, à gérer un projet, à communiquer avec ses collègues, ses clients ou ses fournisseurs. Les compétences numériques générales sont aussi requises comme savoir naviguer dans un menu informatique et comprendre la nécessité de rentrer des données fiables, vérifiées.

Au-delà de cette nécessité de développer d'autres types de compétences, la question du niveau de diplôme qu'il faudra à l'avenir pour occuper un poste de collaborateur comptable va également continuer de se poser : il paraît clair que le niveau des diplômes requis par les cabinets va continuer de s'élever.

La spécialisation des collaborateurs

L'élévation du niveau des emplois a une conséquence directe : une plus grande spécialisation des emplois des collaborateurs. Dans la mesure où les différentes tâches requièrent une technicité toujours plus importante, la spécialisation des collaborateurs est de moins en moins une option. Cela permet en effet de gagner en productivité et de mieux répondre aux attentes des clients. Accessoirement, la spécialisation, notamment au sein de pôles dédiés, est également un moyen de mieux flécher les prestations réalisées pour chaque client et, in fine, de mieux les facturer.

Ce mouvement de spécialisation, déjà en cours, ne semble pas près de s'arrêter. Et parmi les principales pistes de réflexion des répondants à l'enquête des Moulins, ce sont les activités d'accompagnement des dirigeants d'entreprise qui arrivent en tête : 21% des répondants envisagent ainsi de créer un pôle dédié à l'accompagnement de gestion dans un avenir proche et ils sont 17% à envisager de faire de même pour l'accompagnement administratif des dirigeants d'entreprise.

Notons toutefois que cette spécialisation est très certainement amenée à prendre une nouvelle dimension. Compte tenu de la fragmentation et l'imbrication toujours plus grande entre les missions traditionnelles et les nouvelles missions, les collaborateurs vont en effet devoir se spécialiser à l'intérieur du métier de base : en découpant les tâches, chaque personne au cabinet pourra ainsi être « utilisée » au mieux de ses compétences. La spécialisation va forcément de pair avec la coopération. 

L'hybridation des postes

Le monopole a eu, depuis des décennies, un impact très fort sur la profession. La réglementation est devenue la culture de la profession, et a façonné les missions, les cabinets et les collaborateurs. Les postes sont ainsi globalement les mêmes d'un cabinet à l'autre, l'expertise technique restant le socle pour la grande majorité des cabinets.

Toutefois, l'évolution des missions des cabinets va inéluctablement se concrétiser par une distanciation à la norme (au légal) des missions. Dans la mesure où tous les cabinets ne feront plus systématiquement les mêmes missions, ils auront besoin de profils de plus en plus différents : en fonction de la nature de leurs clients, en fonction des missions qu'ils souhaitent développer et, naturellement, en fonction des compétences dont ils disposent aujourd'hui.

Du fait de cette hybridation des postes, la notion de métiers uniformes va perdre peu à peu de son sens au profit de la notion de blocs de tâches qu'il conviendra d'emboiter pour créer les postes de demain. Ce n'est qu'à partir de ce travail que les cabinets seront en mesure de déterminer les blocs de compétences nécessaires à la réalisation de ces blocs de tâches, et donc, in fine, de mesurer le chemin à parcourir pour faire évoluer les compétences actuelles du cabinet.

Cette diversification des postes risque toutefois de faire perdre de la fluidité au marché de l'emploi dans la profession. Pour éviter cette difficulté supplémentaire dans les recrutements, il est absolument impératif que les cabinets s'appuient sur un référentiel de toutes les compétences actuelles et futures dans les cabinets.

La diversification des profils et des compétences

La diversification des profils et des compétences permettra aux cabinets (les obligera ?) d'attirer des gens différents, moins comptables, plus généralistes, moins techniciens, plus gestionnaires...

Toutefois, les cabinets devront également adopter une vision dynamique et prospective de leur activité. Autrement dit, les recrutements devront certes répondre aux besoins actuels de compétences, mais aussi aux besoins futurs. Il est également fondamental que les collaborateurs actuels des cabinets soient régulièrement informés des compétences dont a besoin le cabinet aujourd'hui et de celles dont il aura besoin demain.

La nécessité d'une formation tout au long de la vie

La formation est actuellement appréhendée comme un événement dans la profession, c'est-à-dire un investissement de départ (la formation initiale), puis des mises à jour et des acquisitions de connaissances pour répondre à un besoin ponctuel (la formation continue). Demain, la formation devra être un flux continu. Il faudra en permanence apprendre, désapprendre et réapprendre. Inutile de dire que cela concerne les collaborateurs, naturellement, mais également les experts-comptables.

Nombre de salariés (et pas les plus mauvais) ont en effet bien compris qu'ils ne préserveraient leur employabilité que s'ils se forment en permanence. Ils seront donc naturellement enclins à privilégier les entreprises qui favorisent leur employabilité et à rejeter les autres. La formation continue doit devenir un réflexe dans les cabinets, mais pour cela, la mise en place d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est indispensable.

[1] En juillet 2019, l'institut Ipsos a mené 300 interviews au sein de cabinets d'expertise comptable (157 cabinets de 1 à 9 salariés, 125 cabinets de 10 à 49 salariés et 18 cabinets de plus de 50 salariés).

Téléchargez gratuitement la 3ème étude #LesMoulinsEC « Quels métiers demain ? »



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.