Cotisation pour le financement du dialogue social : que dit l'arrêt du Conseil d'Etat ?

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Le Conseil d'État a annulé le 21 janvier 2021 l'extension d'un accord prévoyant une cotisation de 0,04% de la masse salariale des professionnels libéraux au titre du financement et du développement du dialogue social.

L'ADSPL considère, à la lecture de cette décision, que les cotisations 2018, 2019 et 2020 restent cependant dues. L'IFEC appelle au contraire à ne pas acquitter les sommes réclamées.

21/04/2021

L'IFEC invite « tous les cabinets adhérents à ne pas céder aux tentatives d'intimidation et à ne pas acquitter les sommes réclamées ». 

Pour le syndicat, depuis le 21 janvier 2021, les cotisations ADSPL « ne peuvent plus être appelées, y compris celles des années antérieures qui n'auraient pas été acquittées ». La position de l'IFEC est donc contraire à celle de l'ADSPL, publiée sur son site internet (voir ci-dessous).

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L'ADSPL considère que les cotisations 2018, 2019 et 2020 restent dues.

Dans un communiqué diffusé sur son site internet, l'ADSPL indique qu'il résulte de la décision du Conseil d'État « que les cotisations collectées au titre des années 2018 et 2019 ne sont pas remises en cause » et confirme « que la cotisation appelée en décembre 2020 reste due », « l'année civile 2020 sur laquelle s'opère le calcul de la masse salariale brute de l'année 2020 était ainsi achevée au 21 janvier 2021, date de la décision du Conseil d'État et la cotisation 2020 appelée à partir de décembre 2020, définitivement acquise et exigible ».

Extrait de la décision du Conseil d'État citée par l'ADSPL :

« Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'emporterait une annulation rétroactive de l'arrêté du 28 décembre 2017 et de l'arrêté du 5 janvier 2018, les fonds collectés en 2018 et 2019 sur le fondement de l'accord et de l'avenant étendus ayant été utilisés, notamment pour l'installation et le fonctionnement des commissions paritaires régionales des professions libérales, il y a lieu, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, de n'en prononcer l'annulation qu'à compter de la date de la présente décision et de réputer définitifs leurs effets antérieurs à cette annulation ».

 

Rappel des précédentes étapes

Le 28 septembre 2012, l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), la CFDT, la CFTC, la CGT et la CGT-FO, concluent un accord instituant une cotisation à la charge des employeurs, professionnels libéraux, destinée à financer le développement du dialogue social dans ce secteur. Le 22 novembre 2013 cet accord est étendu par un arrêté du ministre chargé du travail.

L'extension de cet accord fait ensuite l'objet d'un premier recours contentieux et d'une annulation par le Conseil d'État le 10 juillet 2015 pour excès de pouvoir. Pour le Conseil d'État, le produit de la cotisation « ne pouvait valablement être réservée, au titre des organisations représentatives des employeurs, à l'UNAPL ».

En janvier 2017, l'UNAPL et les mêmes organisations syndicales concluent un avenant en vue de modifier le premier accord. Cette nouvelle version est ensuite étendue par deux arrêtés de décembre 2017 et janvier 2018 à tous les employeurs et salariés compris dans son champ d'application, experts-comptables et commissaires aux comptes inclus.

Des premiers appels de cotisation, émis par l'ADSPL, parviennent aux cabinets d'expertise comptable en juin 2018, avec un acompte de 7€ par salarié et un solde au 1er trimestre 2019 (exemple de courrier ci-dessous).

Plusieurs organisations professionnelles décident alors de porter l'affaire devant le Conseil d'État en demandant à nouveau l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés. Parmi ces organisations, on trouve la Chambre nationale des professions libérales (CNPL), qui estime qu'elle aurait d» être convoquée aux négociations, et l'IFEC pour les experts-comptables et commissaires aux comptes. 

 

Les deux arrêtés d'extension jugés illégaux par le Conseil d'État

Dans une décision du 21 janvier 2021 (décision n° 418617), le Conseil d'État rappelle les dispositions de l'article L. 2261-19 du Code du travail dans sa rédaction applicable :

« Pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus au sein de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9 (...) composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives  dans le champ d'application considéré ».

Or, l'accord lui-même indiquant s'appliquer à « l'ensemble des professions et entreprises libérales, réglementées ou non réglementées », la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs et de salariés doit être appréciée à ce niveau.

Pour le Conseil d'État, la CNPL, qui compte des adhérents dans 10 des 19 branches couvertes par l'accord et représente un tiers des entreprises concernées, remplissait l'ensemble des critères de représentativité au moment de la négociation.

En conséquence, les juges considèrent que les accords « [n'ont] pas été négocié par l'ensemble des organisations professionnelles d'employeurs et de salariés représentatives dans son champ d'application » et donc que les deux arrêtés procédant à l'extension, sont, « pour ce seul motif, [illégaux] dans [leur] ensemble ».

 

Pas d'application rétroactive

Selon le Conseil d'État, une annulation rétroactive des arrêtés d'extension emporterait « des conséquences manifestement excessives [...], les fonds collectés en 2018 et 2019 sur le fondement de l'accord et de l'avenant étendus ayant été utilisés, notamment pour l'installation et le fonctionnement des commissions paritaires régionales des professions libérales ».

L'annulation n'est donc effective qu'à compter de la date de la décision, soit le 21 janvier 2021. 

 

Réactions à la décision du Conseil d'État

L'IFEC, seule organisation professionnelle représentant les experts-comptables ayant demandé l'annulation des arrêtés d'extension devant le Conseil d'État, « se réjouit de la décision », et demande notamment dans un communiqué la cessation immédiate des demandes de cotisations et des encaissements, la dissolution immédiate de l'association ADSPL, et la publication de l'usage des fonds collectés.

L'UNAPL, signataire de l'accord annulé, indique sur son site internet « prendre acte de la décision du Conseil d'État » et considère que cette annulation relève « d'un motif de pure forme ». L'UNAPL annonce par ailleurs qu'elle va travailler à la rédaction d'un nouvel accord, « en lien avec les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel » pour « permettre aux TPE libérales et à leurs salariés de continuer de bénéficier d'un dialogue social territorial de qualité ».



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.