Les apports en nature, notion et mode de libération

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Lors de la constitution d'une société, le capital social doit être formé par apport. Pour ce faire, les associés ou actionnaires disposent de trois types d'apports distincts : l'apport en numéraire, l'apport en nature et l'apport en industrie, plus rare en pratique.

Cet article détaille plus particulièrement les apports en nature.

La notion d'apport en nature

L'apport en nature est un apport de bien, au même titre que l'apport en numéraire[1]. Cependant, l'apport en nature est défini de manière négative. En effet, il est défini communément comme tout apport autre qu'une somme d'argent (apport en numéraire). Ainsi, constitue un apport en nature tout bien meuble, qu'il soit corporel, incorporel ou un immeuble.

On retrouve le régime des apports aux articles 1843-1 et suivants du Code civil.

L'apport est réalisé soit lors de la constitution de la société, soit lors d'une augmentation du capital. Cet apport doit nécessairement faire l'objet d'une évaluation par un expert, à savoir le commissaire aux apports (CAA). Toutefois, l'intervention d'un commissaire est dispensée dans le cadre d'un apport en nature en SARL et SAS :

  • la valeur de chacun des apports en nature doit être inférieure à 30 000¤ ;
  • et la valeur totale des apports en nature doit être inférieure à la moitié du capital social.

 Par ailleurs, l'apport en nature fait l'objet d'une libération immédiate en raison de sa forme, au moment de la constitution de la société.

Les différentes formes d'apport en nature

L'apport en nature peut prendre différentes formes. En effet, le bien transféré à la société par l'apporteur peut être en  pleine propriété ou au contraire ne concerne que le droit de jouissance, ou encore l'usufruit.

L'apport en propriété

Lorsqu'un apport en propriété est réalisé, le bien quitte le patrimoine de l'associé pour entrer dans celui de la société. Cela implique que  la société en devient pleinement propriétaire et peut en disposer comme bon lui semble, et même en percevoir les fruits. En échange de cet apport, l'associé reçoit des parts sociales ou des actions le cas échéant.

Dans ce cas, l'apporteur s'engage auprès de la société à transférer le bien. Cet engagement est souvent pris par écrit dans les statuts ou dans un acte d'apport (acte séparé). Le transfert de propriété n'intervient qu'au moment de l'immatriculation au registre national des entreprises, puisque la société dispose désormais de la personnalité morale.

L'apporteur en propriété est lié par son engagement d'apport. Cela signifie que certaines obligations lui incombent à l'égard de la société. Il doit notamment s'assurer de la conservation du bien apporté jusqu'au jour du transfert. Il doit également garantir la société contre toute éviction ainsi que les vices cachés, sous peine de dommages et intérêts, l'apporteur étant tenu de garantir la société dans les mêmes conditions qu'un vendeur à l'égard de son acheteur[2]. En revanche, l'apporteur ne bénéficie pas du privilège du vendeur, du droit de rétention.

Certains biens apportés comme les immeubles ou les fonds de commerce doivent faire l'objet d'une publicité avant l'immatriculation. La publicité permet notamment l'opposabilité aux tiers du transfert de propriété.

Si la publicité est effectuée avant l'immatriculation de la société, les effets de la formalité rétroagissent à la date de la publicité.

Le transfert de la propriété du bien implique aussi le transfert des risques, la société supporte désormais seule les conséquences de la perte ou de la détérioration du bien apporté, à partir du jour de l'immatriculation au RCS. Inversement, c'est l'apporteur qui supporte seul ces risques tant que la société n'est pas immatriculée.

Les autres associés peuvent alors provoquer la résolution du contrat de société. Dans le cas contraire, ils prennent en charge les risques.

Dans l'hypothèse d'un apport d'un bien en indivision, l'indivisaire apporteur doit réunir le consentement de tous les autres indivisaires.

L'apport en jouissance

L'apport en jouissance est défini comme la mise à disposition paisible du bien au profit de la société, mais pas du transfert de propriété du bien. Cela implique que la société peut user librement du bien, même si l'apporteur reste le propriétaire du bien, il n'entre pas dans le patrimoine social.

Cela permet notamment à l'apporteur d'avoir l'assurance de la restitution du bien à la disparition de la société ou de son retrait.

La mise à disposition du bien est limitée dans le temps, en général cela correspond à la durée de la société, même s'il est possible de convenir à une durée plus limitée.

Si la mise à disposition du bien correspond à la durée de la société et que la société est dissoute de manière anticipée, l'apporteur reprend son bien, avant tout partage.

En revanche, si le bien a été mis à disposition pour une durée limitée et que la société est dissoute, le bien entre dans le patrimoine social, qui sera soumis au partage ou à la liquidation.

La décision de prorogation de la durée de vie de la société implique une décision prise à l'unanimité dans le cas d'un apport en jouissance, étant donné que cette décision augmente l'engagement des associés (Cour de cassation, chambre de ce commerce, 20 décembre 2017, n°16-19.283).

L'apport en jouissance n'est pas soumis aux obligations de publicité.

Les risques de perte ou de détérioration du bien mis à disposition incombe à l'apporteur, sauf lors d'un apport de chose fongible (telles que des valeurs mobilières). Dans cette hypothèse, la société peut disposer des biens apportés en jouissance, mais elle devra les restituer, ou du moins en restituer une quantité et une qualité d'égale valeur.

L'apport en usufruit

Lors de l'apport en usufruit au profit d'une société, celle-ci reçoit la pleine propriété d'un droit réel, jusqu'à la mort de l'usufruitier[3], oui jusqu'au terme prévu à cet effet, qui est plafonné à 30 ans.

Par ailleurs, l'apport en usufruit suit les mêmes règles que l'apport en propriété en matière de transmission, de garantie et ses risques (voir l'apport en propriété).

Les régime spéciaux d'apports

L'apport d'un fond de commerce suit un régime spécial. En outre, des règles particulières sont prévues en matière d'apport de fond artisanal, de contrat, de contrat de bail, de contrat d'édition, d'immeuble, de brevet d'invention, de marque, de dessin et modèle, de créance, de droits sociaux etc.

L'évaluation incorrecte de l'apport

La mauvaise évaluation des apports peut prendre deux formes, à savoir la surévaluation ou la sous-évaluation.

Dans l'hypothèse d'une surélévation, la valeur de l'apport a été exagérée. Cependant, ce n'est pas une cause de nullité de l'apport, sauf en cas de fraude ou de dol. En revanche, cela engage la responsabilité de l'apporteur (Cour de cassation, chambre de commerce, 28 juin 2005, n°03-12.112).

Il est possible de régulariser la situation par le biais d'une réduction du capital.

En pratique, le risque de surévaluation est limité dans le cas de nomination d'un commissaire aux comptes.

En principe, la surévaluation de l'apport est opposable à tous les associés puisqu'ils ont donné leur consentement pour la valeur retenue lors de la constitution de la société, sauf les cas de dol ou fraude.

Dans l'hypothèse d'un apport sous-évalué, il est aussi possible de régulariser la situation pour l'apporteur, mais cela implique nécessairement une modification de la répartition des droits sociaux au détriment des autres associés.

[1] Article 1843-3 alinéa 2 du Code civil : «  Les apports en nature sont réalisés par le transfert des droits correspondants et par la mise à disposition effective des biens ».

[2] Article 1843-3 alinéa 3 du Code civil

[3] Article 617 du Code civil