Peut-on souscrire au capital d'une société avec des actifs numériques ?

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L'apport d'actifs numériques par un associé afin de libérer son apport dans le cadre d'une augmentation de capital ou à la constitution d'une société française est possible. Cependant, la technicité de l'opération nécessite une interprofessionnalité efficace des professionnels du droit (avocat) et des professionnels du chiffre (expert-comptable et commissaire aux apports), ainsi qu'une connaissance fine des possibilités offertes par les actifs numériques.

Rappel des règles de souscription et de libération du capital

La souscription et la libération du capital d'une société commerciale française sont des opérations consécutives (et parfois simultanées) réalisées par des associés physiques ou personne morale lors de la constitution de la société ou en cours de vie sociale dans le cadre d'une augmentation de capital.

Le Code de commerce français distingue les différents apports qui peuvent être réalisés par des associés, à savoir :

  • les apports en numéraire ;
  • les apports en industrie (dans des cas spécifiques prévus par la loi) ;
  • les apports en nature.

L'article L. 228-7 du Code de commerce précise que : « Les actions de numéraires sont celles dont le montant est libéré en espèces ou par compensation, celles qui sont émises par suite d'une incorporation au capital de réserves, bénéfices ou primes d'émission, et celles dont le montant résulte pour une partie d'une incorporation de réserves, bénéfices ou primes d'émission et pour partie d'une libération en espèces.

Sous réserves des règles spécifiques applicables aux actions résultat d'une fusion ou d'une scission, toutes les autres actions sont des actions d'apport ».

Ainsi à la constitution de la société (il en va différemment en cours de vie sociale), la souscription de capital par un associé, qui souhaite réaliser la libération de son apport par un transfert d'actifs numériques verra qualifier ses actions comme des actions d'apport.

L'intervention d'un commissaire aux apports

La libération des actions souscrites par un associé peut être effectuée de différentes manières, à savoir par le versement d'espèces, de chèque, virement, mais également par une « compensation avec une créance liquide et exigible de l'associé ». Cette dernière possibilité va nécessiter l'intervention d'un commissaire aux apports pour valider juridiquement l'opération, puisqu'il s'agira principalement du cas d'une augmentation de capital par incorporation de créance (le compte courant d'associé).

En effet, l'intervention d'un commissaire aux apports est nécessaire en vertu des articles L. 225-147 et L. 223-33 du code de commerce qui précise les modalités d'intervention dans le cadre d'une augmentation de capital par apport en nature. En outre, l'article R.225-8 du Code de commerce dispose que : « le rapport des commissaires aux apports décrit chacun des apports, indique quel mode d'évaluation a été adopté et pourquoi il a été retenu et affirme que la valeur des apports correspond au moins à la valeur nominale des actions à émettre, augmentée éventuellement de la prime d'émission ».

La difficile évaluation des apports en actifs numériques

Outre l'aspect juridique qui nécessite l'intervention de professionnels aguerris, dans le cadre de ses travaux dont la finalité est l'émission d'un rapport sur la valeur des apports effectués, le commissaire aux apports sera confronté à différentes problématiques pratiques, notamment :

  • la détermination d'un mode d'évaluation des actifs numériques apportés adapté aux spécificités de l'opération (c'est là que la connaissance des actifs numériques et des problématiques technologiques liées par le commissaire aux apports est indispensable) ;
  • la vérification de l'origine des fonds dans le cadre des obligations de LCB-FT (lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme). En effet, le niveau de vigilance à adopter consécutivement à l'analyse des risques du dossier devra être renforcé compte tenu des risques inhérents aux actifs numériques ;
  • le traitement opérationnel et juridique de la volatilité des actifs numériques apportés entre la date de l'émission de son rapport et la réalisation effective du transfert des actifs numériques de la société. Ce traitement est important car il y a risque significatif de survalorisation de l'apport dans le cadre d'un marché des actifs numériques en baisse ;
  • le traitement de l'absence de cotation « officielle » et la détermination d'une méthode « juste » pour réaliser une cotation satisfaisante de l'opération et éviter l'écueil d'une survalorisation de l'apport ;
  • la vérification de la pleine propriété des actifs numériques apportés par l'associé souscripteur et la vérification de la propriété du portefeuille sur lequel seront reçus les actifs numériques (cet étape devant permettre de pallier aux risques de fraude) ;
  • la vérification des actes juridiques qui déterminent les modalités précises de l'opération et leur concordance avec les résultats issus des travaux du commissaire aux apports.


Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes.