[Tribune] Stratégie de la CNCC : le Tartuffe ou l'Imposteur ?

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Une tribune d'Olivier Arthaud, cofondateur de la Fédération des cabinets intermédiaires (FCI) et Vincent Reynier, président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris (CRCC).

La Commission européenne a ouvert fin 2021 une consultation publique pour améliorer la qualité de l'information financière publiée par les entreprises. Derrière cette dénomination un peu floue se cache en réalité une future évolution de la réforme européenne de l'audit et de la gouvernance des entreprises. Chaque citoyen intéressé pouvait y participer et se prononcer ainsi sur les propositions de de la Commission européenne. C'est ce qui a été fait par certaines CRCC, les syndicats, la FCI et même certains cabinets.

La Compagnie nationale, dont la mission est de défendre les intérêts des 11 600 commissaires aux comptes français, a rendu publique sa réponse le 11 février dernier. Dans sa communication à la profession, son Président a ainsi affirmé que la CNCC :

  • joue « pleinement son rôle de défense de la profession » ;
  • « porte les messages forts » parmi lesquels « la promotion du co-commissariat aux comptes en France ». 

Qui ne pourraient pas souscrire à de si belles assertions ? Et pourtant ...

De manière très surprenante, le contenu de la réponse de la CNCC est très éloigné de ce message positif voir même totalement contradictoire.

En effet, dans sa réponse, la CNCC attribue :

  • une note de 4 sur 5 à l'affirmation selon laquelle les audits conjoints contribuent à la qualité du contrôle des comptes (question 12) ;
  • et une note de 3 sur 5 à l'efficience de la proposition de la Commission européenne d'encourager ou rendre obligatoire la tenue d'audits conjoints pour les EIP afin notamment de stimuler la concurrence sur le marché de l'audit (question 14).

Cette réponse plus que tiède interpelle. Pourquoi la CNCC ne défend-elle pas avec vigueur le co-commissariat aux comptes ? Pourquoi tant de distance entre les roulements de tambour accompagnant une communication se voulant fédératrice et la réalité d'une réponse abandonnant en rase campagne le co-commissariat et ses vertus ? En réalité, et bien évidemment, cette dichotomie ne s'explique que pour une seule raison : les principales firmes d'audit internationales sont totalement opposées au co-commissariat et sont vent debout contre toute tentative d'extension de cette pratique. C'est un fait, mais la vraie question est de savoir comment, malgré ses annonces et de manière si déloyale, la CNCC peut se positionner dans l'intérêt de 4 cabinets seulement et, de fait, contre les intérêts des 11 596 autres qui soutiennent tous le principe du co-commissariat aux comptes ?

Nous en sommes convaincus, le co-commissariat aux comptes doit être défendu et promu partout en Europe sans hésitation et pas uniquement en France. Ne pas le faire, c'est le mettre en danger et risquer de voir remise en cause cette exception française par la Commission européenne. Il est évident que si le seul pays européen à pratiquer le « Joint Audit » ne le soutient pas totalement avec un engagement sans faille, la Commission européenne en conclura qu'il n'y a pas d'intérêt à étendre ce modèle.

Pire, si la France devait demeurer isolée, ne peut-on pas légitimement craindre que le co-commissariat soit appelé à disparaître ? Ce risque est loin d'être hypothétique ...

Le co-CAC a fait la preuve de son efficacité en France avec une forte amélioration de la qualité de l'audit mais surtout un accroissement de l'indépendance des auditeurs. La présence de deux auditeurs indépendants avec des compétences fortes permet une complémentarité des approches d'audit, un partage du diagnostic, un contrôle réciproque des diligences, des ressources plus larges et une continuité de service en cas de défaillance d'un auditeur. Tous ces éléments vont évidemment dans le sens d'une meilleure sécurité financière souhaitée par tous.

Par ailleurs, le législateur européen demeure très attaché au principe de rotation : rotation des cabinets et rotation des signataires. Le co-commissariat apporte une réponse infiniment plus efficace avec la rotation des cycles audités entre les co-Cac tous les 3 ans (avec de fait une rotation des signataires mais surtout des équipes).

En France, ce dispositif a évité une concentration excessive du marché de l'audit et il permet à des cabinets autres que les 4 grands réseaux d'exister au premier rang desquels Mazars, Grant Thornton, BDO, RSM, ACCA NEXIA, BMA et bien d'autres cabinets indépendants. Le co-commissariat aux comptes est l'affaire de tous et nous devons impérativement nous mobiliser pour le défendre ! 

L'organisation actuelle des institutions a totalement confisqué la CNCC au service de quelques-uns.

Les CRCC ont donc le devoir impérieux de représenter le plus grand nombre dans le respect des modes d'exercice pluriel. C'est la raison d'être de la CRCC de Paris qui réunit un quart des cons½urs et des confrères partagés par de nombreuses CRCC. C'est dans l'intérêt de tous que la FCI a constitué un Groupe de place pour défendre et promouvoir le co-CAC. Il réunit les institutions publiques, les représentants des entreprises, des professionnels en exercice, et le régulateur jouant son rôle d'observateur. Sans surprise, la F3P, le CGCI (Comité des Groupements des Cabinets Indépendants) et la CNCC ont refusé d'y participer.

N'oublions pas la loi PACTE ! En contrepartie de la perte des mandats dans les PME, elle a permis aux commissaires aux comptes de réaliser des services accessoires grâce à un assouplissement des règles déontologiques tant voulu par les grandes firmes. La réalité est bien conforme à leurs espérances puisque ces prestations ne sont réalisées que par les réseaux internationaux dont les performances économiques sont indécentes depuis 2 ans sous fond de crise sanitaire avec des croissances à deux chiffres et des profits jamais atteints.

Sur cette même période, nos confrères indépendants perdent parfois plus de la moitié de leurs mandats en renouvellement dans les PME, perte qui n'est certainement pas compensée par de nouvelles missions. Les grands réseaux sont les grands gagnants des négociations menées lors de la loi PACTE. Ils ont une logique et une stratégie hégémonique qu'ils déroulent avec grand talent depuis plusieurs années.

Très logiquement, leur prochain objectif est donc de supprimer le co-commissariat en France. On peut le déplorer mais ils s'inscrivent dans une logique de firme.

Ce qui est inadmissible, c'est que l'Institution dont la mission est de représenter l'ensemble de la profession, nous leurre et ne protège pas le plus grand nombre.

Comptez sur nous, nous nous battrons pour défendre le co-commissariat aux comptes, et notre profession dans l'intérêt de tous.

Olivier Arthaud
Cofondateur de la Fédération des cabinets intermédiaires (FCI)

Vincent Reynier
Président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris (CRCC)