Les transmissions à titre gratuit (donation et succession) de parts ou actions de sociétés peuvent bénéficier d'une exonération de droits de mutation à concurrence des 3/4 de leur valeur, sans limitation de montant (article 787 B du CGI). Ce dispositif de faveur, appelé « Pacte Dutreil » a fait l'objet d'aménagements dans la loi de finances rectificative de 2022.
Champ d'application du dispositif Pacte Dutreil
L'exonération partielle de droits de mutation s'applique aux transmissions :
- de parts ou actions de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, quel que soit leur régime d'imposition, qui ont fait l'objet d'un engagement collectif de conservation.
Sont assimilées à des sociétés exerçant une activité commerciale les sociétés holding animatrices de groupe.
Ainsi, s'agissant des holdings, seules les sociétés holding animatrices de groupe peuvent bénéficier de l'exonération partielle, à l'exclusion des sociétés holding passives.
La Cour de cassation avait jugé que la condition d'animation n'avait pas à être maintenue après la transmission jusqu'au terme du délai légal de conservation des parts (Cour de cassation, chambre commerciale, 25 mai 2022, n°19-25.513). Toutefois, le législateur est venu remettre en cause cette décision.
Selon l'article 8 de la loi de finance rectificative pour 2022, l'activité opérationnelle doit être exercée à compter de la conclusion de l'engagement collectif et jusqu'au terme de l'engagement individuelle de conservation applicable aux transmissions intervenues depuis le 18 juillet 2022, ainsi qu'à celle intervenues avant cette date lorsque l'un des engagements de conservation est en cours et que la société n'a cessé d'exercer une activité opérationnelle.
Le législateur s'aligne sur la position prise par l'Administration à cet égard (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §25).
Depuis 2019, l'apport pure et simple ou avec soulte des titres à une société holding peut être réalisé pendant l'engagement collectif ainsi que pendant l'engagement individuel si les conditions suivantes sont réunies :
- la valeur réelle de l'actif brut de la société holding est à l'issue de l'apport et jusqu'au terme des engagements de conservation, composé à plus de 50% de participation dans la société soumise à ces engagements ;
- les 3/4 au moins du capital et des droits de vote de la société holding sont à l'issue de l'apport, détenus par les personnes soumises aux obligations de conservation ;
- la société holding est dirigée par une ou plusieurs de ces personnes soumises aux obligations de conservation ;
- et ce jusqu'au terme des engagements ;
- la société holding prend l'engagement de conserver les titres reçus jusqu'au terme des engagements ;
- les personnes soumises aux obligations de conservation, associées de la holding, doivent conserver jusqu'au terme des engagements les titres de la holding reçus en rémunération de l'apport.
De plus, les transmissions de parts ou actions de sociétés exerçant une activité civile accessoire peuvent aussi bénéficier de l'exonération partielle. Le caractère prépondérant de l'activité principale s'apprécie en considération d'un faisceau d'indice (Conseil d'État, 23 octobre 2020, n°435562 ; Cour de cassation, chambre commerciale, 14 mai 2022, n°18-17955).
Le caractère prépondérant est admis lorsque le chiffre d'affaires de l'activité principale représente au moins 50% du chiffre d'affaires totale et que la valeur vénale de l'actif immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50% de la valeur vénale de son actif brut total.
- de parts ou actions de sociétés interposées (parts ou actions dans une société qui possède directement (simple degré d'interposition) ou indirectement (double degré d'interposition au maximum) une participation dans une société exerçant une des activités précitées, dont les titres font l'objet d'un engagement collectif de conservation, quel que soit le niveau de la participation, la forme juridique et le régime fiscal de ces sociétés.
Conditions d'application du Pacte Dutreil
L'exonération partielle est subordonnée aux conditions suivantes :
- engagement collectif de conservation : les parts ou actions de la société exploitante ou de la holding animatrice de groupe doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de 2 ans (prorogations tacites possibles), formalisé par écrit. Ce délai commence à courir à la date de l'acte authentique constatant l'engagement ou à la date de l'enregistrement de l'acte s'il est réalisé sous seing privé.
Depuis le 1er janvier 2019, le Pacte Dutreil peut être conclu par une personne seule. Le souscripteur de l'Engagement Unilatéral de Conservation (EUC).
Cet engagement doit porter sur au moins 10% des droits financiers et 20% des droits de vote s'il s'agit de titres d'une société cotée ou, s'il s'agit d'une société non cotée, sur 17% des droits financiers et 34% des droits de vote. Ces pourcentages doivent être respectés tout au long de l'engagement collectif de conservation.
L'engagement collectif de conservation est réputé acquis lorsque le défunt ou donateur, seul, avec son conjoint, partenaire de PACS ou concubin notoire, détient directement ou indirectement depuis au moins 2 ans le quota de titres requis pour la conclusion de cet engagement et que l'un d'eux exerce dans la société concernée depuis plus de 2 ans son activité principale, ou lorsque la société est soumise à l'IS, des fonctions de directions de l'article 975, III-1-1° du CGI.
L'engagement est pris par le donateur pour lui et ses ayants-cause à titre gratuit. L'engagement peut être pris avec un ou plusieurs autres associés, personnes morales ou personnes physiques, même s'il est possible de souscrire seul un engagement collectif de conservation des titres, si l'ensemble des conditions du dispositif est rempli.
Dans les situations d'interposition de sociétés, l'engagement collectif de conservation est souscrit par la société qui détient directement la participation dans la société cible exerçant une activité éligible. Le bénéfice de l'exonération partielle est alors subordonné à la condition que le niveau des participations demeure inchangé à chaque strate d'interposition pendant toute la durée de l'engagement collectif et individuel. Le régime de faveur n'est cependant pas remis en cause en cas d'augmentation de la participation détenue par les sociétés interposées.
Si le décès intervient avant la transmission et qu'aucun engagement n'avait été pris, l'engagement collectif post mortem est possible par les héritiers ou légataires entre eux ou avec d'autres associés, dans les 6 mois du décès. Au moment de la transmission, les héritiers ou légataires doivent à son tour s'engager individuellement à conserver les titres transmis pendant une période de 4 ans, et ce, à compter de l'expiration de l'engagement collectif de conservation des titres (ou de la transmission lorsque l'engagement collectif de conservation est présumé acquis). Cet engagement est pris dans l'acte de succession ou donation.
- engagement individuel de conservation : au moment de la transmission, chacun des héritiers, légataires ou donataires doit s'engager dans la déclaration de succession ou dans l'acte de donation, pour lui et ses ayants-cause à titre gratuit, à conserver les titres transmis pendant une durée de 4 ans (en cas de transmission des titres d'une société interposée, l'engagement individuel de conservation porte donc sur les titres de la société interposée mais, comme indiqué ci-dessus, le niveau des participations doit demeurer inchangé à chaque strate d'interposition). Cette période commence à courir à l'expiration de l'engagement collectif de conservation qui était en cours à la date de la transmission ;
- exercice d'une fonction de direction au sein de la société : l'un des associés ayant souscrit l'engagement collectif de conservation ou l'un des héritiers ou légataires (ou donataires) ayant pris l'engagement individuel de conservation doit exercer, pendant toute la durée de l'engagement collectif, et pendant les 3 années suivant la transmission, une fonction de direction (i.e. gérant d'une SARL ou d'une SCA, président directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions) ou, s'il s'agit d'une société de personnes, son activité principale.
Il n'est pas exigé que la direction de la société soit exercée par la même personne pendant les périodes susvisées.
Portée du dispositif Pacte Dutreil
Lorsque l'ensemble des conditions précitées sont remplies, les droits de mutation à titre gratuit font l'objet d'une exonération partielle, à hauteur des trois-quarts de la valeur des parts ou actions transmises. Cette exonération partielle s'applique sans limitation de montant.
S'agissant des titres de sociétés interposées, l'exonération ne s'applique qu'à hauteur d'une certaine fraction de leur valeur (i.e. schématiquement, à hauteur de la fraction de la valeur de la société interposée qui représente celle de la société opérationnelle dont les titres font l'objet de l'engagement collectif de conservation).
Le bénéfice de cette exonération partielle est cumulable avec la réduction de droits prévus à l'article 790-I du CGI (sous certaines conditions, réduction de droits de mutation de 50% en cas de donation en pleine propriété de parts ou actions de sociétés exerçant une activité opérationnelle, réalisées par un donateur âgé de moins de 70 ans).
Obligations déclaratives du Pacte Dutreil
Les obligations déclaratives sont les suivantes :
- l'héritier, le donataire ou le légataire doit joindre à la déclaration de succession ou à l'acte de donation une attestation de la société dont les titres font l'objet de l'engagement collectif de conservation, certifiant que cet engagement est en cours à la date de la transmission et qu'il a porté, jusqu'à cette date, sur le quota de titres requis pour bénéficier du dispositif. En cas d'interposition de sociétés, doivent également être transmises les attestations de la ou des sociétés interposées, certifiant du respect, à leur niveau des obligations de conservation des titres ;
- dans les 3 mois suivants l'expiration de l'engagement individuel, le bénéficiaire de l'exonération partielle doit adresser à l'administration fiscale une attestation, transmise par la société dont les titres font l'objet de l'engagement de conservation, certifiant que l'ensemble des conditions d'application du dispositif ont été respectées jusqu'à leur terme. En cas d'interposition de sociétés, doivent également être transmises les attestations de la ou des sociétés interposées, certifiant du respect, à leur niveau des obligations de conservation pendant les engagements collectif puis individuel.
L'administration fiscale a la possibilité de demander aux bénéficiaires, à tout moment après ladite transmission, de produire dans les 3 mois une attestation établie par la société (la société opérationnelle objet du Pacte Dutreil comme les sociétés interposées), certifiant que les conditions d'application du dispositif ont été respectées de manière continue depuis la date de la transmission.
Hypothèses de remise en cause de l'exonération partielle
La remise en cause de l'exonération partielle entraîne l'obligation d'acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit dus au jour de la transmission ainsi que des intérêts de retard et, éventuellement, une majoration pour manquement délibéré (40%). Ces droits, intérêts de retard et majoration doivent être acquittés dans le mois qui suit la rupture ou l'expiration du délai requis prévu pour produire la justification requise.
Selon les situations, la remise en cause du dispositif concerne l'ensemble des héritiers ou seulement l'un d'entre eux.
Principales hypothèses où la remise en cause concerne l'ensemble des héritiers, légataires et donataires :
- non-respect de l'engagement collectif de conservation des titres ;
- non-respect de la condition liée à l'exercice de l'activité principale ou d'une fonction de direction.
Principales hypothèses où la remise en cause concerne seulement l'un des héritiers, légataires et donataires :
- cession à titre onéreux des parts ou actions faisant l'objet d'un engagement collectif de conservation, à un signataire du pacte, entre la transmission et l'expiration de l'engagement collectif ;
- non-respect de l'engagement individuel de conservation des titres.