Non-dépôt des comptes annuels : les sanctions

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Certaines sociétés sont tenues de déposer chaque année au greffe du tribunal de commerce leurs comptes annuels (bilan - compte de résultat et annexe).

Cet article revient sur la portée de cette obligation et les sanctions encourues en cas de non-respect.

L'obligation de dépôt des comptes annuels

Le dépôt des comptes est obligatoire pour les sociétés suivantes :

  • les SARL, EURL, SA, SAS, SCA, SCS et les sociétés en nom collectif dès lors qu'aucun des associés n'est une personne physique ;
  • les sociétés étrangères qui ont un ou plusieurs établissements en France ont également l'obligation de déposer leurs comptes ;
  • l'EIRL (pour les comptes du patrimoine affecté).

Les sociétés sont tenues de déposer chaque année au greffe du tribunal de commerce :

  • les comptes annuels (bilan – compte de résultat et annexe) ;
  • éventuellement le rapport du commissaire aux comptes ;
  • la résolution votée d'affectation du résultat.

Le dépôt doit être effectué dans le mois qui suit l'approbation des comptes, ou dans les 2 mois si le dépôt est effectué par voie électronique (article L. 232-23 du Code de commerce).

À compter du 1er janvier 2023, les entreprises doivent normalement déposer leurs comptes annuels de manière dématérialisée via le guichet unique électronique des formalités d'entreprises.

Depuis le 9 novembre dernier, les déclarants ne peuvent plus déposer leurs comptes annuels en mode « classique » sur le guichet unique. Ils peuvent toujours réaliser cette formalité sur la plateforme mais via le mode « expert » ou utiliser la voie papier auprès des greffes des tribunaux de commerce (article R.123-77 du Code de commerce).

D'après le site Infodoc-experts, le dépôt papier des comptes annuels est une solution pérenne. Il ne s'agit pas d'une solution alternative temporaire prévue dans le cadre de la procédure de secours.

Un tableau résumant les modalités de dépôt possibles selon les types de formalités a été mis en ligne par la FAQ du guichet unique.

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Le dépôt des comptes au greffe peut s'accompagner ou non, d'une déclaration de confidentialité dans les micro-entreprises.

Les petites entreprises au sens du code de commerce peuvent demander la confidentialité de leur compte de résultat.

La confidentialité des comptes ne s'applique pas au président du tribunal de commerce.

Le fait de ne pas satisfaire à cette obligation peut faire l'objet d'une amende pénale et d'une injonction de dépôt de comptes par le président du tribunal de commerce.

L'obligation de dépôt des comptes est applicable à l'EIRL (article L. 611-2-11 du Code de commerce)

La déclaration de confidentialité des comptes annuels doit être effectuée lors du dépôt des comptes au greffe.

La demande d'une société tendant à rendre confidentiels des comptes de résultat après le dépôt, doit être rejetée (Cour d'appel de Paris, 6 juin 2023, n°23/00062)

Sanctions

Sanction pénale - Le non-respect de l'obligation de dépôt des comptes peut être puni d'une amende pénale de cinquième classe (contravention) de 1 500¤ (3 000¤ en cas de récidive), conformément à l'article R.247-3 du Code de commerce.

Le procureur peut décider de réduire ces montants.

Injonction de dépôt des comptes par le président - Le président du tribunal de commerce peut à la demande :

  • de tout intéressé ;
  • du ministère public ;
  • ou d'office, rendre une ordonnance d'injonction de dépôt de comptes assortie d'une astreinte (article L.611-2-II du Code de commerce).

Ordonnance du président - Le président du tribunal rend une ordonnance faisant injonction au représentant légal de la société de déposer les comptes annuels dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance (article R.611-13 du Code de commerce)

Le greffier notifie cette ordonnance au représentant légal de la société (article R.611-14 du Code de commerce).

L'ordonnance fixe le taux de l'astreinte et mentionne en outre, les lieu, jour et heure de l'audience à laquelle l'affaire sera examinée. L'ordonnance n'est pas susceptible de recours.

Lors de l'audience, deux cas peuvent se présenter (article R.611-15 du Code de commerce) :

  • l'injonction de faire a été exécutée dans les délais impartis. L'affaire est clôturée et retiré du rôle ;
  • le non-dépôt des comptes est constaté par le greffier par un procès-verbal.

Dans cette dernière situation, en cas d'inexécution de l'injonction de faire, le président statue sur la liquidation de l'astreinte (article R.611-16 du Code de commerce).

Il statue en dernier ressort lorsque le montant de l'astreinte n'excède pas le taux de compétence en dernier ressort du tribunal de commerce (5 000¤ depuis le 1er janvier 2020).

Précisions

Toutefois, le président du tribunal n'est pas tenu de conserver le montant prévu dans son injonction. Il peut la modifier en tenant compte du comportement du dirigeant et des éventuelles difficultés qu'il a pu rencontrer.

Concernant la liquidation de l'astreinte, le montant de la condamnation prononcée est versé au Trésor public et recouvré comme en matière de créances étrangères à l'impôt.

La décision est communiquée au Trésor public et signifiée à la diligence du greffier au représentant légal de la personne morale (ou à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée). L'appel est formé, instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure sans représentation obligatoire. « Les voies de recours sont ouvertes au ministère public ».

Jurisprudences

Par un arrêt du 1er juillet 2016, le Conseil constitutionnel a jugé que lors d'un défaut de dépôt des comptes annuels, il n'est pas anticonstitutionnel que, conformément à l'article L. 611-2 du Code de commerce, le président du tribunal de commerce puisse :

  • s'autosaisir ;
  • ordonner sous astreinte le dépôt des comptes annuels ;
  • liquider les sommes qui ont fait l'objet de l'astreinte (Conseil constitutionnel, 1er juillet 2016, n°2016-548 QPC)

Le dirigeant ne peut invoquer le secret des affaires pour ne pas déposer ses comptes (Cour de cassation,  28 janvier 2009, n°08-80.884).

Toute personne est habilitée à demander le respect des obligations légales de publicité des comptes sociaux, pesant sur les dirigeants d'une personne morale (Cour de cassation, 3 avril 2012, n°11-17.130).

Pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, une contravention (qui n'est pas une infraction intentionnelle) ne constitue pas une faute intentionnelle d'une particulière gravité, détachable des fonctions de gérant (Cour de cassation, 3 mai 2018, n°16-23.627).

En l'espèce cet arrêt concernait un dépôt tardif des comptes, reproché à un dirigeant de société...

L'injonction de dépôt des comptes annuels et le paiement éventuel de l'astreinte obligent le représentant légal de la société, à titre personnel (Cour de cassation, 7 mai 2019, n°17-21.047).

Prescriptions en matière de dépôt des comptes

Amende pénale - S'agissant d'une contravention (5ème classe), la prescription de l'action publique est acquise après un an à compter de l'expiration du délai prévu par la loi pour déposer les comptes annuels approuvés par l'assemblée générale annuelle (Cour de cassation, 28 janvier 2009, n°08-80.884).

Exemple

Bilan au 31 décembre 2022.

Délai maxi de réunion de l'AGO annuelle : 30 juin 2023.

Délai de dépôt des comptes : 31 juillet 2023 (ou 31 août 2023, si dépôt électronique).

Date de prescription : un an après : 31 juillet 2024 (ou 31 août 2024).

Ordonnance d'injonction du président - Le délai de prescription est dans ce cas moins évident.

Après avoir confirmé qu'une demande d'injonction de dépôt des comptes peut être valablement formulée en référé contre une société, sur le fondement des articles L. 232-23 du Code de commerce et 873, alinéa 1 du Code de procédure civile, la Cour de cassation estime que cette action n'est pas soumise à la prescription triennale (Cour de cassation, 3 mars 2021, n°19-10.086).

Dans ces attendus, la Cour de cassation semble considérer que la demande d'injonction de faire, malgré les délais, est recevable afin de mettre un terme au trouble manifestement illicite résultant de l'absence de transparence par le non-dépôt des comptes.

La cour d'appel de Bordeaux a par contre jugé qu'une demande d'injonction de dépôt des comptes à partir de l'article L.123-5-1 du Code de commerce est soumise à la prescription de 5 ans (Cour d'appel de Bordeaux, 24 juin 2019, n°15/05778).

Pour l'association nationale des sociétés par actions (ANSA), l'injonction du président peut porter sur les comptes sociaux des cinq dernières années. Ce délai correspondant à la prescription de droit commun de l'article 2224 du Code civil ainsi qu'à la prescription commerciale de l'article L.110-4 du Code de commerce (ANSA, Comité juridique, 7 févr. 2018, n°18-004). – soit 5 ans.

Prescription des actes de délibérations des sociétés déposés au greffe

Les actes ou délibérations modifiant les pièces déposées lors de la constitution de la société doivent figurer au registre du commerce et des sociétés, et ce, afin de les porter à la connaissance du public. De ce fait, cette obligation perdure pendant toute la vie de la société et aucune prescription ne peut être soulevée (Cour de cassation, 25 janvier 2023, n°21-17592).

Il est important de noter que si le dépôt des comptes peut bénéficier d'une prescription, les actes ou délibérations modifiant les pièces déposées lors de la constitution de la société sont imprescriptibles.



Michel Di Martino est expert-comptable et commissaire aux comptes, docteur en droit privé et ancien président du tribunal de commerce de Lons-le-Saunier.