Reporting de durabilité : un partenariat innovant associe CAC et professionnels de la certification

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La certification des données de durabilité est un volet majeur de la stratégie de neutralité carbone de l'Union européenne. C'est aussi un marché important qui se dessine pour les années à venir.

Alors que de nombreux acteurs cherchent à défendre leur pré carré, la Fédération des Cabinets intermédiaires (FCI) et FILIANCE, qui représente les leaders de la certification, décident de jouer collectif. Ils viennent en effet d'annoncer un partenariat qui fait de cette complémentarité une force.

Olivier Arthaud, expert-comptable, commissaire aux comptes et cofondateur de la FCI, et Alain Jounot, pilote de la commission RSE de Filiance et responsable du département RSE au sein de l'Afnor, répondent à nos questions.

Quelle est votre vision des enjeux de durabilité, tant en France qu'à l'international ?

Olivier Arthaud : Ils sont considérables. Depuis le XIXe siècle et la révolution industrielle, nous avons développé une dépendance aux énergies fossiles. Au point d'en faire la source de 85% de l'énergie mondiale. Ce choix est lourd de conséquences, à double titre. D'une part, il place l'humanité dans une impasse écologique et énergétique. D'autre part, cette dépendance a considérablement augmenté les émissions de CO2, exacerbant l'effet de serre et contribuant aux changements climatiques que nous connaissons aujourd'hui.

Au niveau européen, des mesures importantes ont été prises. Je pense notamment au Pacte vert européen et aux directives qui ont suivi (notamment la NFRD puis la CSRD). Ces mesures poussent les entreprises vers des pratiques plus vertueuses et s'inscrivent dans une dynamique positive de changement. C'est important dans le contexte de compétitivité extrême que nous connaissons.

Au niveau mondial, les entreprises européennes ne peuvent pas rivaliser sur le plan des matières premières ou du coût de main-d'½uvre. L'Union européenne a toutefois une opportunité unique de se distinguer dans le domaine de l'éthique et de la durabilité, en particulier en suivant les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance).

Alain Jounot : Effectivement, l'Union européenne s'est engagée à devenir une économie neutre en carbone d'ici 2050. Dans ce cadre, la directive CSRD est un instrument qui favorise la transparence et la fiabilité des informations extra-financières. L'objectif n'est pas simplement de publier ces données, mais d'inciter les entreprises à s'engager dans une trajectoire de décarbonation à horizon 2050.

L'enjeu n'est donc pas simplement de certifier des données, mais plutôt de susciter une dynamique de changement au sein des entreprises. C'est toute la différence avec la vision américaine de l'information de durabilité d'ailleurs, centrée sur l'investisseur.

Comment est né le partenariat avec la FCI et Filiance ?

Olivier Arthaud : La directive CSRD rend obligatoire la publication d'un rapport de durabilité pour toutes les entreprises de plus de 250 salariés en Europe. Cela concerne environ 10 000 entreprises et groupes en France. C'est déjà un marché considérable.

Toutefois, ce besoin d'accompagnement n'existe pas seulement dans les entreprises directement concernées par la directive. En termes d'émissions de CO2, le Scope 3[1] est très significatif, et peut représenter jusqu'à 90% du total dans les entreprises de services. Ces entreprises vont donc devoir sélectionner leurs fournisseurs et sous-traitants non seulement en fonction de la qualité et du coût, mais aussi en fonction de leur propre Bilan carbone®.

Cela aura un effet en cascade, touchant in fine les TPE/PME. C'est donc un marché colossal qui s'ouvre, et cela nécessite une approche coordonnée des acteurs de la certification et de l'audit.

Alain Jounot : Adhérents de Filiance ou commissaires aux comptes membres de la FCI, nous sommes tous des professionnels de l'audit, mais sur des volets différents. Cette alliance était donc une évidence.

Elle permet à la fois de définir des indicateurs de performance, pour brosser un portrait complet de l'entreprise, mais aussi de réaliser une analyse de ses pratiques pour déterminer si les performances sont le résultat de l'effort conscient de l'entreprise ou simplement le fruit du hasard. Cette union de compétences nous permet de proposer une offre unique sur le marché.

Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Olivier Arthaud : Nous n'avons pas fixé d'objectifs chiffrés précis, car le marché, naissant, est par définition difficile à évaluer. En revanche, nous sommes très ambitieux sur le plan de la qualité. Nous voulons jouer un rôle majeur dans la prévention du greenwashing et dans l'accompagnement des entreprises vers une démarche authentique et transparente. C'est un véritable enjeu, non seulement pour nous mais aussi pour les générations futures.

Alain Jounot : Tout à fait. La directive sur la durabilité n'est pas seulement destinée à réorienter les flux de capitaux ; elle vise aussi toutes les parties prenantes, associations professionnelles, ONG ou médias par exemple. Tous ces acteurs vont chercher dans les rapports de durabilité des informations qui dépassent le simple jargon financier. Elles veulent quelque chose de compréhensible qui apporte un éclairage utile sur la performance de l'entreprise.

Concrètement, quels sont les services rendus possibles par cette alliance ?

Olivier Arthaud : Notre offre vise principalement deux types de clients : les entreprises et les fonds d'investissement.

Dans le cadre des audits d'acquisitions, les fonds d'investissement ont en effet des besoins spécifiques en matière d'audits ESG. Nous avons donc développé une mission dite « d'évaluation carbone », qui se veut plus rapide et plus synthétique que le Bilan carbone®. Cette mission qualitative, plus que quantitative, permet aux fonds d'avoir une première idée de l'impact carbone de l'entreprise dans laquelle ils investissent.

L'un des points importants à souligner est que notre alliance transcende les corporatismes de nos professions respectives. Nous nous sommes d'abord intéressés aux enjeux sociétaux avant de penser à nos propres intérêts commerciaux. Cela nous permet d'avoir une offre plus riche et plus pertinente, à la fois au niveau national et international. Cette alliance nous confère également une complémentarité notable, ce qui, je pense, en fait toute sa pertinence.

Alain Jounot : L'enjeu principal réside dans notre capacité à proposer ces services à toutes sortes d'entreprises. Le sujet du réchauffement climatique est trop important pour n'être porté que par une poignée d'acteurs. En participant à cette prise de conscience, nous apportons une véritable valeur ajoutée. C'est la clé de notre partenariat : concilier éthique, collaboration et compétence.

Lorsqu'on évoque les questions de conseil et d'audit, la question des conflits d'intérêts est inévitable. Comment avez-vous traité cette problématique ?

Olivier Arthaud : C'est très simple, nous l'abordons à la manière des commissaires aux comptes, avec le principe d'indépendance comme socle. Pour le dire autrement, je ne fais jamais de conseil là où je réalise une mission d'audit des informations de durabilité, et vice versa. J'ajoute que l'avis du Haut conseil au commissariat aux comptes (H3C) place l'ensemble des acteurs, PSAI et commissaires aux comptes, sous une même réglementation déontologique.

Alain Jounot : Par ailleurs, sur le plan économique, le marché est si vaste qu'il n'y a pas de réel problème pratique. Dans ces conditions, il est relativement simple de faire une distinction nette entre les activités d'accompagnement et d'audit.

Comment voyez-vous le marché de la certification dans les années à venir ?

Olivier Arthaud : Du côté des professionnels, je suis convaincu que la durabilité intéressera davantage de cons½urs et confrères, mais jusqu'à un certain point. C'est un sujet technique, complexe, qui nécessite un investissement significatif en formation et en veille. Je suis pourtant convaincu que cela peut constituer un important facteur d'attractivité dans nos cabinets.

Côté clients, il y a un enjeu important de sensibilisation des TPE/PME. Dans ce domaine, les experts-comptables ont un rôle clé à jouer. Les questions de durabilité ne peuvent plus être négligées : un dirigeant qui les ignore n'agit tout simplement pas de manière responsable. Pour autant, la durabilité n'est pas simplement une question d'éthique, c'est aussi un enjeu économique majeur. Se poser la question du positionnement de son entreprise sur des critères ESG, c'est, à court, moyen ou long terme, obtenir de meilleurs résultats que ses concurrents.

Alain Jounot : Je rejoins Olivier sur l'importance de la pédagogie. Beaucoup de TPE et PME ont une vision biaisée de la RSE et sont souvent découragées par la complexité, perçue, de la démarche.

Les politiques publiques peuvent jouer un rôle important pour expliquer et clarifier les choses, mettre en avant les normes qui permettent d'être plus performant et valoriser les bonnes pratiques. Le discours politique doit valoriser les entreprises qui s'engagent réellement en faveur de la durabilité, plutôt que de critiquer celles qui ne le font pas encore. De cette manière, davantage d'entreprises seront encouragées à suivre cette voie.

[1] NDLR : Le Scope 3 désigne les émissions indirectes, en amont ou en aval de l'entreprise. Réduire les émissions du Scope 3 d'une entreprise implique donc de travailler sur l'ensemble de la chaîne de production et de distribution, clients et fournisseurs inclus.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.