Modalités de reconnaissance du chiffre d'affaires

Article écrit par (1328 articles)
Modifié le
3 537 lectures

La reconnaissance du chiffre d'affaires peut s'avérer délicate, notamment dans le cas de contrats de prestations de services complexes. Illustration avec un éclairage récent de la commission des études comptables, dans l'attente d'un prochain règlement de l'Autorité des normes comptables (ANC).

L'épineuse question de la reconnaissance du chiffre d'Affaires

La commission devait en effet se prononcer sur le cas d'une société spécialisée en solutions informatiques médicales (voir encart ci-dessous pour le détail du cas d'espèce).

Le cas soumis à la Commission des études comptables

Il portait sur une société qui fournit des prestations informatiques dans le cadre d'un contrat SaaS de 12 mois, reconductible tacitement. Ce contrat accorde un droit d'utilisation d'une licence pour une période d'un an.

En plus de ce droit d'accès, l'entreprise bénéficie de prestations de maintenance et d'hébergement, mais aussi d'une assistance téléphonique 24h/24. La redevance peut être payée en une seule fois ou étalée sur la durée du contrat. Aucune distinction n'est faite entre le coût de la licence, celui de la maintenance, de l'hébergement ou de l'assistance.

Lors de son analyse, la commission s'est heurtée à une difficulté majeure : l'impossibilité de scinder le coût des services en composantes distinctes. En effet, la redevance annuelle payée par le client ne détaille pas les coûts de chaque service. Plusieurs questions se posent :

  • comment comptabiliser cette redevance en chiffre d'affaires ?
  • faut-il l'enregistrer en une seule fois ou échelonner le montant sur la durée du contrat ?
  • faut-il décomposer la redevance en fonction des services fournis ?

Pour répondre à ces questions, il convient donc de déterminer si, techniquement, financièrement et opérationnellement, les prestations qui font l'objet d'un contrat sont dissociables. Après cette analyse, la Commission a conclu[1] qu'il s'agissait ici d'une prestation globale étalée sur toute la durée du contrat, le client ne pouvant pas utiliser la licence sans bénéficier des autres services. Le chiffre d'affaires devait donc être comptabilisé de manière linéaire sur toute la période du contrat.

Une définition du chiffre d'affaires a minima dans le Plan comptable général

Ce cas n'est pas isolé, car les entreprises proposent de plus en plus des prestations complexes qui posent de nouvelles questions en matière de traitement comptable du chiffre d'affaires.

Le plan comptable général est en effet relativement discret sur la définition et les modalités de comptabilisation du chiffre d'affaires.

« Le chiffre d'affaires correspond au montant des affaires réalisées par l'entité avec les tiers dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante » PCG, art. 512-2.

En l'absence de précision sur la notion d'activité, la doctrine considère que cette définition renvoie à une conception restrictive de la notion de chiffre d'affaires qui est en général égal au montant du compte 70 « Ventes hors taxe »[2].

Un projet de règlement ANC de 2019 mis en veille

L'Autorité des Normes Comptables n'est pas restée inactive face à cette complexité grandissante. En 2019, elle avait déjà publié un texte consacré à la reconnaissance du chiffre d'affaires, mis en veille depuis, qui posait le principe suivant :

« La comptabilisation du chiffre d'affaires à la date de délivrance des biens et/ou services constituant les livrables, objets d'un accord entre l'entité et le client. Les entités comptabilisent le chiffre d'affaires à la date ou sur la période de délivrance des biens et/ou services, objets du contrat conclu entre les entités et leurs clients (appelés livrables) », ANC, présentation du projet de règlement modifiant le plan comptable général relatif à la comptabilisation du chiffre d'affaires, nov. 2019.

On retrouve donc ici la logique mise en place au niveau international par la norme IFRS 15 (voir plus bas). Ce principe devait s'appliquer à tous les contrats sauf les contrats à long terme, dont les modalités de comptabilisation ne devaient pas être modifiées.

Le projet de règlement publié en 2019 apportait aussi plusieurs précisions et définitions utiles :

  • le livrable correspondrait au bien et/ou le service attendu par le client en application de l'accord de vente à partir duquel le client va pouvoir tirer avantage ;
  • la délivrance serait définie comme le transfert de la jouissance ou de la possession du bien au client, fait générateur de la comptabilisation du chiffre d'affaires.

Enfin, l'ANC prévoyait plusieurs modifications du plan comptable général, et notamment l'utilisation des comptes « 4872 Régularisation de marge » et « 7099 Rabais, remises et ristournes » pour la comptabilisation des régularisations de marge ;

Pour plus de détails sur ce projet de règlement, lire « Comptabiliser le chiffre d'affaires : les règles du PCG ».

Vers un nouveau règlement en 2023 ?

Aujourd'hui, le nouveau collège de l'Autorité travaille sur une mise à jour, qui pourrait être publiée en fin d'année 2023, avec une entrée en vigueur pour 2025 ou 2026.

« Nous pensions que ce texte, face à l'opposition des entreprises qui le trouvaient trop compliqué, serait abandonné. Cependant, il est de nouveau à l'ordre du jour et semble bien parti pour être adopté. Restons donc vigilants quant à ces communications », Jean-Charles Boucher, président de la Commission des études comptables, lors des Universités d'été 2023.

Un changement de perspective important est attendu. Jusqu'ici, la comptabilisation du chiffre d'affaires était souvent faite du point de vue de l'entreprise fournissant les services. Les travaux de l'ANC devraient proposer de se placer du côté du client. L'objectif est de mieux comprendre comment ce dernier perçoit la valeur des différents composants du contrat et d'ajuster la comptabilisation du chiffre d'affaires en conséquence.

La reconnaissance du chiffre d'affaires conformément aux normes internationales

Qu'en est-il en matière de comptabilité internationale ? Les normes IFRS, et la norme IFRS 15 en particulier (applicable depuis le 1er janvier 2018) définissent un modèle de comptabilisation du revenu prévu pour s'appliquer à tous les secteurs d'activité et indifféremment aux ventes de biens et prestations de service.

Cette norme définit de 5 étapes pour la comptabilisation du chiffre d'affaires :

  • l'identification du contrat ;
  • l'identification des obligations de performance au sein du contrat ;
  • l'évaluation du prix du contrat ;
  • l'allocation du prix du contrat à chaque obligation de performance ;
  • la comptabilisation du chiffre d'affaires lorsqu'une obligation de performance est satisfaite, soit à une date donnée, soit à l'avancement.

On retrouve ici la logique évoquée par la Commission des études comptables, qui consiste à « décortiquer » un contrat avant de l'analyser. Ainsi, pour déterminer si le chiffre d'affaires doit être reconnu à l'avancement ou bien à une date donnée, trois critères doivent être examinés :

  • le client bénéficie-t-il des avantages du service au fur et à mesure de la performance de l'entité ?
  • le client contrôle-t-il l'actif au fur et à mesure de sa construction par l'entité ?
  • les conditions suivantes sont-elles remplies :
    • l'actif n'a pas d'usage alternatif pour l'entité ;
    • l'entité dispose, à tout moment, en cas de résiliation par le client, d'un droit exécutoire au paiement de la valeur des travaux réalisés à date.

Lorsque l'un au moins de ces trois critères est rempli, le chiffre d'affaires est reconnu à l'avancement.

[1] Réponse EC 2023-09 de la Commission des études comptables

[2] Mémento Comptable 2023, Éditions Francis Lefebvre