Pierre Fruchard, co-fondateur de Pappers : « Nous utilisons la data pour construire des services dédiés aux professionnels du chiffre »

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Lancé en 2020, Pappers a surpris le marché de l'information juridique des entreprises en exploitant le potentiel de l'Open Data. 3 ans après, la jeune entreprise française annonce le lancement de Pappers Services, qui inclut une brique B2C, gratuite, et une brique B2B qui vise notamment les professionnels de l'expertise comptable.

Pierre Fruchard, co-fondateur de Pappers, répond à nos questions.

Un peu plus de 3 ans après son lancement, où en est Pappers ?

Pappers a bien grandi, et emploie désormais 30 personnes, principalement sur des postes techniques. En 2020, nous avions commencé avec l'information juridique des entreprises, puis nous avons progressivement élargi nos services avec d'autres moteurs de recherche tels que Pappers Justice et Pappers Politique. Notre ambition est à la fois simple et claire : devenir la meilleure source d'information juridique, légale et financière sur les entreprises en France.

Qu'en est-il de la santé financière de l'entreprise ?

Nous avons opté pour l'option légale de confidentialité des comptes, mais je peux vous confirmer que l'entreprise est solide et rentable. Nous ne faisons que de la croissance organique, car nous tenons à rester indépendants. Notre capital est totalement transparent : Antoine, mon frère, est à la fois notre actionnaire et notre mentor, tandis que Romain et moi sommes les deux actionnaires opérationnels.

Nous avons reçu de nombreuses sollicitations depuis notre lancement, mais nous n'avons jamais levé de fonds à ce stade. Nous le ferons peut-être un jour pour financer une éventuelle expansion dans d'autres pays européens.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre modèle économique ?

Notre modèle économique repose sur la fourniture de services, notamment l'API, les exports et les alertes. L'accès unitaire à notre base de données est en effet gratuit, mais nous proposons ces services de consommation en masse de la data pour des besoins spécifiques, tels que la prospection et la conformité réglementaire.

Au final, 1% de nos utilisateurs, nos clients, financent 99% des visiteurs, qui consultent Pappers gratuitement.

La profession comptable est-elle utilisatrice de vos services ?

Oui, certains éditeurs de logiciels comme Kanta, sur le sujet de la conformité anti-blanchiment, ou MyUnisoft, en comptabilité, utilisent déjà nos API. Certains cabinets utilisent directement nos services, notamment notre solution de surveillance, pour gérer proactivement leur clientèle et mettre en place des alertes.

L'annonce de Pappers Services, qui propose la gestion de formalités gratuitement, a pu inquiéter la profession comptable, très présente sur ce marché. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Pappers Services regroupe deux offres. La première est une offre B2C, gratuite. Elle n'est pas destinée au grand public, car elle n'inclut aucun conseil juridique. Elle permet donc aux personnes qui sont déjà familières avec le juridique des entreprises de réaliser, pour eux-mêmes, des démarches simples en ne s'acquittant que des frais de formalités. Ce service est pensé comme une alternative à la réalisation des démarches sur la plateforme du guichet unique, tout en minimisant les risques de rejet et en accélérant le processus.

Ensuite, nous proposons une offre B2B qui vise en priorité les experts-comptables. Il s'agit d'une solution technologique qui leur permet de gérer plus efficacement les formalités pour leurs clients et leur permet de se concentrer sur le conseil, là où ils peuvent véritablement apporter de la valeur ajoutée. Cette seconde offre est payante et a déjà remporté un vif succès auprès de cabinets comptables. 

L'option pour la confidentialité des comptes réduit le volume de données disponibles en Open Data. Quelle est votre stratégie face à ce changement ?

Effectivement, nous constatons que de moins en moins d'entreprises publient leurs comptes financiers. Nous ne cherchons pas à faire du lobbying pour changer les règles en vigueur. Notre approche de la data n'est pas militante, mais plutôt pragmatique : notre objectif est plutôt d'exploiter au mieux les données disponibles. Concrètement, nous agissons de deux manières.

D'abord, en appliquant strictement la loi qui prévoit deux niveaux de confidentialité : totale, ou partielle. La plupart de nos concurrents ne distinguent pas ces deux niveaux, et ne publient aucune information dans les deux cas. De notre côté, en cas de confidentialité partielle, nous publions les informations qui ne sont pas couvertes par l'option, telles que le bilan.

Ensuite, en travaillant sur de nouvelles manières d'évaluer les entreprises. Nous travaillons par exemple sur un système de scoring extra-financier à l'aide de données librement disponibles et de techniques de machine learning. Ce scoring ne remplacera évidemment pas la transparence financière, mais il permettra de se renseigner sur l'état général d'une entreprise avant d'entrer en relation d'affaires avec elle.

La CJUE[1] a rendu un arrêt qui semble restreindre la publication du registre des bénéficiaires effectifs. Intérêt général ou vie privée, comment trouver l'équilibre ?

Je n'ai pas de position militante à ce sujet, mais il faut bien reconnaître que la décision de la CJUE a généré un certain débat. Il est vrai que le registre des bénéficiaires effectifs révèle certaines informations sur les individus, et que le respect de la vie privée et la conformité avec le RGPD sont bien sûr des enjeux importants.

Toutefois, il me semble qu'un niveau encore plus détaillé d'information est déjà disponible en open data via le Répertoire national des entreprises (RNE). On peut trouver facilement dans les actes la date de naissance et l'adresse d'un dirigeant sans le RBE par exemple. Par ailleurs, l'intérêt général du registre des bénéficiaires collectifs me semble important, notamment en matière de lutte anti-blanchiment, ou contre le terrorisme. Cette transparence est également au service de la démocratie participative et me paraît donc fondamentale.

La solution se trouve peut-être dans une meilleure segmentation des accès, en créant de nouvelles catégories, comme celle des journalistes par exemple.

[1] Cour de Justice de l'Union européenne



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.
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