Comptabilisation de l'impôt minimal mondial de 15%

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L'instauration d'une imposition minimale, au taux de 15% pour les très grandes entreprises internationales soulève des questions sur le plan comptable. La directive européenne étant désormais transposée par la loi de finances pour 2024, faut-il comptabiliser des impôts différés à ce titre ?

L'Autorité des normes comptables (ANC) a apporté sa réponse dans le règlement n°2023-02, qui a été homologué le 26 décembre 2023 par un arrêté.

Cadre juridique de la taxation minimale mondiale

Le 14 décembre 2021, les pays du G20 ont adopté le cadre inclusif de l'OCDE sur le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting). Ce texte, qui prévoit l'instauration d'un niveau de taxation mondial minimum au taux de 15%, est souvent désigné par l'expression « Pilier Deux de l'OCDE ». A ce jour, 141 pays en sont signataires.

Les modalités d'application de ce texte au niveau européen sont prévues par la directive 2022/2523 du 14 décembre 2022. Tous les États membres de l'Union européenne, dont la France, avaient jusqu'au 31 décembre 2023 pour la transposer dans leur droit national. Les règles globales anti-érosion de la base d'imposition (GloBE), entreront ainsi en vigueur le 1er janvier 2024 dans de nombreuses juridictions.

La loi de finances pour 2024 transpose en droit interne la directive « Pilier 2 » et instaure une imposition minimale mondiale de 15% pour les groupes d'entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure au sein de l'Union européenne, c'est-à-dire les société ou groupe de société dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur ou égale à 750M¤ sur 2 des 4 derniers exercices.

Il est à noter que la loi de finances reprend fidèlement l'essentiel des dispositions de la directive, avec néanmoins quelques ajustements.

Un chapitre est inséré au sein du Code général des Impôts, à savoir l'imposition minimale mondiale des groupes d'entreprises multinationales et des groupes nationaux. Les dispositions se retrouvent aux articles 223 VJ et suivants du CGI.

Cet impôt se déclenche si le taux effectif d'imposition applicable aux entités situées en France est inférieur à 15%.

L'impôt minimum mondial s'applique aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023.

Entités concernées

L'impôt vise les groupes au chiffre d'affaires consolidé de l'entité mère ultime supérieur ou égal à 750 millions d'¤ par an sur au moins 2 des 4 exercices fiscaux précédents (sauf exclusion spécifique, telles que les entités publiques, organisations internationales etc.).

Une entité mère ultime est une entité tenue de consolider par la méthode de consolidation globale une autre entité dans ses états financiers consolidés sans être détenue par une entité dans les mêmes conditions.

Celles-ci doivent donc s'acquitter d'un impôt minimal de 15%, grâce à 3 notions clés :

  • le taux effectif d'imposition (TEI) ;
  • la règle d'inclusion du revenu (RIR) ;
  • la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII).

Pour rappel, lorsque le TEI est insuffisant, un impôt complémentaire est acquitté par les entreprises concernées par le dispositif pour garantir une imposition effective mondial minimum à hauteur de 15%.

Toutefois, il existe des régimes de protection permettant de réputer nul ledit impôt complémentaire dès lors que celui-ci ne sera vraisemblablement pas dû. C'est notamment le cas au titre de la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés « RBII » dans la juridiction de l'entité mère équipé d'un impôt sur les société avec un taux normal d'aux moins 20M. C'est aussi le cas pour les groupes d'entreprises multinationales en phase de démarrage de leurs activités internationales ainsi que les groupes nationaux, pour lesquels une exonération temporaire de 5 ans est prévue.

Elles doivent par ailleurs respecter des obligations déclaratives importantes, qui inquiétaient déjà plusieurs sociétés commerciales concernées :

« [Ces] acteurs, auxquels se sont joints le Medef, l'Association française des entreprises privées (Afep) ou la Fédération bancaire française [...] s'alarment de la quantité et du type d'informations qui devront être fournies dans les déclarations envoyées aux administrations. Ils expriment aussi leurs « vives inquiétudes » quant à la protection des données économiques sensibles. [...] Ils estiment en particulier que s'ils paient déjà plus de 15 % d'impôt dans un pays, ils ne devraient pas être obligés de se livrer à des calculs nouveaux pour fournir des données sur chaque entité juridique et sur l'activité consolidée dans ce pays »[2].

En pratique, les obligations déclaratives sont les suivantes :  

  • les entités concernées doivent indiquer dans leur déclaration de résultat qu'elles appartiennent à un tel groupe, c'est-à-dire ceux assujettis aux règles GloBE, en renseignant l'identité de l'entité mère ultime, de l'entité déclarante le cas échéant et leur juridiction respective ;
  • les entités concernées doivent déposer la déclaration d'information au titre de l'impôt complémentaire (GIR en anglais), dans un délai de 15 mois suivant la clôture (ou 18 mois si c'est la première fois) ;
  • dans ces mêmes délais, chaque entité constitutive doit déposer un relevé de liquidation au titre de l'impôt complémentaire le cas échéant.

Faut-il comptabiliser dans les comptes consolidés l'impôt différé lié à la taxation minimale de 15% ?

Compte tenu du périmètre de la mesure, les entités concernées sont essentiellement les groupes qui présentent des comptes consolidés, la plupart du temps en IFRS. Cette imposition à venir soulève donc une question technique : faut-il comptabiliser un impôt différé à ce titre ?

Qu'est qu'un impôt différé ?

Les impôts différés peuvent avoir un caractère actif (créance) ou passif (dette). Il reflète la façon dont l'entreprise s'attend, à la fin de la période de reporting, à recouvrer ou régler la valeur comptable de ses actifs et passifs. Cela implique donc de tenir compte :

  • du taux d'impôt qui sera applicable à terme ;
  • et de la base fiscale de l'actif ou du passif à cette date.

Pour rappel, ce dispositif tout juste transposé en droit français par l'article 33 de la loi de finances, aux articles 223 VJ et suivants du CGI, n'est pas entré en vigueur dans l'ensemble des pays signataires de l'accord. Par ailleurs, selon les modalités de détermination du bénéfice imposable pour l'application de ce dispositif semblent particulièrement complexes, avec de nombreux retraitements, de l'avis de Jean-Charles Boucher, président de la Commission des études comptables de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)[3].

La position simplificatrice de l'IASB

Les normes IFRS ont été assez simplificatrices en la matière, en permettant aux entreprises de ne pas comptabiliser l'impôt différé tant que le texte n'est pas définitivement arrêté. Cette simplification a pris la forme de modifications de la norme IAS 12.

En pratique, au titre des exercices clos au 31 décembre 2023, les entités concernées doivent apporter en annexe des informations qualitatives et quantitatives. Ceci inclut notamment la part des bénéfices qui serait soumise à de l'impôt complémentaire et le taux effectif d'impôt moyen sur ces bénéfices. Lorsque l'entité est dans l'impossibilité de donner ces éléments, elle doit le préciser. A compter des exercices clos au 31 décembre 2024, l'annexe devra également contenir des informations relatives à la charge d'impôt exigible résultant de la constatation de l'impôt complémentaire (top-up tax).

Pour fonder ce changement, le normalisateur international évoque « des calculs extrêmement compliqués à l'égard de l'impôt différé dans un contexte déjà très volatil compte tenu du fait que l'application des règles de l'OCDE par les différents territoires se fera à des rythmes et à des moments différents »[4].

Une position similaire de l'Autorité des normes comptables

L'Autorité des normes comptables a suivi la même logique dans son projet de règlement n°2023-02, qui a été homologué par un arrêté du 26 décembre 2023. Ce règlement prévoit ainsi que l'application du dispositif ne donne pas lieu à la comptabilisation d'actifs ou de passifs différés même après la transposition de la directive. Des informations complémentaires devront toutefois être portées dans l'annexe aux comptes annuels.

« Il faudra donner un peu d'informations en annexe pour préciser l'impact que pourrait avoir cette imposition forfaitaire internationale dans les comptes du groupe », Jean-Charles Boucher, président de la Commission des études comptables de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)[5]

[1] Pilier 2 : analyse économique d'une utopie fiscale, par Julien Pellefigue, Ghislain Papeians, publié sur https://blog.avocats.deloitte.fr/

[2] Impôt minimum mondial : le coup de pression des entreprises françaises, Les Echos, 2 mars 2023

[3] Position exprimée lors des Universités d'été 2023, lors de l'atelier « Panorama de l'actualité comptable ».

[4] Voir « L'IASB publie les modifications d'IAS 12 pour offrir des exceptions temporaires à l'application des dispositions sur les actifs et les passifs d'impôt différé en lien avec les règles sur les impôts du deuxième pilier », sur le site d'IAS Plus.

[5] Position exprimée lors des Universités d'été 2023, lors de l'atelier « Panorama de l'actualité comptable ».