Acquisition de congés payés pendant la maladie

Article écrit par (1328 articles)
Publié le
Modifié le 11/07/2024
8 991 lectures

Un projet de loi d'adaptation du droit national au droit de l'Union européenne (loi « DDADUE »), définitivement adopté le 10 avril 2024, modifie le régime des congés payés (CP) des salariés en arrêt de travail pour maladie ou accident. Il pose le principe du droit à acquisition des CP pour les salariés en arrêt de travail pour maladie ou accident, que celui-ci soit d'origine professionnelle ou non.

Compte tenu des changements intervenus ces derniers mois en la matière ayant conduit à l'adoption de la loi et des conséquences financières pour les employeurs, un rapide rappel s'impose.

Contexte conduisant à l'adoption de la loi « DDADUE »

Jusqu'à présent, la loi assimilait les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle (AT/MP) à des périodes de travail effectif pour la détermination de la durée des CP, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an (C. trav., art. L. 3141-5). Autrement dit, ces périodes étaient prises en compte pour l'acquisition des droits à CP dans une certaine limite (durée de suspension d'un an ininterrompue au maximum).

Ainsi, même en période d'absence, le salarié pouvait accumuler des droits à CP comme s'il avait effectivement travaillé, dès lors que cette absence était justifiée par un AT/MP.

Toutefois, d'une part, l'acquisition de droits à CP était limitée dans le temps et, d'autre part, ce droit n'existait pas en cas d'arrêt de travail pour accident ou maladie non professionnelle. En d'autres termes, dans ce dernier cas, le salarié n'acquérait aucun droit à CP durant son absence.

Or, si la différence de traitement entre les salariés absents pour accident et maladie non professionnels et ceux absents pour AT/MP et la limitation dans le temps du droit à acquisition des CP pour ces derniers, ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 8 févr. 2024, n° 2023-1079), la Cour de cassation, s'appuyant sur la législation et la jurisprudence européennes, a écarté les dispositions du droit français sur l'acquisition des CP (Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 22-17.638 ; Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 22-17.340).

En effet, pour le droit de l'Union européenne, les salariés doivent au moins bénéficier de 4 semaines de CP au cours d'une année de travail, même s'ils connaissent des périodes d'arrêt de travail pour maladie.

La loi « DDADUE », dont la publication au JO est attendue prochainement, tire donc les conséquences de ces divers changements.

Principales mesures de la loi « DDADUE » sur l'acquisition des congés payés



Acquisition de congés payés pendant l'arrêt de travail quelle que soit l'origine de la maladie

Qu'un accident ou une maladie motivant un arrêt de travail soit d'origine professionnelle ou non, la loi nouvelle pose le principe d'une assimilation totale de cette période d'arrêt à du travail effectif au regard du droit à CP.

Par conséquent, tout arrêt maladie, qu'elle qu'en soit l'origine, ouvre désormais droit à CP.

La règle vaut aussi pour les travailleurs temporaires. Ces périodes d'arrêt sont totalement assimilées à du temps de mission. La loi en profite d'ailleurs pour élargir cette assimilation aux périodes de congé de paternité et d'accueil de l'enfant, au même titre que tout autre salarié.

Pour information, le Conseil d'État a rendu le 28 mai 2024 une décision importante en reconnaissant le syndrome d'épuisement professionnel (ou burn-out) pour justifier un arrêt de travail.

Accusée par un employeur d'avoir délivré un arrêt de travail de complaisance pour burn-out, une médecin mosellane avait été sanctionnée par l'ordre des médecins. Cette sanction, confirmée en appel, a été invalidée par le Conseil d'État.

Dans cette décision du 28 mai, la plus haute instance administrative a jugé que les arrêts de travail pour burn-out ne sont pas des arrêts de complaisance, estimant que l'absence d'une analyse du médecin du travail ne suffit pas à caractériser un certificat tendancieux (Conseil d'État, 28 mai 2024, n°469089).

Nombre de jours acquis durant la période de suspension

Suivant le principe général d'acquisition des CP, les salariés en arrêt de travail pour un accident ou une maladie d'origine professionnelle bénéficient de 2,5 jours ouvrables de CP par mois de travail effectif (donc, ici, par mois de suspension du contrat de travail), la durée totale du congé ne pouvant excéder 30 jours ouvrables.

En revanche, par dérogation, lorsque l'origine est non professionnelle, les CP sont acquis dans la limite de 2 jours ouvrables par mois (donc, 4 semaines par an ou 24 jours par période de référence, conformément au droit européen).

Cette dérogation entraîne une adaptation des modalités de calcul de l'indemnité de congés payés (ICP). En effet, le congé annuel ouvre droit à une indemnité égale au 1/10e de la rémunération brute totale perçue par le salarié, pour laquelle il devra désormais être tenu compte des périodes d'arrêt de travail pour maladie ou accident non professionnels, dans une limite fixée à 80% de la rémunération associée à ces périodes. Reste que l'ICP est calculée par comparaison entre 2 modes de calcul et que seul le montant le plus avantageux est versé au salarié. Il faudra donc comparer ce montant du 1/10e, calculé avec la limite à 80%, avec celui obtenu avec la règle du maintien de salaire (ICP = rémunération que le salarié aurait perçue s'il avait continué à travailler).

Droit au report des jours de congés payés non pris

Autre conséquence des décisions de la Cour de cassation prise en compte par la loi, les salariés pourront reporter leurs CP non pris en raison d'une maladie ou d'un accident (professionnel ou non) dans le délai limite de 15 mois :

  • dans le cas général, à compter de l'information du salarié par son employeur du nombre de jours de congés dont il dispose (v. infra) ;
  • par dérogation, pour les salariés en arrêt maladie depuis plus d'un an et dont le contrat de travail est toujours suspendu, à compter de la fin de la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis.

Le salarié bénéficie donc d'une période de 15 mois pour utiliser ses CP non pris, sauf dispositions conventionnelles d'entreprise (ou d'établissement) ou, à défaut, de branche, prévoyant un délai de report supérieur.

Obligation d'information du salarié concernant le report

La loi « DDADUE » instaure une nouvelle obligation d'information à la charge de l'employeur à l'issue de l'arrêt de travail (là encore, que la cause soit professionnelle ou non).

En effet, dans le mois suivant la reprise du travail, l'employeur doit, par tout moyen (notamment via le bulletin de paie), tenir informé le salarié du nombre de jours de congés acquis et de la date limite de report.

Application rétroactive de la loi « DDADUE »

La loi « DDADUE » prévoit expressément que les nouvelles règles d'acquisition (à l'exception de l'acquisition de congés pendant les périodes de suspension pour AT/MP excédant la durée d'un an), et de report des droits à CP s'appliquent rétroactivement pour la période courant à compter du 1er décembre 2009, sous réserve :

  • des décisions de justice passées en force de chose jugée, ou ; 
  • de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d'acquisition des droits à congés.

Important

Les éventuels congés supplémentaires acquis entre le 1er décembre 2009 et l'entrée en vigueur de la loi, ne pourront excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de 24 jours ouvrables de congé, après prise en compte des jours déjà acquis, pour la même période, en application des dispositions légales antérieures.

Toute action en exécution du contrat de travail visant à réclamer des congés qui auraient dû être acquis au cours de périodes d'arrêt maladie depuis le 1er décembre 2009, doit être introduite dans un délai de 2 ans à compter de la publication de la loi, à peine de forclusion.

En revanche, si le contrat de travail est rompu à la date d'entrée en vigueur de la loi, l'action du salarié en paiement des salaires devrait être soumise à la prescription de droit commun de 3 ans.

Conséquences comptables de ces évolutions législatives

Suite aux décisions de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 et à la loi DDADUE du 22 avril 2024, la Commission des études comptables de la CNCC a publié, début juillet 2024, une note pour clarifier les conséquences comptables de ces évolutions législatives.

Selon la CNCC, les entreprises doivent ajuster leurs dettes pour congés payés en tenant compte des nouvelles règles. Cette mise à jour doit se faire avec l'aide de conseils juridiques pour évaluer les impacts et les risques de régularisation.

La note précise également que l'évaluation du passif doit intégrer divers éléments :

  • application rétroactive à partir du 1er décembre 2009 pour les arrêts liés à des maladies non professionnelles ;
  • limite de 2 jours ouvrables/mois et 24 jours/an pour les arrêts liés à des maladies non professionnelles ;
  • report de 15 mois des congés acquis avant et pendant l'arrêt de travail, si ces derniers n'ont pas été pris durant la période de référence.

La CNCC recommande de comptabiliser ces passifs comme des provisions pour risques, en fonction de la probabilité que les salariés réclament leurs droits dans les délais légaux (pour rappel, 2 ans pour les salariés en poste et 3 ans pour ceux ayant quitté l'entreprise).

Les entreprises doivent utiliser les meilleures estimations pour évaluer ces passifs et doivent enregistrer tout ajustement en résultat de l'exercice en cours (conformément à l'article 122-5 du PCG).

Enfin, les annexes des comptes annuels et consolidés doivent détailler les circonstances de l'ajustement de la dette pour congés payés, les hypothèses retenues pour l'évaluation des provisions pour risques, et les incertitudes restantes.

Pour plus de précisions, consultez la note de la CNCC.