[Tribune] ECF : les experts-comptables sans enthousiasme ?

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Serge Heripel, vice-président de l'organisme de gestion agréé (OGA) France gestion, soulève dans cette tribune personnelle une série de questions sur l'examen de conformité fiscale (ECF). Il s'interroge notamment sur les modalités pratiques d'une possible collaboration entre OGA et experts-comptables.

« [L'ECF] faut-il y aller ? Bah oui !! C'est une mission accessible à tous les cabinets contrairement aux missions RSE ou cybersécurité qui nécessitent une vraie expertise » [1].

On ne peut qu'être d'accord avec cette remarque qui rappelle, à juste titre que l'expert-comptable est en pole position pour s'approprier cette nouvelle (?) mission balayant, en principe, à la fois commissaire aux comptes et OGA. Certains semblent cependant pris d'un doute : l'ECF ne passionnerait pas les experts-comptables surtout pour les « petits dossiers ». Par ailleurs, la majorité d'entre eux ne semble pas avoir pris connaissance du Cerfa 3030, le compte rendu de mission !

Il est vrai que les premiers chiffres ne sont pas enthousiasmants : avec 21 000 experts-comptables et 3 millions d'entreprises, l'administration annonce 21 000 ECF... s'agit-il d'ailleurs d‘ECF exécutés ou simplement du nombre de cases cochées correspondant à l'engagement de remplir un compte-rendu de mission d'ECF avant le 31 octobre ?

Ce résultat (décevant) expliquerait-il ce message remarqué des représentants du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables (CSOEC) :

« L'expert-comptable qui ne voudrait pas réaliser lui-même l'ECF peut se rapprocher de ses partenaires habituels pour réaliser cette mission dont notamment les Organismes de Gestion Agréés (OGA) qui ont l'habitude de réaliser des missions complémentaires en relation avec les cabinets d'expertise comptable » [2].

Au delà du fait qu'avec la suppression de l'avantage fiscal pour adhésion à un organisme de gestion agréé, le fameux « 1,25 », le statut OGA aura disparu le 1 janvier 2023, est-ce aussi simple pour les futurs ex-OGA de se saisir de la mission ECF sur des dossiers dans lesquels l'expert-comptable intervient ?

Dans le cas d'une collaboration OGA/expert-comptable, de nombreuses questions restent en suspens

La première question à laquelle il convient de répondre est relative à la lettre de mission : celle-ci sera-t-elle signée entre l'OGA et l'entreprise ou entre l'expert-comptable et son client, l'OGA n'étant alors que le « sous-traitant » de l'expert-comptable ? L'esprit des textes actuels laisse à penser qu'il convient de retenir la première hypothèse.

Se pose alors une deuxième question : 80% (au moins ...) de la mission ECF étant déjà réalisés par l'expert-comptable on ne peut imaginer que l'OGA reprenne la totalité du « chemin d'audit » ; comment dès lors « partager », « transférer » les travaux déjà réalisés ?

Questions annexes à ce deuxième point important :

  • l'expert-comptable établira-t-il, pour l'OGA, une attestation pour justifier le travail d'examen déjà effectué ?
  • si oui une telle collaboration s'inscrit-elle dans l'esprit de l'ECF ?
  • l'OGA devra-t-il impérativement vérifier la qualité des contrôles de l'EC...ou les effectuer tous lui-même ?

Une fois la réponse apportée à ces deux questions, les plus de 40 années de relations entre experts-comptables et OGA (« partenaires habituels » selon le CSOEC) montrent que relever des anomalies et surtout en demander la rectification (voir le CRM imprimé Cerfa 3030) n'est pas chose aisée.

Voici donc pêle-mêle quelques questions qu'il convient de se poser :

  • l'ECF par les OGA sera-t-il effectué avant ou après le dépôt de la déclaration fiscale ? (l'ECF peut être réalisé dans les 6 mois de la clôture de l'exercice ou avant le 31 octobre)
  • comment l'OGA accèdera-t-il aux pièces comptables du client ?
  • que se passera-t-il en cas de désaccord entre l'EC et l'OGA ? en cas de refus de dépôt de déclaration rectificative ?
  • qui répondra aux questions à caractère technique posées par l'OGA ?
  • comment gérer cette improbable hypothèse : « doute sérieux sur pièces justificatives» ? (À elle seule une telle hypothèse n'interdit elle pas l'établissement du CRM ?)
  • mais au fait qui a imaginé ce Cerfa 3030 ? 

L'ECF, un examen périodique de sincérité qui ne dit pas son nom ?

Cette liste d'interrogations très loin d'être limitative laisse à penser que l'ECF réalisé par l'OGA sur un dossier d'expert-comptable ressemblera furieusement à un EPS (examen périodique de sincérité tant décrié !) réalisé aujourd'hui par... les OGA mais largement renforcé !

Le CRM 3030 est encore plus rigide, plus fermé qu'un rapport de commissaires aux comptes : aucune place pour des réserves, des incertitudes... ne sont prévues, que des situations « OK » « PAS OK ».

Alors retour à la case départ ? On réinvente des « OGA bis » ... mais sans incitation fiscale ? (ces réflexions n'engagent en aucune manière l'OMGA dont je ne suis que l'un des administrateurs).


 

Serge Heripel est expert-comptable retraité et vice-président de l'organisme mixte de gestion agréé France Gestion.