LF2023 : Entretien avec Mohamed Laqhila, vice-président de la Commission des finances

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Mohamed Laqhila, expert-comptable et commissaire aux comptes, député des Bouches-du-Rhône et vice-président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale répond aux questions de la rédaction de Compta Online concernant la loi de finances pour 2023.

Quel sera l'impact de ce texte récemment adopté sur l'activité future des membres de la profession et sur leurs principaux clients, les TPE-PME ?

Le point de vue d'un professionnel du Conseil et du Chiffre au c½ur du processus législatif.

Quel regard général portez-vous sur la loi de finances pour 2023 ? 

Il faut remettre cette loi de finances pour 2023 dans ses contextes économique et social. Elle intervient aux lendemains d'une crise sanitaire sans précédent qui a fortement impacté notre tissu économique. Mais également en pleine crise énergétique où le pouvoir d'achat de nos concitoyens, que nous avons eu à c½ur de protéger depuis des années, risquait de se trouver fortement impacté.

Selon moi, c'est un bon texte. C'est le premier texte financier de la législature qui comprend de belles avancées (ex : CVAE, assurance récolte, transition énergétique).

Mais je pense que nous manquons encore un peu d'ambition dans les réformes en matière de réduction des dépenses publiques et de levées de certains freins (fiscaux, administratifs, sociaux) pour lesquels je dois avouer ne pas toujours bien saisir les arguments opposés par l'administration centrale.

Quelles sont selon vous les mesures les plus importantes pour les TPE-PME françaises ?

La mesure la plus importante est la hausse du plafond de l'IS-PME à 42 500¤, grâce à un amendement de mon groupe Démocrate à l'Assemblée, même si cette hausse reste modeste. Nous sommes favorables au réhaussement régulier de ce seuil et nous aurions souhaité, au sein des Commissaires finances MoDem, aller plus loin (52 170¤) pour suivre l'inflation. On continuera de travailler sur le sujet.

Aussi, je souhaite évoquer l‘adoption de l'article 23 qui clarifie les règles sur la cession d'entreprise individuelle. Il est la suite logique de la loi sur les indépendants de janvier 2022 qui est une loi vraiment centrale et pour laquelle j'avais ½uvré avec mon collègue Jean-Paul Mattei.

La suppression progressive de la CVAE, compensée par le transfert d'une fraction de TVA, ne risque-t-elle pas d'amenuiser le lien fragile entre collectivités et tissu économique local ?

La CVAE était un mauvais impôt car il ne tenait pas compte des résultats des entreprises et venait donc essentiellement renforcer les difficultés de celles qui ne dégageaient pas de profits. Il était nécessaire de le supprimer au profit d'un meilleur mode de compensation qui permette d'intégrer le dynamisme économique des communes dans le mode de calcul.

Par la suppression de la CVAE nous poursuivons notre engagement de baisse des impôts et taxes et notamment des impôts de productions.

Les collectivités sont, structurellement, plutôt dans une bonne situation financière (même si elles sont également fortement impactées par la hausse du coût de l'énergie, pour laquelle nous avons répondu par des aides et accompagnements pour y faire face).

Les nombreuses réformes de la fiscalité locale ces dernières années interrogent toutefois sur les modes de financement des collectivités. Il est temps de réfléchir, sur le long terme, à une réforme très large de la fiscalité locale pour remplacer les vieilles impositions par des impositions plus adaptées à la France d'aujourd'hui.

Un amendement adopté au Sénat et rejeté ensuite prévoyait la prolongation d'un an de l'absence de majoration du bénéfice des entreprises adhérentes à un OGA. Pensez-vous, comme le rapporteur Cazeneuve, que « le décret du 7 octobre 2021 a permis aux centres de gestion agréés de diversifier les missions des OGA » ?

Je pense effectivement que les OGA ont bénéficié d'une longue période pour diversifier leurs missions. La seule question que les OGA doivent se poser est la suivante : Est-ce que la ou les missions proposées sont utiles à leurs adhérents et à l'intérêt général ?

J'avais en 2017 proposé sans succès un amendement pour rendre obligatoire une mission de contrôle permanent accordés aux OGA pour les TPE et alléger ainsi les contrôles de l'administration fiscale.

Les OGA développent de plus en plus des formations en faveur des TPE et notamment avec un accompagnement dans le numérique, ils ont la possibilité aujourd'hui de proposer des missions d'Examen de Conformité Fiscale (ECF).

L'augmentation du coût de l'énergie est une des principales préoccupations des TPE/PME à l'heure actuelle : les dispositifs votés sont-ils adaptés aux petites entreprises [les députés Horizon ont notamment exprimé des inquiétudes à ce sujet] ?

Oui et non.

Oui d'abord parce que l'effort budgétaire avec la mise en place du bouclier tarifaire pour aider les entreprises à faire face à cette hausse du coût des énergies a été considérable.

Mais force est de constater qu'aucun dispositif n'est parfait ni suffisant. On le constate aujourd'hui avec nos artisans boulangers qui sont de plus en plus nombreux à devoir suspendre leur activité ne pouvant assumer cette hausse soudaine.

Le président de la République lui-même a récemment annoncé que toutes les TPE non éligibles au bouclier tarifaire qui font face à des contrats énergétiques excessifs pourront les renégocier afin de bénéficier des prix de l'électricité actuels. Leur fournisseur devra leur proposer un nouveau contrat d'ici la fin du mois de janvier.

On a essayé de faire de la dentelle pour chaque situation alors que nous devrions apporter une réponse globale ambitieuse en matière de transition énergétique et d'investissements massifs dans des modes de consommation alternatifs.

L'État a ainsi mis en place un point de contact par département pour accompagner l'ensemble des TPE qui rencontrent des difficultés face aux prix de l'énergie.

J'ai également constaté que nombre d'entreprises n'étaient pas vraiment au fait des différentes aides qui leurs sont destinées. Là est le rôle essentiel des professionnels du Conseil et du Chiffre qui ne doivent pas hésiter à accompagner nos chefs d'entreprise vers les interlocuteurs privilégiés.

La taxe sur les superprofits a beaucoup agité l'Assemblée : qu'est-ce qui a motivé le rejet de cette proposition ? 

À titre personnel et pour des raisons de cohérence, j'étais et suis farouchement opposé à cette proposition comme à toutes celles qui pourraient envoyer un mauvais signal à nos entreprises qui, dès 2017 ont fondé tous leurs espoirs sur les trajectoires économique et fiscale proposées par Emmanuel Macron.

On ne peut pas avoir, 5 années durant, tout mis en ½uvre pour supprimer les freins au développement économique de nos entreprises puis imposer une nouvelle forme d'imposition à celles-ci.

Nous avons mis en place le principe de la « Flat-tax » pour justement pousser les entreprises concernées à distribuer davantage et percevoir un forfait sur cette distribution. Je trouvais cette mesure incitative et de bon sens. Je crains qu'avec la création d'une taxe sur les superdividendes on n'ait l'effet inverse.

Bien évidemment cela n'aurait concerné que les très gosses sociétés, mais en termes de symbolique, de visibilité pour elles et de clarté du message public, créer cette taxe sur les superdividendes n'est pas une bonne annonce. Car je reste convaincu qu'in fine, c'est davantage d'investissements et de création d'emplois qui en auraient pâti.

Quel est votre message aux experts-comptables qui, sur le terrain, vont être les relais de ce texte auprès des entreprises ?

Aujourd'hui plus que jamais les experts-comptables ont toute leur place à prendre auprès du monde économique en général et de nos TPE/PME en particulier.

Je le rappelle à nouveau, les experts-comptables par leur prise directe avec la réalité quotidienne de notre tissu économique, sont les plus à même d'accompagner nos entreprises vers un chemin vertueux.

Ils sont les interlocuteurs privilégiés face à ce mastodonte qu'est l'administration fiscale.

De plus, leur technicité et leur pragmatisme en font des professionnels incontournables, véritables acteurs, ou devrais-je dire « réacteurs », de notre économie.

Le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables est un acteur majeur et une force de proposition en matières fiscale, sociale, environnementale, etc.

Il l'a fait régulièrement par l'intermédiaire de son président Lionel Canesi avec des propositions en faveur de nos entreprises, j'espère que la nouvelle présidente Cécile de Saint Michel poursuivra ce travail de contact permanent avec le Parlement et le Gouvernement.



Maxime Navarrete
Responsable de l'actualité professionnelle de Compta Online, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Après 8 ans en tant qu'éditeur juridique puis rédacteur en chef de Lexis 360 experts-comptables chez LexisNexis, je rejoins l'équipe Compta Online en octobre 2021.
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