Le malheur des uns fait-il le bonheur des autres ?

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Une tribune de Serge Heripel.

Les uns

Chargés d'une « mission régalienne » confiée par le législateur, ils étaient persuadés être indispensables.

Leur visa donnait droit à un avantage fiscal substantiel qu'il était difficile de refuser.

Les adhésions affluaient. Malheur à celui qui, concerné par l'avantage fiscal, l'aurait refusé... aurait-il quelque chose à cacher ?

La baisse du nombre de bénéficiaires fit naître une certaine inquiétude quant à l'avenir des UNS. Certains chefs d'entreprise choisissaient la simplification et l'absence totale de contrôle avec le statut d'auto-entrepreneur, d'autres la société soumise à l'IS permettant d'habiles arbitrages.

Qu'à cela ne tienne les UNS devaient démontrer au législateur et à l'administration fiscale l'importance de leur rôle pour la bonne connaissance des revenus de certains chefs d'entreprise et professionnels libéraux. L'administration fiscale, qui appréciait leur efficacité, leur confia même le contrôle de la TVA puis, quelque temps après encore mieux, ils imaginèrent l'EPS Examen Périodique de Sincérité. Leur compte rendu de mission était fort apprécié par Bercy.

Au bout de plus de quarante années de loyaux services sans doute sous la pression à la fois des contribuables qui subissaient une majoration de leurs revenus car non adhérents des UNS, des agents de l'administration qui ont toujours vu d'un mauvais ½il ce « contrôle privatisé » de certains dossiers et des experts-comptables qui n'ont jamais accepté que les UNS contrôlent leur travail, la suppression de l'avantage fiscal décidé par le législateur signait le début de la fin pour les UNS.

Comme toujours dans ce genre de situation, un vague sursis leur fut accordé : d'abord le maintien d'un crédit d'impôt pour une petite partie de leurs adhérents et surtout le législateur leur confia (à eux aussi) l'examen de conformité fiscale, l'ECF. Bien qu'en concurrence frontale avec les experts-comptables, les UNS pensaient avoir trouvé là leur planche de salut. Dans sa grande magnanimité le législateur autorisa les UNS à proposer de nombreux services de conseils aux entreprises les balançant ainsi dans le grand bain de la concurrence.

Persuadés avoir parfaitement rempli la mission qui leur a été confiée, les UNS pensent aujourd'hui qu'ils sont bien mal récompensés...

Les autres

Bénéficiaires d'un « monopole » confié par le législateur depuis 1945, les AUTRES sont persuadés être incontournables, eux aussi...

La fin programmée des OGA est pour eux « pain béni ».

Ils retrouvent avec délectation leur place de « chouchou » de l'Administration.

Nul besoin du visa des UNS, exit leurs questions mesquines.

Mieux encore, l'administration fiscale a imaginé pour eux cette nouvelle mission, l'ECF, l'examen de conformité fiscale. Les AUTRES réalisant naturellement 80% de cet ECF, les UNS feront-ils le poids ?

Les AUTRES retrouvent le rôle qu'ils préfèrent entre tous, celui de garant de la détermination avec sérieux et rigueur de l'assiette fiscale. Sans eux, l'administration fiscale ne risquerait-elle pas une baisse significative des rentrées fiscales en provenance des entreprises et professionnels libéraux ?

Un sage de la profession, Philippe Barré, écrivait en 2017 :

« En pratique, les experts-comptables se sont mis, peu à peu, au service de l'État avant d'être à celui de leurs clients. L'incessante recrudescence des obligations administratives a phagocyté toute l'activité des cabinets ».

Et aussi :

« En d'autres termes, l'État est devenu, au fil des ans, notre seul vrai client. Un client particulier qui ne paie pas la prestation, mais la choisit »[1].

Cinq années plus tard, les AUTRES sont heureux de rendre un nouveau service à leur principal client ! Sous l'½il amusé des fonctionnaires, les AUTRES ont donc gagné contre les UNS... vive l'ECF ! et vive le « monopole » (à ce stade de ma rédaction, me revient en mémoire une fable de La Fontaine qui interroge : en échange de la sécurité et du bien-être, faut-il sacrifier sa liberté ?[2]).

Sauf que... l'ECF est-il vraiment utile ? Le « monopole » n'est-il pas la « peau de chagrin » de l'expert-comptable tant il est contesté juridiquement que... techniquement ? La profession reste persuadée que l'administration fiscale compte sur les experts-comptables pour faire en sorte que l'assiette fiscale soit déterminée avec sérieux et rigueur. Ils sont le rempart contre le déferlement d'illégaux devenus spécialistes de la pré-comptabilité grâce à de redoutables outils numériques qui réalisent plus de 90% de ce qu'il est convenu d'appeler « tenue de comptabilité ».

Sans eux, les redressements fiscaux devraient pleuvoir sur les chefs d'entreprise séduits par ces nouveaux prestataires de services. Sans eux devraient augmenter les erreurs de gestion, les mauvais choix d'un statut ou d'une option non optimisée.

Sauf que... deux révolutions vont profondément modifier le « paysage comptable » : l'intelligence artificielle et la facture électronique. Face à elles le bouclier « monopole » n'aura plus aucune efficacité (nul besoin de le supprimer) la « tenue de comptabilité » aura vécue !

Le législateur (et Bercy) se sont servis des OGA tant que ceux-ci leur rendaient service. En sera-t-il de même avec les experts-comptables ? On leur confie aujourd'hui la mission ECF pour montrer combien l'État a besoin d'eux (pour les rassurer ?). Avez-vous d'ailleurs remarqué ? Comme pour les OGA, Bercy leur demande de remplir un CRM (CERFA bien sûr). Il suffirait de peu pour qu'ils deviennent eux aussi... agréés (vous imaginez des experts-comptables agréés ? je plaisante...) !

Sauf que... ça bouge !!!!

Demain, avec la facture électronique tout le « processus TVA » sera entre les mains de Bercy et des Plateformes de dématérialisation Partenaire, PDP. L'État aura alors la maîtrise totale des recettes comme pour le PAS, les experts-comptables auront fait le boulot !

Pour les TPE, il est intéressant de regarder comment la situation a évolué. Ce fut d'abord la création du statut d'auto-entrepreneur, ensuite l'augmentation des limites de chiffre d'affaires que ceux-ci réalisent. Un grand nombre d'entreprises se passent ainsi des services de l'expert-comptable... et du contrôle de l'assiette fiscale. Et à présent ce sont donc les contrôles des OGA qui sont passés à la trappe.

Grâce à l'intelligence artificielle, couplée à la facture numérique, Bercy détient une « arme de contrôle massif et automatisé ». Dès lors il y a fort à parier que l'ECF n'aura bientôt pas plus d'utilité que les OGA

Est-ce pour autant une catastrophe pour les experts-comptables ? La réponse est non, bien évidemment. Ils pourront (renversement des rôles) contrôler à leur tour les calculs de l'administration fiscale et aussi effectuer un « examen blanc » pour un fichier d'écritures comptables sans faute. Libérés des tâches répétitives, les experts-comptables se consacreront enfin pleinement à leur rôle de conseil et d'accompagnateur des chefs d'entreprise...

Sauf que... La liberté à un prix. Vidé naturellement de sa substance, personne n'aura à décider de supprimer le « monopole » devenu sans objet, les UNS comme les AUTRES sont entrés de plain-pied dans le secteur concurrentiel !

Bienvenue dans la jungle...

[1] « Le monopole m'a tuer », par b-ready, publié sur Compta Online

[2] Le loup et le chien


 

Serge Heripel est expert-comptable retraité et vice-président de l'organisme mixte de gestion agréé France Gestion.