Y a-t-il encore une place pour les petits cabinets d'expertise comptable ?

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L'Eco-Graphie 2015 de la profession comptable [1] publiée par b-ready dans le cadre du think tank Les Moulins confirme la tendance qui se dessine depuis plusieurs années maintenant : l'activité des cabinets affiche une croissance (très) molle et leurs performances s'érodent inexorablement.

Difficile toutefois d'être vraiment surpris. Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, où les attentes et les comportements des clients (et des collaborateurs) changent, dans lequel les avancées technologiques s'enchaînent à une vitesse ébouriffante, il n'est en effet guère surprenant que les fondamentaux du métier d'expert-comptable soient bouleversés.

Si toutes les catégories de cabinets sont touchées par ce phénomène, l'analyse des performances des petits cabinets (moins de 500 k¤ de chiffre d'affaires annuel [2]) fait véritablement froid dans le dos ! Cette étude exclusive montre en effet que ces cabinets se rapprochent dangereusement du point de rupture :

  • entre 2007 et 2013, la croissance cumulée de leur chiffre d'affaires en euros constants (hors effets de l'inflation, donc) atteint péniblement les 2%, soit environ 5 fois moins que la moyenne des cabinets de moins de 10 M¤,

  • l'analyse des performances est encore plus inquiétante. Sur la même période, le résultat d'exploitation de ces cabinets (toujours en données déflatées) a plongé de 20% dont les deux tiers sur les deux dernières années. In fine, leur taux de résultat d'exploitation, qui s'est régulièrement dégradé sur la période de revue, est tombé de près de 14% du chiffre d'affaires en 2007 à 11% en 2013.

Est-ce à dire qu'il ne resterait plus de place, dans ce nouvel environnement pour les petits cabinets d'expertise comptable ? La réalité est naturellement plus complexe que cela.

Les cabinets en grand danger ne sont pas les petits cabinets dans leur ensemble. Ce sont les petits cabinets qui persistent dans le « modèle d'hier », un modèle très centré sur la prestation traditionnelle : beaucoup de comptabilité, un peu de social, un peu de juridique, le tout pour une clientèle variée d'artisans, de commerçants ou de TPE.

Autrement dit, un modèle dans lequel il est strictement impossible de se différencier des autres cabinets de la place.

Or, à l'heure où les chefs d'entreprise cherchent par tous les moyens à faire baisser la facture d'une prestation qu'ils considèrent plus comme une contrainte que comme un véritable apport pour le développement de leur business, la différenciation des cabinets (y compris des plus petits) devient un enjeu vital. Il est, en effet, une règle immuable en matière économique, c'est que lorsque les produits et/ou les prestations sont indifférencié(e)s, le critère de sélection est toujours le prix.

Autrement dit, si les petits cabinets veulent se libérer quelque peu de la pression tarifaire que leur imposent leurs clients, ils vont impérativement devoir se différencier de leurs confrères. Et, inutile de préciser que ce n'est pas sur la prestation traditionnelle qu'ils parviendront à le faire. Pour se différencier, les petits cabinets sont condamnés à faire évoluer leur modèle.

La bonne nouvelle, c'est que les évolutions des dernières années (notamment en ce qui concerne la réglementation de la profession) ouvrent un champ des possibles quasi-infini aux experts-comptables :

  • spécialisation sur un métier et/ou sur un secteur d'activité. La spécialisation est une attente de plus en plus forte des chefs d'entreprise qui constitue très certainement un des meilleurs moyens de se différencier de ses concurrents, de proposer des prestations plus axées sur le conseil et l'accompagnement que sur la comptabilité proprement dite  et, in fine, de se libérer un peu de l'emprise financière des clients ;

  • développement de nouvelles missions afin de proposer des prestations à plus forte valeur ajoutée aux clients :

    - des prestations proches du c½ur de métier des cabinets, bien sûr : création d'entreprise et de business plan, tableaux de bord, optimisation juridique et fiscale, gestion de patrimoine, gestion de la trésorerie, négociation de crédits avec les banques, recouvrement de créances...

    - mais aussi des prestations plus éloignées de la sphère d'influence traditionnelle des experts-comptables : domiciliation, secrétariat, formation, accompagnement à l'export, conseil en stratégie, en organisation, en ressources humaines, en informatique, en marketing, en commercial, en qualité / performance, en développement durable, etc.

  • redéfinition des process de production de la mission traditionnelle. Alors que cette mission prend de plus en plus de temps aux petits cabinets, les clients réclament de la payer toujours moins cher. Comment s'en sortir ? Les cabinets ont donc tout intérêt à profiter du développement des nouvelles technologies (nouvelles générations de logiciels, solutions de dématérialisation, cloud computing...) pour se dégager du temps ; ce temps qui fait si cruellement défaut aux experts-comptables.

L'analyse des performances des cabinets de plus grande taille, menée dans le cadre de l'Eco-Graphie 2015, montre d'ailleurs que les cabinets qui ont su faire évoluer leur modèle pour mieux répondre aux attentes des dirigeants de PME/TPE s'en sortent nettement mieux que les autres. Certes, le chemin est long et semé d'embûches, mais le jeu en vaut clairement la chandelle ; en termes de performances [3], mais également en termes d'utilité pour les clients et d'intérêt des missions pour les collaborateurs.
Autant d'éléments qui permettent de répondre à un autre défi de taille auquel est confronté la profession : celui de l'attractivité. Les jeunes générations sont très demandeuses de diversité et il va devenir de plus en plus compliqué de les attirer avec une proposition « traditionnelle ».

Alors, bien sûr, la question des moyens se pose pour ces cabinets de petite taille qui n'ont généralement pas la surface financière nécessaire pour amorcer un tel virage. Là-aussi, les experts-comptables vont devoir faire preuve de créativité et d'audace pour réinventer des pratiques professionnelles héritées d'une époque aujourd'hui révolue.

Parmi les pistes de réflexion, une semble aujourd'hui quasi-incontournable : celle des rapprochements (formels ou informels) avec d'autres professionnels du chiffre présentant d'autres spécialités, mais aussi avec d'autres corps de métiers : avocats, notaires, consultants, informaticiens, professionnels de l'immobilier, etc. Alors certes, de telles alliances heurtent encore souvent une profession très marquée par la volonté d'indépendance. mais il faut bien se rendre compte que, à moins de se positionner sur une niche qui les rend absolument incontournables, l'exercice solitaire va devenir de plus en plus périlleux pour les cabinets de petite taille.

L'intégralité de l'Eco-Graphie 2015 de la profession comptable est disponible sur le site du think tank Les Moulins : www.lesmoulins.club

[1] L'étude passe au crible les comptes de près de 3 800 cabinets de moins de 10 M¤ de chiffre d'affaires ayant régulièrement déposé leurs comptes auprès des greffes des tribunaux de commerce sur la période 2007-2013. Outre une analyse globale de l'ensemble de cette population de cabinets, l'étude présente une analyse par taille de cabinet et une analyse régionale des performances de professionnels du chiffre.

[2] 1 600 cabinets analysés dans le cadre de l'étude.

[3] Ces cabinets souffrent en effet globalement moins que les autres et certains affichent même des performances plus que satisfaisantes.



Ludovic Melot

Consultant b-ready

www.b-ready.fr
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