La guerre de la data aura-t-elle lieu ?

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Quel point commun entre La Française des jeux (FDJ), Bercy et l'INSEE ? En cherchant un peu il y en aurait même plusieurs. Mais il y en a un auquel s'intéressent aussi les experts-comptables : la data ! Période estivale oblige, certaines informations vous auront peut-être échappé.

Le 22 juillet : nous apprenons que le Conseil d'État ne s'oppose pas à l'expérimentation menée par les services de Bercy et les douanes, expérimentation autorisée par la loi de finances pour 2020. Ils pourront ainsi collecter et analyser les données « librement accessibles » récoltées sur les réseaux sociaux, comme Instagram, Facebook, Twitter ou LinkedIn ainsi que sur les plateformes type Airbnb, Leboncoin ou Blablacar.

Au même moment, le rapport 2021 de l'INSEE est mis en ligne. On y apprend que l'INSEE transforme ses outils en mobilisant des sources originales : «  Les données bancaires ont le double avantage de pouvoir être exploitées avant que les données fiscales ne soient disponibles ». Le rapport indique avoir mobilisé les données de la grande distribution et les données de transaction par CB...et au passage déclare « explorer toujours plus les données administratives » « faire parler les chiffres » et « mutualiser et construire une statistique partagée ».

Quant à la FDJ La Française, elle a fait l'acquisition de L'Addition le spécialiste français des solutions de gestion, d'encaissement et de paiement à destination des cafés-hôtels-restaurants (CHR). La FDJ avait déjà acquis Aleda l'acteur majeur de ces solutions dans le réseau des buralistes et diffuseurs de presse. Ces acquisitions confirment la stratégie de développement de l'activité Paiement et Services du groupe FDJ, qui a pour objectif de devenir le premier réseau d'encaissement et de paiement de proximité en France.

Il y a fort à parier (!) que la FDJ ne s'arrêtera pas là si elle souhaite devenir le partenaire privilégié des commerçants de proximité dans la gestion de leur entreprise. Inutile de préciser que la FDJ met ainsi la main sur une mine de data dès sa production...

Pour en revenir à Bercy, les experts-comptables tout absorbés (enfin pas encore vraiment à ce jour...) par la mise en ½uvre de la facture numérique, ne semblent pas conscients que Bercy va détenir un volume considérable de données. Ce sont d'abord celles communiquées dans le cadre des obligations légales aujourd'hui les déclarations fiscales (cerfa), puis, les fichiers d'écritures comptables (aujourd'hui dans le cadre des contrôles et bientôt systématiquement liés aux déclarations de résultat annuelles) et demain toutes des données attachées à la facture numérique. Rappelons que depuis juin 2021, Bercy propose la déclaration en ligne des dons et cessions de droits sociaux.

À ces données spontanées vont donc s'ajouter les données « siphonnées » sur les réseaux sociaux et les plateformes... Bercy détiendra le « trésor de la data » que l'administration exploitera à sa guise et/ou avec l'INSEE. Un trésor accessible en tout ou partie en open source et que nombre de sociétés d'analyse (une pensée pour Atometrics !) exploiteront en leur apportant une valeur ajoutée justifiant leur commercialisation. Et pour ceux qui douteraient des capacités technologiques de Bercy, un détour par l'application « Demande de valeur foncière », qui permet d'estimer en ligne la valeur d'un bien immobilier, devrait suffire.

Cette réflexion personnelle amène ces questions : dans une telle configuration, quelle sera la place des experts-comptables ? Ne vont-ils pas se retrouver coincés entre cet immense datalake institutionnel, des acteurs positionnés en amont de la production de données, acteurs de surcroît particulièrement spécialisés et proches eux aussi des chefs d'entreprise, et les plateformes de dématérialisation partenaires ? Difficile de contester la qualité des données, aussi tout se jouera sur la rapidité à les traiter et la pertinence des informations et services qui seront proposés tout en les adaptant à chaque type de clients...

Une chose est sûre, il va falloir faire preuve d'imagination pour « faire parler les chiffres »... et vite !


 

Serge Heripel est expert-comptable retraité et vice-président de l'organisme mixte de gestion agréé France Gestion.