Gouvernance du CNOEC : Être fidèle aux valeurs ou aux Hommes ?

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Lors des élections de novembre 2020 au Conseil supérieur de l'Ordre (devenu « national »), la profession a massivement voté en faveur du projet porté par la fédération ECF et la liste de ses candidats qui bénéficie donc jusqu'en 2024 d'une majorité absolue au sein du Conseil (27 élus sur 40, auxquels s'ajoutent les présidents de conseils régionaux).

Le mercredi 21 décembre dernier, à mi-mandat comme l'exige le règlement intérieur de l'Ordre des experts-comptables, et après deux années de présidence de Lionel Canesi, une nouvelle élection du président du CNOEC a été organisée. Deux candidats ECF se sont alors déclarés : Jean-Luc Flabeau, vice-président et dauphin désigné de Lionel Canesi, et Cécile de Saint-Michel, adhérente historique de la fédération. L'opposition IFEC, minoritaire au sein du Conseil, n'a pas présenté de candidature.

Comme vous l'avez découvert dans une communication institutionnelle du CNOEC, c'est Cécile de Saint-Michel qui a remporté ce vote et qui est devenue présidente du Conseil national jusqu'en 2024. Dans son discours de candidature, Cécile de Saint-Michel a insisté sur le fait qu'elle était une candidate ECF, issue de la majorité, et que sa candidature ne pouvait se comprendre que dans sa ferme intention de faire appliquer le programme pour lequel ses colistiers et elle avaient été élus, dans le parfait respect de la démocratie et du suffrage universel de la profession en 2020.

Face aux accusations de « trahison », voire de « coup d'État », qui ont fusées dans l'enceinte du CNOEC et de l'hystérisation des propos qui ont suivi, notamment sur les réseaux sociaux, prêtant les desseins les plus inavouables aux élus franciliens, nous tenons à répondre aujourd'hui par des faits que chacun pourra mesurer et apprécier, loin de l'émotion légitime suscitée par cet événement.

Loin du « coup d'État » de la branche parisienne d'ECF, la candidature de Cécile de Saint-Michel a certes réuni les suffrages des élus ECF franciliens au CNOEC mais également d'autres régions, en plus de ceux de l'opposition IFEC qui a préféré soutenir une candidature de la majorité plutôt que de présenter symboliquement un candidat issu de ses rangs qui n'aurait eu aucune chance d'être élu. La question qui se pose est donc de savoir pourquoi.

Depuis deux ans, plusieurs voix dans la majorité comme dans l'opposition ont régulièrement exprimé leurs différends sur la politique conduite et sur les méthodes de gouvernance mises en place par l'ancienne mandature : bannissement du débat, ostracisation des voix dissonantes au sein d'ECF, exclusion inédite de la minorité au CNOEC de toute participation à la gouvernance et de toute action de l'institution (et notamment du congrès)... Cette absence de recherche du moindre consensus, y compris au sein de sa propre famille syndicale, la volonté d'imposer ses choix et non de convaincre, une posture autoritaire et personnelle, sont des raisons essentielles de la mobilisation des 28 élus ayant soutenu la candidature de Cécile de Saint-Michel le 21 décembre dernier.

Loin d'un coup d'État prémédité, la décision de Cécile de Saint-Michel de se présenter à la présidence du CNOEC a été prise lundi 19 décembre 2022, deux jours avant le vote. Devant l'opportunité et la crédibilité de cette candidature, certains élus ont repoussé leur départ en congés, d'autres ont mis fin aux leurs de façon anticipée, d'autres enfin ont décidé en dernière minute de faire 22 000 km en avion pour pouvoir participer à ce vote. Une telle mobilisation en si peu de temps démontre incontestablement le niveau de ressentiment créé par la gouvernance sortante, mais aussi la motivation générée par cette candidature inespérée.

Cependant, la méthode de gouvernance critiquée n'aurait jamais suffi, à elle-seule, à entrainer cette « révolution de palais », si ce qui était en cause pour les élus ECF ayant voté en faveur de Cécile de Saint-Michel ne touchait pas profondément à la dérive de la politique conduite par l'ancienne mandature, loin des fondamentaux de notre fédération, de ses valeurs et de son histoire, et ne trahissait les engagements pris devant les électeurs en 2020.

En effet, le programme ECF 2020 proposait de « créer une école de la profession pour adapter au mieux les cursus avec les besoins de nos cabinets ». Dans sa profession de foi publiée pendant la campagne, notre tête de liste Lionel Canesi affirmait vouloir « s'engager très fortement au sein des CFA régionaux pour prendre la main sur la formation de nos futurs collaborateurs, voire même en prendre la direction comme l'a fait le CROEC Paris Ile-de-France avec le CFA ACE (devenu Sup'Expertise) ». Mais une fois le suffrage emporté, le projet Sup'Expertise n'a pas été soutenu et est aujourd'hui une des rares écoles à ne pas porter le label « école de la profession », se voyant même annoncé en public n'avoir jamais été soutenue par ECF. La réalité est qu'une guerre interne au sein d'ECF a éclaté contre les projets portés par les institutions franciliennes pouvant apporter une aura aux porteurs de ces derniers lors de nos prochaines élections 2024.

Que « Sup'Expertise » ne soit pas soutenu par le CNOEC, alors qu'il était dans le programme présenté aux électeurs, est une anomalie qui n'a cependant pas empêché la réussite de ce projet, unanimement soutenu par les élus (ECF et IFEC) de la profession francilienne, ce qui est suffisamment rare pour être souligné : près de 700 étudiants sont déjà scolarisés au sein de l'établissement dont le nouveau campus sera inauguré très prochainement. En revanche, cette quête de destruction a pris un virage dramatique fin 2022 lorsque la mandature en place a décidé de bloquer un projet dénommé « Deffinum » faisant l'objet d'une subvention publique de plus de 3 millions d'¤, obtenue par le CFPC, alors présidé par Cécile de Saint-Michel, avec la contribution décisive de Sup'Expertise et le soutien de l'ensemble des Instituts régionaux de formation (IRF), sur un appel à projet du Haut-Commissariat aux Compétences intégré au plan France Relance. Cette grossière tentative de prendre pour cible Sup'Expertise, en choisissant délibérément de jeter le bébé avec l'eau du bain, conduit de facto à renoncer, pour des raisons purement politiciennes, à un projet innovant et une subvention conséquente qui auraient permis à la profession de se positionner au c½ur des problématiques de reconversion et d'évolution des compétences des comptables les moins qualifiés en France.

Par ailleurs, l'acquisition sans information des élus de l'Ordre (le prix était « sous embargo » jusqu'à la signature définitive) d'un immeuble de 1 050 mètres carrés Place du Palais Bourbon ne peut qu'interpeller les professionnels que nous sommes. Deux arguments furent avancés : « il vaut mieux être propriétaire que locataire » et « nous avons besoin de cet immeuble pour accentuer le lobbying de l'institution ». Sur ce dernier point, nous partageons sans réserve l'article de Serge Heripel : 5ème République oblige, le lobbying en France ne se fait pas à l'Assemblée nationale mais d'abord dans les ministères, et nous ne croyons pas qu'il soit d'usage que les ministres et leurs collaborateurs se déplacent au siège des institutions pour que ces dernières se fassent entendre.

Sur l'opportunité de cette acquisition : il s'avère qu'elle ne permet de rendre aucun arbitrage entre loyer et emprunt puisque le bail de l'immeuble actuellement occupé par le CNOEC dans le 14eme arrondissement de Paris a été signé pour 12 ans ferme. Cette opération représente donc une démultiplication déraisonnable des coûts de l'institution (avec un prix d'achat de 53,75 millions d'¤, soit près de 60 000 ¤ le m² acte en main) et un siège incapable d'accueillir les 170 collaborateurs de l'Ordre (sa capacité d'accueil est estimée à 50 personnes). Qu'est-ce que ce projet dit du mode de gouvernance de notre institution ? De ses compétences en termes de gestion immobilière ? De l'image effectivement renvoyée par notre profession ?

Outre le fait que nous n'avons pas fait campagne en 2020 pour une telle acquisition, nous pensons et avons toujours pensé à ECF que le rôle de l'Ordre est de mieux gérer les deniers de la profession et, en tout état de cause, dans l'intérêt de celle-ci et non de l'ambition politique de quelques-uns de ses représentants. Dans la même lignée méthodologique, les propositions de réformes fiscales du CNOEC effectuées sans aucune concertation avec les différents représentants de la profession (et balayées par le gouvernement pour la plupart) ont choqué bon nombre d'élus du CNOEC. Ces actions trahissent le slogan ECF « être à l'ordre ne signifie pas être aux ordres ».

La conséquence de cette gestion dispendieuse et inconsidérée des deniers de la profession était un projet de budget 2023, la veille de l'élection de Cécile de Saint-Michel, qui prévoyait une augmentation de cotisation de 100¤ par expert-comptable, soit plus de 2 millions d'¤ de ressources supplémentaires pour le CNOEC ponctionnées dans les poches des confrères et cons½urs, également destinés à financer l'explosion des coûts de communication liée à la nouvelle campagne de communication du CNOEC qui prévoyait une dépense de 4 millions d'¤ par an pendant 10 ans. Un complément de financement était également envisagé par ponction des budgets des conseils régionaux dont les marges de man½uvre seraient ainsi réduites à leurs seules fonctions régaliennes.

A quel moment avons-nous défendu dans notre programme une hausse des cotisations pour la profession ? A quel moment, ECF, qui porte le fédéralisme au c½ur, a-t-elle envisagé sérieusement de transformer les Conseils régionaux de l'Ordre en simples bureaux de représentation locaux ? Le programme 2020 d'ECF prévoyait au contraire une décentralisation plus grande de l'Ordre et plus davantage de proximité pour les membres de notre profession !

Toutes ces raisons de fond ont conduit Cécile de Saint-Michel à prendre ses responsabilités et à présenter, avec un courage admirable, sa candidature à la présidence de l'Ordre, en rappelant à chacun le projet sur lequel il avait été élu. Aucune concession programmatique n'a été accordée à l'IFEC, aucun poste n'a été négocié. Les élus IFEC ont choisi d'exprimer dans ce vote leur souhait d'une gouvernance plus ouverte, démocratique et respectueuse de la place de chacun.

Ces éléments graves ne doivent toutefois pas conduire à ignorer les réussites du CNOEC durant ces deux dernières années, conformes à notre programme. Et c'est bien la raison pour laquelle une majorité ECF doit continuer de présider aux destinées de l'Ordre. Nous pensons également que les débats doivent demeurer vivants et ne peuvent conduire à l'ostracisation de la parole divergente qui est la responsable directe des événements que nous connaissons. Comme cela se démontre tous les jours en régions, majorité et minorité, bien que défendant des projets différents, doivent et peuvent travailler ensemble au service de l'ensemble de la profession !

Le respect de la démocratie et du vote de 2020 sera préservé à la condition que les élus de la majorité ECF, aujourd'hui encore sous le choc du résultat de dérives profondes qu'ils ont négligées, retrouvent la raison, la lettre et l'esprit de notre campagne de 2020 et se rassemblent à nouveau autour de leur nouvelle présidente légitimement élue. Ce que les électeurs ont soutenu : c'est d'abord un projet, des valeurs, une ambition ! Pas celui ou celle qui a été investi pour les porter ! Beaucoup de nos élus, sincèrement engagés à la tête de commissions ou comités, n'ont pas démérité et éprouvent un profond sentiment d'injustice face aux événements. Ils doivent comprendre que ce vote est avant tout un vote de retour aux valeurs d'ECF que la passion a pu faire oublier.

Être élu ECF c'est aujourd'hui hésiter entre un appel à la démission le jour de la session et la volonté de ne pas participer, portée par la colère d'un vote inattendu qui peut conduire à un blocage de l'institution. Ne pas participer à la mandature portée par Cécile de Saint-Michel, c'est laisser la place à un projet non conforme aux engagements ECF.

Nous lançons donc un appel à tous les élus ECF du CNOEC pour qu'ils reprennent leur engagement sur la base du programme qui a porté leur élection au côté de notre nouvelle présidente.

Cette tribune constitue un appel à la responsabilité et au respect de la démocratie, des projets et des valeurs d'ECF.

Laurent Benoudiz
Membre du bureau national ECF

Gilles Bösiger
Président ECF Paris Ile-de-France – Membre du bureau national ECF

Catherine Grima
Présidente d'ECF Nord-Pas-de-Calais

Boris Sauvage
Membre du bureau national ECF jusqu'en décembre 2022