Fixation d'honoraires complémentaires : quand le juge choisit la qualification d'accord transactionnel

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Bien que claire en théorie, la notion d'accord transactionnel se révèle souvent plus complexe dans la pratique. Un arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2024 illustre parfaitement cette complexité.

Il soulève des questions fondamentales sur la nature transactionnelle d'un accord et l'importance des termes utilisés dans la rédaction de celui-ci, et invite à s'interroger sur la nature des concessions des parties ainsi que le caractère déterminant ou non de la renonciation explicite à tout contentieux futur

Faits

En l'espèce, une société d'audit était chargée par un établissement bancaire faisant l'objet d'une liquidation d'en estimer l'actif et de suivre l'ensemble des opérations. La lettre de mission, signée le 26 mars 2006, précisait notamment que les professionnels du chiffre devaient évaluer les actifs disponibles ainsi que les chances de recouvrement des créances.

Si un honoraire modeste était convenu, puisque fixé à 5 000¤ pour l'exercice 2006, un honoraire complémentaire, indexé, suivant un calcul plus complexe, sur les sommes qui seraient recouvrées, allait engendrer le litige déféré à la Cour de cassation.

En effet, après de nombreuses années, et après liquidation, les parties allaient finalement s'entendre, aux termes d'une lettre du 4 décembre 2015, sur un montant d'honoraires de 522 999¤.

Problématique

Mais voilà, les mots ont un sens, et écrire « s'entendre » c'est déjà s'avancer, car là était la problématique posée face à la volonté du liquidateur de revenir sur le montant versé : à partir de quel critère un contrat devient un accord de nature transactionnelle ? Est-ce que l'absence de la mention classique « les parties renoncent à tout contentieux futur » est déterminante ?

Thèses en présence

D'un côté, les honoraires ne pouvant être connus dès la signature en 2006, il était logique de revenir sur leur fixation précise en 2015. Et il n'était pas illogique qu'il y ait débat sur la fixation précise du prix, chacune des parties ayant sa propre interprétation de la clause litigieuse.

Il était ainsi soutenu qu'aucune des parties n'avait renoncé à ses prétentions en signant la lettre et qu'elles demeuraient donc libres de créer un contentieux. C'était d'ailleurs précisément la raison pour laquelle la mention de renonciation à tout contentieux n'avait pas été stipulée.

De l'autre, il était soutenu que les parties étant parvenues à un accord après contestation et différents échanges, il ressortait de l'analyse des faits que le juge pouvait qualifier d'accord transactionnel la lettre signée en 2015.

Réponse de la Cour

La Cour de cassation va considérer, au visa de l'article 2044 du Code civil, « dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 » que :

  • tout d'abord l'accord transactionnel implique « l'existence de concessions réciproques des parties ainsi qu'une situation litigieuse ». Elle va dans le même temps préciser que ce texte « n'impose pas pour autant aux parties d'indiquer expressément dans leur acte qu'elles renoncent à s'engager dans un procédure contentieuse ».

Le principe étant posé elle va pouvoir l'appliquer à l'arrêt d'appel déféré en soulignant :

  • D'une part, la société d'audit « avait initialement réclamé des honoraires de 833 552¤ » suivant un certain calcul, alors que le liquidateur avait « proposé des honoraires de 211 246¤ » calculés différemment.

Cette constatation est fondamentale puisque c'est dire qu'il y avait opposition sur la lecture du contrat et donc survenance d'une contestation.

  • D'autre part, « qu'aux termes de l'acte signé le 4 décembre 2015, ces deux parties étaient convenues de fixer la rémunération (...) à la somme de 522 399¤, soit la moyenne des deux prétentieux initiales ».

Cette deuxième constatation allait naturellement conduire « aux concessions réciproques ». Partant, et chaque partie ayant fait un pas vers l'autre, la Cour de cassation pouvait décider :

« la cour d'appel a pu déduire (...) que cet acte, qui comportait des concessions réciproques constituait une transaction au sens de l'article 2044 du Code civil ».

Portée

Cette décision rappelle que la qualification d'un acte appartient au juge et invitera son rédacteur à une grande prudence : l'acte ne renferme pas toujours l'essentiel, et c'est souvent les échanges qui l'entourent qui va permettre d'en donner la véritable nature.

Quant à la référence à l'ancien texte, il n'est pas certain qu'elle soit déterminante. En effet, aux termes de l'ancien article 2044, « la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».

Le nouveau texte reprend précisément les mêmes termes et ne fait qu'ajouter après les parties « par des concessions réciproques ». Néanmoins, cette exigence existait déjà sous l'empire de l'ancien texte puisqu'une jurisprudence centenaire l'imposait (Cass. civ., 13 mars 1922 : DP 1925, 1, 139)



Julien Gasbaoui
Avocat au Barreau de Paris et maître de conférences associé à l'Université d'Aix-Marseille

Le cabinet Gasbaoui avocats défend les experts-comptables devant les juridictions pénales, civiles et disciplinaires.
www.gasbaouiavocats.com