L'expert-comptable face à une réquisition judiciaire

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ll n'est pas rare qu'un expert-comptable reçoive une demande de renseignements de la police qualifiée de « réquisition judiciaire ». Surprenante de prime abord, cette pratique est en réalité légale et très répandue. Dans une telle situation, quel comportement doit-il adopter ?

L'idée est simple : lorsqu'une enquête est en cours et qu'il apparaît que des tiers à cette enquête sont susceptibles de détenir des informations pouvant l'éclairer, ils peuvent être « requis » d'adresser lesdites informations.

L'expert-comptable étant bien l'un de ces tiers, il peut, dès lors, être concerné.

L'article 77-1-1 du Code de procédure pénale l'exprime ainsi : « requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé, ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête ».

Il est précisé in fine « sans que puisse (...) être opposé, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel ».

Face à cette demande et à ce texte, trois questions sont classiquement posées.

Tout d'abord, s'agit-il d'une mise en cause de l'expert-comptable ?

Non. L'expert-comptable est requis, comme pourrait l'être n'importe quel autre tiers, seulement parce qu'il détient une information pouvant intéresser l'enquête et non parce qu'il est suspect. Le plus souvent, seront notamment sollicités : les comptes annuels et les liasses fiscales, les bulletins de paie et les déclarations mensuelles de TVA.

La transmission de documents ne pose pas de véritables problèmes. Toutefois, il faudra veiller aux commentaires accompagnant les envois en gardant à l'esprit que la réquisition judiciaire n'est pas une audition déguisée (cf. infra).

C'est d'autant plus vrai que, s'il ne s'agit pas d'une mise en cause, répondre à une réquisition judiciaire ne signifie pas que toute mise en cause future est impossible (la défense ne manquera pas, néanmoins, de souligner la déloyauté de la démarche et l'interdiction de s'auto-incriminer).

Ainsi, l'expert-comptable requis ne manquera pas de rappeler qu'il doit respecter la loi et qu'il peut délivrer des documents et non des commentaires relatifs au dossier ou à son client.

C'est cette distinction qui permet de répondre à la négative à la deuxième question classique.

Ensuite, puis-je opposer le secret professionnel ?

Non. Le secret professionnel n'est pas opposable en tant que tel. Celui qui s'oppose à une réquisition judiciaire s'expose à une peine d'amende de 3 750¤[1].

Les documents doivent être transmis et la formule « sans motif légitime » reste peu claire (la doctrine cite souvent le seul secret médical). Nous considérons qu'elle doit permettre de résister à des demandes relatives à des échanges avec le client. Par exemple, des échanges de courriels ou des confessions qui auraient été recueillies dans le cadre de la mission.

Si d'autres informations étaient demandées, glissant vers une analyse d'ordre technique, l'expert-comptable veillera à rappeler, en premier lieu, qu'il s'agirait alors d'une autre forme de réquisition judiciaire, prévue par les articles 60 et 77-1 du Code de procédure pénale, et qui doit être qualifiée de « réquisition à expert ». Le formalisme est alors différent, avec une obligation de prêter serment, et n'est pas adapté, puisqu'il s'agirait alors d'expertiser son propre client et, à certains égards, son propre dossier. Sur ce fondement, un refus devrait à notre avis être opposé.

Il rappellera en second lieu que des explications sur des documents correspondent à une véritable audition puisque l'expert-comptable ne saurait être contraint de fournir des explications : entendu comme témoin il a l'obligation de se taire (secret professionnel) ; entendu comme suspect, il a la possibilité de se taire (droit au silence).

Enfin, dois-je solliciter l'avis du client ?

Non. Non seulement l'avis du client ne doit pas être sollicité mais, pire encore, il est interdit de lui communiquer cette information. L'expert-comptable est en effet alors tenu par le truchement de son secret professionnel au secret de l'enquête[2] Là encore, si la solution peut surprendre, puisqu'il s'agit de taire une information essentielle alors que la relation contractuelle entre un client et son expert-comptable est régie par un principe de confiance, elle doit être appliquée.

Pour toutes ces raisons, la réquisition judiciaire doit être interprétée strictement et les demandes formulées ne doivent pas déborder son strict cadre.

Dans le cas où un expert-comptable est requis dans le cadre d'une enquête, il lui est recommandé de contacter le Conseil régional de l'Ordre dont il dépend. Il peut aussi demander conseil auprès d'un avocat spécialisé dans la défense des professionnels du chiffre.

[1] Article 60-1 alinéa 2 Code de procédure pénale. « A l'exception des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, le fait de s'abstenir de répondre à cette réquisition dans les meilleurs délais et s'il y a lieu selon les normes exigées est puni d'une amende de 3 750¤ ».

[2] Au sujet d'une banque qui avait communiqué l'information à son client : Crim. 30 janvier 2001, n°00-80367.



Julien Gasbaoui
Avocat au Barreau de Paris et maître de conférences associé à l'Université d'Aix-Marseille

Le cabinet Gasbaoui avocats défend les experts-comptables devant les juridictions pénales, civiles et disciplinaires.
www.gasbaouiavocats.com