[Tribune] Experts-comptables et missions de conseil : vite, une étude de marché !

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Dans le monde de l'expertise comptable, le rôle du conseil est un sujet de débat constant. Les clients en ont besoin, les experts-comptables veulent l'offrir, et pourtant, le marché du conseil reste étonnamment stagnant. Alors, sommes-nous face à un « miroir aux alouettes » ou y a-t-il un véritable potentiel inexploité ?

Dans cette tribune, Serge Heripel décortique ce dilemme, en explorant la taille réelle du marché du conseil, les services de conseil potentiellement proposables et les obstacles qui se dressent sur la voie de l'optimisation du conseil en expertise comptable.

Démystifier le marché du conseil en expertise comptable

Dans une intéressante tribune de Frédéric du Chaffaut, je relève cette formule :

« le conseil reste un mystère pour les comptables : les clients en veulent, les comptables veulent en faire, ils ont la légitimité pour le faire... Et pourtant, en trente ans, il ne s'est rien passé ! ».

Réflexion qui me rappelle ceci tiré de la fameuse étude Les Moulins : « Les cabinets n'ont réalisé́ que 2% de leur chiffre d'affaires dans des missions exceptionnelles non-récurrentes de conseil facturées distinctement. Un chiffre très faible qui confirme notre analyse de ce marché qui n'est rien de plus qu'un miroir aux alouettes pour la plupart des cabinets ».

S'il est d'usage dans un article ou sur les réseaux sociaux de faire étalage de ses succès, ces lectures m'ont rappelé cette désagréable remarque d'un client (agent commercial) : « vous ne me donnez aucun conseil ! ». Je répondis, maladroitement certainement, « mais vous ne m'en demandez pas non plus ! ». Sur ce, je m'empresse de présenter notre plaquette détaillant nos multiples services, vantant nos compétences au-delà de la comptabilité comme la protection sociale, la gestion de patrimoine ainsi que les outils innovants dont nous disposons (Factorielles, RCA...), bref tout ce qu'un expert-comptable généraliste peut proposer.

Pourquoi vous dis-je cela ? Parce que dans cette critique il y a le mot conseil mais aussi ce verbe DONNER. Frédéric du Chaffaut ,lui ,dit FAIRE du conseil, or le message est tout autre : il faut VENDRE du conseil (vous savez, comme vendre de l'ECF... mais je m'égare !).

À l'instar de nombreux experts-comptables j'ai, en matière de conseil, beaucoup DONNÉ, et rarement VENDU notamment à ce qui constitue la plus grande partie de la clientèle des cabinets dits « traditionnels », les TPE, artisans, commerçants et professionnels libéraux. Mais c'était une époque où DONNER les bons conseils, grâce au bouche à oreille (la réputation), permettait de développer sa clientèle : ce que nous ne gagnions pas en chiffre d'affaires se retrouvait en valeur de clientèle.

Aujourd'hui, la donne a changé, pour compenser la perte de chiffre d'affaires « tenue de comptabilité », chacun COMPTE sur le conseil et sur l'accompagnement.

Et pourtant, « rien ne bouge », le conseil serait un « miroir aux alouettes »...

Si nos clients envisageaient de lancer ou de développer de nouveaux produits ou services nous leur conseillerions une étude de marché. Une telle démarche ne permet-elle pas :

  • avant le lancement d'un produit ou d'un service d'avoir une vue précise du marché visé ;
  • d'être certain que la proposition de valeur de l'entreprise est en adéquation avec les attentes du marché ;
  • de s'assurer de la viabilité économique du projet ?

Dès lors, les questions se bousculent. Pour ces deux premières on peut tenter d'apporter des réponses.

  • Combien d'entreprises sont réellement concernées ?

Question simple en apparence, et résultat (très incertain) de mes propres recherches (Source INSEE) :

Pour les secteurs marchands non agricoles et non financiers en 2020 il existerait au total 4 114 289 d'entreprises dont :

  • 270 grandes entreprises (GE) ;
  • 5841 ETI ;
  • 144 617 PME ;
  • 3 963 651 MICRO dont environ 2 500 000 auto-entrepreneurs.[1]

Resteraient ainsi environ 1 500 000 micro-entreprises selon les normes européennes (moins de 2 millions de CA et 50 salariés, constituant ainsi notre cible.

Qu'en pense à présent l'incontournable ChatGPT ?

Combien y a-t-il d'entreprises en France ?

Je n'ai pas les chiffres exacts pour 2023, mais en 2021, il y avait environ 3,8 millions d'entreprises en France. Ce chiffre comprend les entreprises individuelles, les sociétés et les auto-entrepreneurs. Veuillez noter que le nombre d'entreprises évolue constamment en raison de la création de nouvelles entreprises, des fusions et acquisitions, et des fermetures d'entreprises. Pour obtenir des informations à jour, il serait préférable de consulter les sources officielles telles que l'INSEE.

Peux-tu me détailler par type d'entreprise : grandes, PME TPE commerçants artisans ?

Les données exactes pour 2023 ne sont pas disponibles pour moi, mais je peux vous donner une idée générale des différents types d'entreprises en France en me basant sur les informations antérieures à 2021. Veuillez noter que ces chiffres sont approximatifs et peuvent avoir évolué depuis :

  • Grandes entreprises : ce sont des entreprises qui emploient généralement plus de 250 salariés et réalisent un chiffre d'affaires annuel supérieur à 50 millions d'euros. Il y avait environ 5 000 grandes entreprises en France en 2021.
  • PME (Petites et Moyennes Entreprises) : les PME sont des entreprises qui emploient entre 10 et 249 salariés et réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros. En France, il y avait environ 140 000 PME en 2021.
  • TPE (Très Petites Entreprises) : les TPE sont des entreprises qui emploient moins de 10 salariés et réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à 2 millions d'euros. En 2021, on estimait qu'il y avait environ 2,2 millions de TPE en France.
  • Commerçants : les commerçants sont des personnes qui exercent une activité commerciale à titre indépendant. En France, il y avait environ 700 000 commerçants en 2021.
  • Artisans : les artisans sont des professionnels qualifiés qui exercent une activité manuelle ou artistique à titre indépendant. En 2021, on estimait qu'il y avait environ 1 million d'artisans en France.

Ces chiffres sont donnés à titre indicatif et peuvent varier en fonction des sources et des définitions exactes utilisées. Pour des informations à jour et précises, veuillez consulter les sources officielles telles que l'INSEE.

A l'ère de la data il faut bien reconnaître que les résultats sont décevants ! Help Atometrics !!!

Si les discours de la profession citent souvent les chiffres de 3 millions voir 3,8 millions d'entreprises « qui nous font confiance », en excluant les autoentrepreneurs le marché du conseil qui nous est facilement accessible serait donc plus proche de 1,5 millions.

Décryptage des missions de conseil à potentiel élevé

Ma deuxième question : quelles missions de conseils proposer ?

Paresseux, j'ai renoncé à lister les missions (nombreuses) qui me venaient à l'esprit. Dans mon vagabondage sur internet entre sites de cabinets d'experts-comptables et partenaires j'ai sélectionné la description de Dext. Dext propose 4 gammes de missions auxquelles j'ajoute la « gamme généraliste » c'est-à-dire ces conseils que nous « donnons » naturellement et.. vendons parfois.

  • La gamme patrimoine
    • accompagnement Société Civile Immobilière ;
    • diagnostic Protection sociale du dirigeant (j'ajoute y compris la retraite et le choix du statut) ;
    • assistance à la reprise d'entreprise.
  • La gamme pilotage
    • aide à la décision ;
    • gestion de la trésorerie ;
    • suivi de l'activité.
  • La gamme expert
    • coaching chef d'entreprise ;
    • accompagnement Cybersécurité ;
    • conseil en système d'information et transition numérique ;
    • (J'ajouterai la RSE et l'exploitation des data).
  • La gamme full service
    • DAF externalisé ;
    • assistance à la facturation ;
    • assistance recherche de financement.

En ce qui concerne ces deux dernières gammes il est évident que comme l'indique une analyse Xerfi : « le virage vers le conseil impose de véritables efforts de professionnalisation. Dans ce contexte, les grands cabinets et réseaux pluridisciplinaires sont sans conteste les mieux armés... ». Parmi les 70 à 80% des cabinets comptant moins de 10 salariés combien ont engagé ces efforts pour aller au-delà de la « gamme généraliste » et possèdent les moyens humains, technologiques et financiers pour faire face à ce virage vers le conseil à forte valeur ajoutée ?

Au-delà de la comptabilité : vendre du conseil, un art à maîtriser

Après ces deux questions essentielles, la réflexion est loin d'être terminée et peut-être ajouterez-vous d'autres questions à cette liste :

  • combien de clients sont concernés, intéressés par une ou plusieurs missions de conseils ?
  • combien le client est-il prêt à payer et pour quelles missions ?
  • et quelle proportion par rapport au budget « honoraires tenue de comptabilité »
  • combien de clients ont les moyens de payer telle ou telle mission de conseil ?
  • de combien de temps dispose l'expert-comptable pour réaliser ces missions ?
  • pour ces missions de conseils combien de concurrents ?
  • combien d'entreprises disposent déjà des ressources en interne ?
  • si des budgets « classiques » de 3 000 à 5 000¤ d'honoraires sont amputés de 70% quelles missions permettront de remplacer le CA perdu ?

Etc etc...

Répondre à ces questions permettra de vérifier si le conseil pour les experts-comptables est ou non un « miroir aux alouettes » ?

En attendant, une certitude : les experts-comptables sont les conseils privilégiés de ces 1 500 000 entreprises pour la mise en ½uvre de la facture électronique ! Une mission de conseil et d'accompagnement à ne pas manquer...

[1] Source : Espace auto-entrepreneur, « Auto-entreprise : les derniers chiffres de 2023 »


 

Serge Heripel est expert-comptable retraité et vice-président de l'organisme mixte de gestion agréé France Gestion.