Experts Comptables, démarquez vous !

Article écrit par Frédéric Rocci
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Un individu moyen est soumis chaque jour à plus de 1 500 messages de nature publicitaire. Plus étonnant encore, chacun de nous connaît en moyenne 5 000 noms de marque ! C'est énorme, quand on sait que le Français moyen utilise de 8 000 à 30 000 termes pour s'exprimer couramment.

« Le jour où le médecin deviendrait une marque, ce serait la médecine qui aurait abandonné les valeurs qui la fondent. […] Ce qui définit, depuis ses origines, la valeur de la médecine, et donc du médecin, c'est avant tout la notion de bien public, la volonté de soulager la souffrance et de sauver la vie de chacun [1]. »

Ce que nous sommes, experts-comptables, est résumé dans ces mots. Nous sommes en quelque sorte les médecins des entreprises, mais des médecins calqués sur l'idée que se font les pays d'Asie, c'est-à-dire que nous sommes là pour prévenir, maintenir la bonne santé, développer les défenses des entreprises, les intérêts de leurs dirigeants et de l'économie nationale. Nous ne vendons pas des fenêtres à double vitrages à l'entrée du supermarché, nous ne démarchons pas par le biais de séances de « phoning » intempestives auprès des seniors isolés. Nous sommes des experts avant tout, appréciés, reconnus et soucieux de l'intérêt de nos clients. Nous avons prêté serment, nous nous engageons avec « Science, Conscience, Indépendance », devise dont l'Ordre est le garant, dans le respect d'une déontologie rigoureuse pour des pratiques professionnelles sous le signe de l'intégrité et de l'éthique. Apposer notre signature, c'est afficher le sceau de notre compétence, garant de confiance et de qualité. Nous pouvons être fiers de notre titre « d'expert-comptable »! Notre compétence repose en effet sur un socle solide de huit années de formation, que nous entretenons, développons pas une mise à jour permanente de nos connaissances.

Il me semble donc nécessaire de nous poser un certain nombre de questions si l'on souhaite défendre la « marque expert-comptable » :

 

Qu'est-ce qu'une marque ?

Définition : Signe susceptible de représentation graphique apposé sur les produits fabriqués par une personne physique ou morale afin de faciliter leur identification et de les distinguer de produits semblables fabriqués par des concurrents.

Oui, la marque a avant tout un but commercial, elle identifie, fait rêver, évoque l'idée d'un produit mais n'est pas liée à un mode de validation indépendant. Si l'on se tient à cette définition, on prend conscience que notre profession est bien plus qu'une marque. Notre objectif principal n'est pas de développer sans limites des activités commerciales mais de soutenir, développer les activités de nos clients par un conseil avisé et pertinent et des services adaptés. Nous avons ouvert des cabinets d'expertise comptable, nous n'avons pas ouvert des commerces. L'oublier serait donner à nos clients une image facteur de confusion car ce n'est pas ce qu'ils attendent de nous.

 

Qu'attendent nos clients ?

Ils attendent un partenaire de proximité, en alerte sur les signaux d'évolution du marché économique pour les aider à affronter les défis complexes de notre époque. Ils cherchent un accompagnement efficace pour leur apporter une visibilité sur leurs projets à court ou moyen termes avec une analyse fiable et objective. Nos clients, plongés dans leurs problématiques quotidiennes, sont en demande de compétences pointues qu'ils ne possèdent pas ou qu'ils n'ont pas le temps d'acquérir.

 

Qu'attendent nos clients en plus ?

Probablement, pour la plupart, une plus grande disponibilité, plus de temps accordé à écouter et à répondre à leurs interrogations, une meilleure connaissance de leur entreprise. Une approche trop commerciale pourrait être dommageable sur la confiance qu'ils nous accordent.

 

Quels sont nos atouts dans un secteur concurrentiel ?

Notre atout principal est la garantie de sérieux, de qualité, d'expertise et d'indépendance qu'aucun de nos clients ne remet en cause.

Notre effort doit donc se porter sur les grands axes que je vous propose dans le programme électoral. Quelle meilleure façon d'affirmer ce haut degré de compétence si ce n'est en s'inscrivant dans le siècle du savoir, de la connaissance, du numérique, en s'attachant à favoriser la conjonction des compétences intergénérationnelles avec un seul mot d'ordre : l'éthique. À nous de mieux gérer l'organisation de nos cabinets pour assurer à nos clients plus de disponibilité, une meilleure prise en charge de leurs besoins et attentes.

Si l'on revient à la notion de marque que j'aborde aujourd'hui, je vous soumets deux analyses glanées au cours de mes lectures qui me semblent dignes d'intérêts et sur lesquelles il sera important de travailler dans les mois qui viennent si l'on souhaite défendre, dignement, l'intérêt de notre profession dans son ensemble.

La première, celle de François Goube[2], qui après des années de travail dans le e-marketing trouve des réponses sur la notion de marque et service dans le blog de J. Schwartz[3] : « La marque est juste une transfiguration tangible d'une aspiration que chaque individu lié à l'entreprise doit défendre. Ce qui fait votre marque, c'est d'abord vos employés qui, s'ils croient en votre marque, alors feront tout pour la défendre : amélioration permanente du service client, de vos produits, etc… Si vous avez réussi ce qui précède, ce seront vos clients qui prendront le relai : convaincus du bien-fondé de votre cause et donc de vos produits ou services, ils pourront défendre votre marque. »

La seconde, celle de Benoît Heilbrunn[4]. Celui-ci, spécialiste de la marque, explique que la logique d'efficacité des marques repose très souvent dans les sociétés occidentales sur une conception valorisante et relativement spectaculaire de l'effet. « L'économie des marques a clairement pris le parti de la saveur contre celui de la fadeur, notamment par des logiques de saturation de l'effet. « Aller plus vite, laver plus blanc ». Tels sont les mots d'ordre de la société de consommation qui est tout droit issue d'une rhétorique de l'emphase et donc de l'excès ». Pour lui cette logique de survalorisation de l'effet se déploie sur un modèle narratif dont la phase finale est la glorification de la marque. Il propose alors, une autre approche, celle de la pensée chinoise.

Que signifierait une telle approche pour les marques ? La capacité d'abandonner un régime de spectacularisation de l'effet essentiellement lié au diktat publicitaire pour s'inscrire dans le cours de leur existence de façon la plus naturelle possible. Le modèle privilégié par la pensée chinoise est d'ailleurs tiré de la poussée des plantes. On ne peut forcer la plante à croître, on ne doit pas non plus la délaisser ; mais en la libérant de ce qui pourrait entraver son développement, il faut la laisser pousser. […]

Cette approche n'implique pourtant nullement une fuite devant l'action et ne prône pas la non action, mais vise plus précisément à se défaire de tout «activisme» naïf, à faire abstraction de son propre désir d'initiative, pour pouvoir, en allant dans le sens des phénomènes, profiter de leur dynamisme et les faire coopérer. […]

Il s'agit de s'attacher à la transformation, qui, à la différence de l'action, locale et momentanée, est toujours globale et progressive - donc elle ne se démarque pas. Donc, elle ne se remarque pas - on ne la voit pas à l'œuvre, on en constate seulement les effets. Au lieu de valoriser le spectaculaire, de vanter l'effort et le risque, la pensée chinoise est attentive au discret, recommande une efficacité qui n'affronte pas, ne force pas, à la fois sans dépense et sans résistance.

D'où cette efficience grise, se coulant dans le cours des choses et qui, ne se démarquant pas, se remarque d'autant moins qu'elle est plus opérante…

C'est pourquoi aujourd'hui, chères consœurs, chers confrères, je vous invite à valoriser vos spécificités adaptées aux besoins de votre environnement local tout en maintenant vos antennes en alerte des signaux faibles de notre époque. Nous sommes les artisans de ce que certains appellent la « marque expert-comptable ». Nous sommes avant tout des professionnels riches de notre passé et de nos compétences sur lesquels nous construirons l'avenir d'une profession forte et ambitieuse.

Experts-comptables, démarquez-vous !

 

Article écrit le 15 octobre 2012 par Françoise Savés

Présidente nationale de l'IFEC
A retrouver sur le blog de l'auteur www.francoisesaves.fr

 

[1] Jean-Claude Ameisen, médecin, chercheur, professeur d'immunologie à l'université Paris-Diderot. Spécialiste scientifique de l'apoptose ou « suicide cellulaire », il est aussi président du comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et membre du Comité consultatif national d'éthique. Il est par ailleurs auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages dont La sculpture du vivant, et Les couleurs de l'oubli.

[2]François Goube, Web entrepreneur, Directeur Marketing Web, consultant emarketing, professeur de marketing internet, blogueur.

[3]Jonathan Schwartz, co-fondateur de Picture of Health. Il était auparavant dirigeant de Sun Microsystems, avant le rachat par Oracle Corporation.

[4]Benoît Heilbrunn, « Une marque est sans idée … ou l'impensé du marketing professeur au département Marketing à ESCP Europe. Il enseigne également à l'IFM (Institut Français de la Mode) et au CELSA. Il est doté d'une expérience professionnelle de plusieurs années dans le domaine de la communication et du design. Docteur en Sciences de Gestion (Université Paris-Dauphine), diplômé d'HEC et de l'EHESS (spécialisation sémiotique), il est titulaire d'une DEA de philosophie (Université Paris I – Sorbonne). Son ancrage dans les sciences humaines et sociales lui permet d'articuler une réflexion sur les dimensions idéologiques de la société de consommation et de l'économie des marques.Il s'intéresse essentiellement à toutes les dimensions de la culture matérielle et notamment aux objets, au design et aux identités visuelles. Ses enseignements portent essentiellement sur le Brand Management, la gestion du design et le comportement du consommateur. Il est par ailleurs consultant dans le domaine de la stratégie des marques et aide de nombreuses entreprises dans de nombreux secteurs à élaborer des stratégies de marques et à valoriser leur capital de marque.Il est membre du comité de rédaction de l'Agenda de la pensée contemporaine (Flammarion) et de Décisions marketing dont il dirige la rubrique bibliographique.