Le nouveau régime des aides interentreprises

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Aujourd'hui, tous, quel que soit leur bord politique, sont d'accord pour reconnaitre que la France traverse une crise sans précédent. L'épargne des ménages s'envole au détriment de la consommation, la confiance des chefs d'entreprises est en berne, et les plans sociaux et les défaillances des entreprises ont instauré un climat d'inquiétude qui se fait ressentir sur tous les secteurs d'activité économique. C'est dans ce contexte que le gouvernement a fait voter, le 11 août 2012, la deuxième loi des finances rectificative (LDFR) pour 2012.

Si plusieurs mesures de cette loi étaient annoncées bien avant sa parution, les mesures dites « anti-abus » ont pris tout le monde un peu de court. Cette loi est venue modifier profondément, et subitement (puisque les nouvelles dispositions s'appliquent aux exercices clos à compter du 4 juillet 2012) les règles applicables en matière d'aides interentreprises, et notamment le régime des abandons de créance à caractère financier.

Il nous a semblé opportun de rappeler rapidement les règles désormais applicables aux opérations de restructurations d'entreprises dans les microgroupes de sociétés, afin d'anticiper leurs effets sur les arrêtés de comptes lors de la période fiscale 2013 qui se profile à l'horizon.

Le contexte des abandons de créances et leur classification

Lorsqu'une société du groupe connait des difficultés financières, il n'est pas exceptionnel qu'une autre société membre du même groupe lui vienne en aide – après tout, comme le faisait remarquer M COZIAN, « les familles, ca sert à ça ». Et jusqu'à l'apparition de la 2ème LDFR d'aout 2012, les aides interentreprises à caractère financier constituaient des vecteurs d'optimisation fiscale dans les grands groupes, qui réalisaient régulièrement des abandons de créances transfrontaliers vers des filiales basées dans des pays à fiscalité privilégiée, en démontrant l'existence d'un intérêt financier.

En revanche, au sein des PME, la motivation de ces aides était toute autre, puisqu'elles permettaient souvent au groupe de consolider les filiales « malades ». Elles avaient un vrai sens économique, et permettaient de sauver les filiales en difficulté (et par la même occasion, tout le groupe).

En principe, les aides interentreprises constituent des actes anormaux de gestion chaque fois qu'elles sont dépourvues d'une contrepartie réelle. La jurisprudence a eu à rappeler à maintes reprises qu'une entreprise n'a pas pour vocation de consentir des libéralités, qu'elles soient au profit de tiers, ou au profit d'entreprises liées. C'est un principe immuable, un acte de gestion sans contrepartie est un acte étranger à la bonne gestion d'une entreprise, et l'Etat n'a pas à contribuer, sous forme d'une réduction de sa créance fiscale, à un tel choix. C'est le principe de « l'égoïsme sacré » développé par M. Jerome TUROT (1), qui interdit aux sociétés d'accorder toute libéralité à un tiers, peu importe que la société soit dans le même groupe que le tiers.

Toutefois, le droit fiscal est avant tout pragmatique, et à ce titre, la Haute Cour a toujours reconnu qu'un acte apparemment libéral, tel qu'un abandon de créance, peut avoir une contrepartie cachée. Or du coup, la libéralité se transforme en acte « intéressé », devenant en quelque sorte, le sacrifice qu'il faut consentir pour sauvegarder son propre bien être.

En matière d'aides interentreprises, on distingue les aides « à caractère financier », de celles dites « à caractère commercial ». La définition de ces deux types d'aides a été affinée principalement par diverses contributions de la jurisprudence :

  • L'aide est à caractère financier lorsque la justification principale (2) de l'aide provient des liens financiers qui unissent les deux sociétés. Le sacrifice est motivé, dans pareil cas, par la nécessité pour la société abandonnante d'aider une filiale en difficulté, pour sauvegarder sa propre réputation, ou encore pour préserver la valeur de ses participations. En règle générale, les aides à caractère financier sont accordés par des sociétés mères à leurs filiales, la jurisprudence ayant toujours refusé, sauf cas exceptionnel, de reconnaitre qu'une filiale puisse avoir un intérêt financier à aider sa mère.

  • L'aide est à caractère commercial lorsqu'elle trouve son origine dans les relations commerciales entre deux entreprises. Elle est consentie notamment pour maintenir des débouchés ou préserver des sources d'approvisionnement.

(1) J TUROT « Avantages consenties entre sociétés d'un groupe multinational », RJF 1989 N°5 P 263.

(2) L'existence de relations commerciales entre les entreprises intéressées, si elles ne présentent qu'un caractère accessoire, ne remet pas en cause le caractère financier de l'aide consentie, dans ce sens notamment CAA Nancy 20/11/1990 – N° 1509 RJF 5/1991

Petit rappel sur le régime des abandons à caractère financier, avant le reforme

S'agissant des abandons à caractère financier, les règles de déductibilité avaient été fixées par le Conseil d'Etat dans son arrêt de principe du 30/04/1980 (3). Avant la reforme, l'abandon à caractère financier dépendait de deux choses.

Le caractère normal de l'abandon

La déductibilité de l'aide ne pouvait s'envisager avant de pouvoir démontrer l'existence d'un intérêt pour la société abandonnante. Autrement dit, il fallait une contrepartie. La sauvegarde de sa réputation, la volonté d'éviter une procédure en comblement de passif, la volonté de protéger sa notoriété étaient autant de raisons qui permettaient de démontrer un tel intérêt, et d'écarter l'AAG (acte anormal de gestion). Il était en pratique assez facile de trouver la contrepartie pour une société mère qui venait au chevet de sa filiale malade.

Le caractère négatif de la situation nette du bénéficiaire de l'aide

Cette précision était apportée afin de rendre non déductibles, les aides qui avaient pour objet de valoriser la participation de la société abandonnante. Ainsi, l'aide était déductible à hauteur :

  • De la fraction de son montant correspondant à la situation nette négative du bénéficiaire (qui n'avait donc pas pour objet de valoriser la participation de la filiale)
  • Et de la fraction correspondant à la situation nette positive à la suite de l'opération retenue dans la proportion de son capital détenue par d'autres sociétés (qui avait pour effet de valoriser la participation des associés minoritaires).

De l'autre coté, chez le bénéficiaire, l'aide était en principe imposable. Quelque part, ce principe permettait de rendre un équilibre à l'opération. L'aide déductible pour l'abandonnante était imposable pour le bénéficiaire. En pratique, le plus souvent, la situation nette négative de la filiale aidée était synonyme de l'existence d'un stock de déficits fiscaux, et son imposition chez la fille avait rarement pour conséquence l'alourdissement de la charge d'impôt chez cette dernière.

De plus l'article 216 A du CGI venait atténuer les conséquences fiscales d'un abandon qui ne serait pas déductible pour la société mère qui le consentait. En effet, cet article disposait que la société aidée n'était pas imposée sur la partie de la subvention non déductible des résultats de la société abandonnante, lorsqu'elle était versée par sa société mère au sens de l'article 145 du CGI (régime dit mère-fille), et à condition que la filiale bénéficiaire souscrive l'engagement de procéder à une augmentation de capital d'un montant au moins égal au montant de l'aide au profit de la société abandonnante.

Le nouveau régime des aides à caractère financier

L'article 17 de la LDFR d'aout 2012 a profondément modifié la réglementation applicable aux aides inter-sociétés dans les groupes. Elle prévoit notamment que les aides qui ne sont pas motivées par un intérêt commercial, sont désormais exclues des charges déductibles de l'entité qui accorde l'aide et ce pour les exercices clos à compter du 4 juillet 2012. Or cette petite précision, qui se tient sur deux lignes de la loi, comporte des conséquences lourdes pour la gestion des entreprises en difficultés.

Rappelons que ce nouveau régime s'applique à toutes les entreprises, qu'elles soient soumises à l'IR ou à l'IS. Toutes les aides, quelque soit leur nature ou leur forme sont concernées par la restriction. Il peut s'agir d'un comportement passif (par exemple le choix de ne pas mettre en recouvrement une créance), ou d'un acte positif (par exemple le choix de verser une subvention directement à une entreprise tierce, ou encore de renoncer à une recette).

Désormais, le principe est le suivant :

  • La société qui accorde l'aide doit rechercher si l'aide est motivée par des intérêts commerciaux ou des intérêts financiers
  • Lorsque l'aide est motivée par un intérêt financier, elle ne peut être déduite de l'assiette fiscale de la société qui la consent, quelle que soit la situation financière de la société bénéficiaire. Lorsqu'elle est motivée par un intérêt commercial, en revanche, elle reste déductible. La déductibilité est également préservée lorsque l'abandon intervient dans le cadre d'une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, et ce alors même que l'intérêt commercial ne peut être démontré. Dans ce dernier cas, toutefois, la déductibilité est limitée aux anciennes règles applicables aux abandons à caractère financier, notamment en ce qui concerne l'exigence de la présence d'une situation nette négative de la société bénéficiaire.
  • Du coté de la société bénéficiaire, l'aide est toujours imposable, sauf à se placer sous le régime de l'article 216 A du CGI, c'est-à-dire, à condition que la filiale aidée prenne l'engagement de mettre en ½uvre une augmentation de capital au profit de la société abandonnante, dans un délai de deux ans, et pour un montant au moins égal à celui qui n'est pas déductible pour l'abandonnante.

Démontrer le caractère commercial d'une aide

Il est évident que depuis l'introduction par la LDFR de 2012 du principe de non déductibilité des aides à caractère financier, la distinction entre les deux formes d'aides présente un intérêt accru sur un plan fiscal. Lorsque le groupe souhaite réduire son assiette fiscale, il devient nécessaire de démontrer par priorité l'intérêt commercial de l'aide, y compris lorsque c'est la société mère qui la consent.

L'analyse de la jurisprudence permet d'identifier les frontières de l'intérêt commercial. En application du principe de l'autonomie juridique de chaque société d'un groupe, le Conseil d'Etat apprécie, de façon constante, le caractère normal de l'aide en fonction de l'intérêt commercial propre de l'entreprise créancière. Mais il accepte de tenir compte de l'appartenance à un groupe lorsque cette appartenance est un élément clé de la pérennité de la société versante. Il est intéressant d'observer la position de la Haute Cour dans les situations suivantes :

PostulatRéférencesAAG

Une société A réalise des travaux pour sa société s½ur B, travaux qu'elle lui vend à prix coutant. La société B revend ces mêmes travaux à d'autres sociétés du groupe avec une marge de 45%. L'Administration avait considéré que les opérations entre A et B relevaient d'un AAG. La société A s'est défendue en démontrant qu'elle avait un intérêt commercial à soutenir sa s½ur, qui lui permettait de réaliser 30% de son chiffre d'affaires. Le simple fait que l'Administration ait indiqué qu'elle pouvait utiliser d'autres moyens pour arriver aux mêmes résultats n'est pas susceptible de justifier le redressement.

CAA de Nancy du 6/03/1996 N° 94 -1326. RJF 12/96 N° 1464. (Décision rendue suite à un renvoi du C.E.)

NON

Une société qui accorde une remise de dette à une filiale Allemande agit conformément à une gestion normale des lors que :

  • Sa filiale Allemande connait des difficultés financières importantes, et que sa situation s'est dégradée depuis l'entrée dans le groupe
  • Qu'elle cherchait à éviter le dépôt de bilan de sa filiale qui aurait considérablement entravé la poursuite de ses activités commerciales en Allemagne, dont la filiale été un instrument

Il est à noter que cette jurisprudence permet de reconnaitre qu'une aide versée par la mère à sa fille puisse être à caractère commercial, chaque fois qu'elle permet à la mère de maintenir sa propre activité commerciale.

CE 27 novembre 1981, n° 16814.

NON

Ne réalise pas un acte étranger à la gestion normale, une entreprise qui accorde à sa société soeur des remises préférentielles supérieures à celles accordées à d'autres clients, dès lors que l'avantage ainsi consenti se justifie par l'importance (le C.A. généré avec la société s½ur représentait deux, voir trois fois le C.A. réalisé avec le deuxième client le plus important) et la constance des relations commerciales entre les deux entités.

CAA Bordeaux 22 février 1990 n° 742, 2e ch., Sofafils Limoges RJF 6/90 n° 655

NON

Une société A cède à son unique cliente et société s½ur, une société B, l'intégralité de sa fabrication au cout de revient. Pour justifier l'opération, elle met en avant le marché défavorable sur lequel évolue la société B. L'Administration est fondée à requalifier ces opérations comme constitutives d'un AAG, dès lors qu'elle démontre :

  • Que les difficultés rencontrées par la société B sont conjoncturelles et limitées tant dans le temps qu'en termes financiers
  • Que la société B a réalisé des bénéfices substantiels au cours des exercices contrôlés

CAA de Nancy, du 27/06/1994 – N° 94-1086. RJF 6/97 N° 529. Arrêt n'ayant pas été admis au C.E., donc revêtant un caractère définitif.

OUI

En conclusion, le caractère commercial de l'aide est démontré chaque fois que :

  • Les deux sociétés entretiennent des relations client /fournisseur. A ce titre, la durée dans le temps constitue un argument important pour défendre l'aspect commercial.
  • Les deux sociétés ont des productions complémentaires ou s'adressent à des clients communs (dans ce cas d'ailleurs, le motif avancé par la mère, tendant à justifier l'abandon pour sauvegarder sa réputation vis-à-vis des clients communs, habituellement réservé pour justifier des abandons à caractère financier, constitue un argument valable)
  • L'aide est justifiée par le maintien des activités de la société abandonnante. Il en va de même lorsqu'une société mère prend à sa charge une partie du passif d'une filiale dans le cadre d'une liquidation amiable, lorsqu'elle démontre un intérêt tendant à sauvegarder ses relations avec ses propres fournisseurs (4).

Un abandon d'une créance à caractère commercial ne signifie pas que la créance abandonnée doit avoir une origine commerciale. En effet, un abandon d'avances de trésorerie peut être motivé par des intérêts commerciaux.

S'agissant du lien entre le montant abandonné et le poids de la société aidée dans le C.A. de la société abandonnante, aucune notion de seuil n'est dégagée par la jurisprudence. Mais rappelons que les prestations de services fournies par une société mère à sa filiale constituent des activités commerciales. Plus la facturation à la société aidée pèse dans les recettes commerciales de la société mère, plus il sera facile de démontrer qu'une aide puisse être à caractère commercial.

Signalons enfin que le fait d'abandonner au cours d'un exercice donné, un montant nettement supérieur à une année de facturation n'est pas nécessairement constitutif d'un acte anormal de gestion. En effet, l'analyse de l'impact de l'aide, contrairement à ce que prétend l'Administration, doit se faire dans le temps et s'analyser par rapport à la sauvegarde de l'activité commerciale propre de l'abandonnante. Rien ne s'oppose d'ailleurs au fait de s'appuyer sur le passé pour justifier la nécessité de l'aide : faire état des bénéfices antérieurs retirés de l'activité commerciale entretenue avec la société bénéficiaire de l'aide constitue, à notre avis, un argument valable devant le juge de l'impôt.

Il convient d'observer enfin que la jurisprudence a fixé comme principe que lorsque l'intérêt justifiant un abandon est à la fois commercial et financier, l'intérêt commercial absorbe l'intérêt financier.

(4) CCA Nancy 28/01/1993 n° 91-573, RJF 10/93 N° 1280

Les abandons de créance et la TVA

Le caractère commercial ou financier de l'aide reste sans incidence sur le régime de TVA applicable aux abandons de créances. En effet, il convient de revenir aux principes applicables aux subventions en matière de TVA.

C'est la documentation administrative (doc. Adm 3B 1111-38) qui rappelle qu'il convient de rechercher :

  • Si les aides constituent la contrepartie d'une vente ou d'une prestation de services réalisée au profit de la partie versante. A ce titre, lorsque les aides sont versées à des bénéficiaires qui n'ont souscrit aucune obligation en contrepartie de l'octroi de ces sommes, elles ne constituent pas la rémunération d'un service rendu.
  • A défaut, si elles constituent le complément de prix d'une livraison de biens ou de prestations de services taxables. On rappelle que la CJCE a indiqué (5) qu'il faut notamment la présence de trois parties pour qu'une subvention puisse être considérée comme étant un complément de prix, ce qui aura pour effet d'exclure la quasi-totalité des aides intragroupes de cette qualification. 
  • En cas de réponse négative aux deux points ci-dessus, l'aide n'est jamais imposable à la TVA.

Rappelons en revanche, que l'abandon d'une créance commerciale n'entraine pas la dispense de reverser la TVA sur la créance abandonnée.

(5) Dans ses décisions CJCE 22/11/2001 N° 184-00 ; 15/07/2004 N° 144-02, 195-01, 381-01 et 463-02

Et l'impact du nouveau régime dans un groupe fiscal ?

Pour le moment, le nouveau régime des abandons à caractère financier reste sans impact sur le principe de la neutralisation des subventions intragroupes, prévue par le sixième alinéa de l'article 223B du CGI.

Lorsque les parties à l'opération font partie du même groupe fiscal, le traitement des subventions intragroupes se fait en deux étapes.

  • Les règles de droit commun sont applicables pour la détermination des résultats fiscaux individuels de chaque partie, et permettent de qualifier la déductibilité de la subvention.
  • Le régime d'intégration fiscale prévoit expressément la neutralisation des abandons et des subventions intragroupes au niveau du résultat d'ensemble. Dès lors, la subvention ou l'abandon ne serait pas déductible pour la mère, mais ne sera pas non plus imposable pour la fille, et ce, même si elle ne prend pas l'engagement d'augmenter son capital au profit de l'abandonnante. Rappelons toutefois que cette neutralisation est possible sous condition que les parties à l'opération, restent dans le groupe fiscal pendant une durée de 5 ans après l'abandon.