Expatriation et Brexit : un expert-comptable stagiaire au Royaume-Uni

Article écrit par (205 articles)
Modifié le
1 655 lectures

Un an après l'entrée en vigueur du Brexit, Aurélien Picollier, jeune expert-comptable stagiaire installé à Londres, nous livre son retour d'expérience s'agissant de ses impacts sur son activité et sur celles de ses clients. L'occasion de revenir également sur son parcours, les raisons qui l'ont amenées à s'expatrier et sur les principales différences de méthodes de travail entre cabinets français et anglo-saxon.

Quel est votre parcours ?

J'ai obtenu le Master CCA à l'IAE de Nice en 2018. J'ai réalisé ce dernier en alternance dans un petit cabinet niçois, tout en m'impliquant dans différentes associations des jeunes de la profession (Avenir CCA, ANECS-CJEC). J'ai intégré KPMG en avril 2018, où j'ai passé 3 ans dans le service « ECS ». Une expérience incroyable, avec des personnes formidables qui m'a permis de passer un réel cap. Au-delà de la gestion de dossiers comptables, j'ai pu intervenir sur des missions diverses de conseil, comme des business plans, des prévisionnels, l'intégration de nouvelles solutions digitales pour affiner les process, ou encore participer au développement de nouvelles offres pour la région sud-est (digitalisation, business intelligence). J'y ai grandi très vite, et je reste très attaché à ce cabinet et aux personnes qui le composent.

J'ai ensuite intégré le cabinet 01AS. Il recherchait un profil confirmé et entreprenant pour passer un cap de développement. Sa force réside dans une offre complète d'accompagnement des entreprises européennes, principalement françaises, dans leur désir d'implantation sur les marchés anglais et irlandais. J'ai d'abord exercé 1 an à Dublin avant d'être muté à Londres. Je viens d'obtenir le DSCG et je me suis inscrit cette année en tant qu'expert-comptable stagiaire expatrié hors UE.

Que peut apporter l'expatriation à un jeune expert-comptable ?

Il y a plusieurs bonnes raisons pour choisir l'expatriation, et chacun trouvera celle qui lui correspond le mieux.

Professionnellement d'abord, qu'il s'agisse du conseil, de l'audit ou de tout autre secteur, s'expatrier signifie être capable de s'adapter. C'est apprendre à entrevoir les problématiques sous une autre dimension et acquérir d'autres méthodes de travail et de réflexion. Ces dernières peuvent s'avérer être des armes exceptionnelles lors de futurs challenges, car plus on a d'angles d'attaque sur une problématique, plus on est, à mon sens, amené à proposer des solutions.

Ensuite humainement, s'expatrier signifie aussi « rencontrer ». Il est passionnant de découvrir des personnes avec une histoire, une vision, des valeurs tellement différentes des nôtres. On apprend aussi beaucoup sur soi, on remet en question parfois sa propre vision du monde, on découvre des régions... Cette expérience m'a poussé à dépasser mes propres barrières.

S'agissant des méthodes de travail, quelles sont les principales différences avec un cabinet français ?

D'un point de vue pratique, les principaux changements concernent bien évidemment les méthodes comptables. Il n'y a pas d'équivalent du PCG, pas de numéro de compte, juste de grands agrégats. J'aime particulièrement proposer des tableaux de bord, le mapping est donc souvent un challenge.

Les anglo-saxons attachent une très grande importance sur la gestion de trésorerie, les dettes et créances. Par conséquent, les logiciels sont principalement basés sur cet axe de travail et cela peut être troublant au premier abord. Ils ont récemment accentué leur lutte contre le blanchiment d'argent et leurs audits se rapprochent de ce que l'on connaît en France. Les liasses ne sont pas aussi complexes que les nôtres, et les échéances fiscales sont bien moins rapprochées (les TVA mensuelles sont extrêmement rares). Idem pour la gestion sociale.

En résumé, moins de complexité fiscale parfois, mais bien plus de problématiques de gestion et de compilation des données comptables.

Concernant le Brexit, quels impacts a-t-il eu sur votre activité ?

Le Brexit a entraîné une lourdeur administrative et plus de contrôles. Plusieurs groupes ont arrêté d'exporter vers le Royaume-Uni afin d'avoir du recul quant aux coûts administratifs (« Dutch Bike Bits » notamment).

En effet, le « Checking declarations of controlled goods imported into the UK » par exemple, est un process très long, quelle que soit la taille de la société, qui nécessite un regroupement complet d'informations et de justificatifs pouvant être usants pour les responsables comptables en interne.

Concernant les comptes clôturés depuis le 1er janvier 2021, il faut désormais utiliser les normes « UK-adopted IAS » au lieu des « EU-adopted IAS ».

D'un point de vue de la TVA, les règles qui s'appliquaient aux membres hors UE s'appliquent désormais également aux membres de l'UE. Cependant, le « Postponed VAT Accounting » (PVA) permet de ne pas payer la TVA au moment de l'import et de le reporter sur la déclaration de TVA.

En matière de recrutement, certains secteurs (restauration, tourisme, ...) souffrent déjà de l'impact du Brexit. Les démarches pour obtenir les visas sont longues et coûteuses et découragent les chefs d'entreprises. Cette main-d'½uvre était principalement constituée de jeunes issus des pays de l'UE.

En résumé, le Brexit a donc amené une lourdeur administrative qui va à l'encontre des principes de libre échange, qui, en plus de nuire aux commerces, a un coût élevé (direct, et aussi en termes d'affectation du temps de travail des salariés administratifs). Stratégiquement, de grands groupes ont déjà diminué leurs exportations vers le Royaume-Uni et cette situation profite notamment à l'Irlande. Il convient toutefois de nuancer ce constat avec la période délicate actuelle. Il faut en effet tenir compte de la crise de la Covid-19 et toute nouvelle réglementation nécessite une période d'apprentissage.

Quels conseils donneriez-vous à d'autres experts comptables stagiaires qui souhaiteraient s'expatrier ?

Selon moi, il n'y a pas de bon moment pour partir. Il y aura toujours quelque chose qui vous retiendra. Mon premier conseil est donc de sauter le pas, de ne pas tergiverser trop longtemps. Il ne vous sera jamais reproché, au contraire, d'avoir tenté une expérience à l'étranger.

Il est important de noter que l'on peut réaliser ses 3 années de stage dans l'UE. Hors UE en revanche, le stage est limité à 1 an. Il est donc plus judicieux si vous souhaitez vous expatrier hors UE de le faire lors de votre dernière année de stage, mais encore une fois, il n'y a pas de règles, lorsque l'opportunité se présente, il faut la saisir et reconnaître les moments clés.

Il ne faut pas se mettre de barrière psychologique inutile. J'ai longtemps hésité par peur de mon niveau d'anglais, alors qu'il était largement suffisant. Exercez-vous, lisez en anglais, regardez vos films/séries en anglais, soyez curieux, cela facilitera votre intégration de manière ludique. Pour l'anecdote, je me suis beaucoup amélioré en regardant et en essayant de reproduire les conférences de TED Talks.

Ne vous arrêtez pas non plus aux restrictions, quelles qu'elles soient. J'ai pu partir pendant le confinement et je ne le regrette pas.

L'expertise comptable et son futur c'est savoir faire preuve d'ouverture d'esprit, d'innovation, d'écoute, et d'adaptation. Quoi de mieux que le voyage pour s'y préparer ?



Maxime Navarrete
Responsable de l'actualité professionnelle de Compta Online, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Après 8 ans en tant qu'éditeur juridique puis rédacteur en chef de Lexis 360 experts-comptables chez LexisNexis, je rejoins l'équipe Compta Online en octobre 2021.
Suivez moi sur Twitter et sur Linkedin.