Dividende salarié : au-delà des slogans, Thibault Lanxade précise le dispositif

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Depuis un an, le dividende salarié fait beaucoup parler. Comment faut-il comprendre cette proposition ? Quelle serait sa portée ? A-t-elle de bonnes chances d'aboutir ? Thibault Lanxade, ambassadeur à l'intéressement et à la participation aux côtés d'Agnès Bricard et de François Perret, répond à nos questions.

On entend beaucoup de choses sur le dividende salarié : pouvez-vous nous donner votre définition ?

Le dividende salarié, c'est un renforcement du dispositif de participation. Aujourd'hui seules les entreprises de plus de 50 salariés sont dans l'obligation d'en verser. Il faut qu'elle concerne plus de personnes et qu'elle soit plus redistributrice.

Concrètement ce que je propose c'est de la rendre obligatoire à toutes les entreprises de plus de 11 salariés, de supprimer le ½ de la formule pour en doubler les sommes versées et mettre en place une règle de conditionnalité qui consiste à rendre obligatoire le versement d'un dividende salarié dès lors que des dividendes sont versés aux actionnaires.

Pour les entreprises de moins de 11, elles disposent de la prime partage de la valeur.

Voilà tout ce que recouvre ma notion de dividende salarié. Il ne s'agit donc pas d'un 3e dispositif, qui viendrait s'ajouter à ceux qui existent déjà. Il ne s'agit pas non plus d'une usine à gaz, comme je l'entends parfois. Il s'agit ni plus ni moins que d'un renforcement de la participation et de l'intéressement.

Ne pensez-vous pas que le terme de « dividende salarié » a pu créer de la confusion ? Pourquoi ce choix ?

C'est très simple : regardez le Code du travail, et son livre 3 [NDLR : Les articles L. 3311-1 à L. 3347-1 du Code du travail sont regroupés dans un livre III intitulé « Dividende du travail : intéressement, participation et épargne salariale »]. Dans la loi, les instruments de participation et d'intéressement constituent le dividende du travail, par distinction avec le dividende du capital.

La sémantique de « dividende salarié » n'est pas hasardeuse ou « marketing », elle est pensée, et fait référence à la loi, tout simplement.

Le renommer est très symbolique. Nous ne pouvons pas être le seul pays au monde où le dividende est un mot tabou. Nous devons impérativement inclure les salariés dans la valeur créée dans les entreprises et mettre en place des mécanismes plus juste de redistribution. Ce dividende salarié permettra bien évidemment d'augmenter le pouvoir d'achat des Français mais aussi de réconcilier les Français avec la notion de capital. Cela permettra de casser le débat sur les superprofits, dans la mesure où si les entreprises versent des « superdividendes » seront versées des « superparticipations ».

Ne risque-t-on pas de créer un système à deux vitesses avec d'un côté les grandes entreprises qui versent des dividendes importants et de l'autre les TPE ? 

C'est précisément la raison pour laquelle, dans les entreprises de moins de 11 salariés, le partage de la valeur ne doit pas passer par une extension de la participation, mais par un autre dispositif : une décision unilatérale de l'employeur pour verser la prime de partage de la valeur. 

Dans ces TPE, il n'y aurait donc pas de condition liée au versement de dividende, parce qu'on sait qu'un tel dispositif ne serait pas adapté. On pérennise la prime de partage de la valeur, en laissant la possibilité à chaque employeur de la verser ou non. Les salariés feront leur choix.

Derrière cela, il y aussi un véritable enjeu d'attractivité et de sujet de pérennisation des salariés dans les entreprises. Le partage de la valeur sera un élément différenciant pour les entreprises.

Quel est le degré de maturité de l'exécutif sur ce sujet ? Où en est-on ? 

L'exécutif a écrit une lettre de cadrage pour demander aux partenaires sociaux de se positionner sur le partage de la valeur. Cette lettre de cadrage reprend peu ou prou, les points que je viens d'exposer, traduits en objectifs. Cette négociation devrait se terminer fin janvier. 

La suite dépendra de l'ambition des partenaires sociaux. S'ils se montrent très ambitieux avec un accord national interprofessionnel (ANI) d'ampleur, il faudra le transposer tel quel dans la loi. 

En revanche, si le gouvernement juge que la négociation est trop faible, qu'elle manque d'ambition, il peut reprendre la main. C'est une promesse présidentielle du Président de la République, qu'il souhaite mener à bien. Cela pourrait se faire dans le cadre du Conseil national de la Renaissance par exemple, pour donner davantage de débats et d'espace au dialogue, ou en soumettant le sujet au Parlement, qui pourra ainsi l'enrichir.

Avez-vous un message à faire passer aux experts-comptables, en tant que conseillers privilégiés de 3 millions d'entreprises ? 

En tant qu'experts-comptables, vous êtes les partenaires privilégiés de l'entreprise. Les dispositifs de partage de la valeur nécessitent beaucoup de pédagogie, et dans ce cadre, vous avez un rôle clé à jouer. Il est important de réexpliquer que l'intéressement correspond à une prime mais que la participation, au même titre que le dividende, repose sur le bénéfice net fiscal de l'entreprise. 

En tant qu'ambassadeurs, avec Agnès Bricard, ancienne présidente du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables (CNOEC) et François Perret, nous avons tenté de proposer une simplification maximale, dont certaines propositions ont été reprises dans la loi PACTE. Mais il faut maintenant aller plus loin.

Les entreprises disposent de plusieurs outils, l'intéressement dont la mise en place d'accord a été simplifiée, la participation qui je l'espère sera d'ici peu remplacée par le dividende salarié et la prime partage de la valeur. Ces dispositifs sont complémentaires mais contribuent chacun à une augmentation du pouvoir d'achat.

Les chefs d'entreprise ont en effet besoin de recruter, de motiver et de fidéliser leurs salariés. Le partage de la valeur est un élément-clé dans ce domaine.

Compte tenu de l'inflation, les PME vont probablement devoir augmenter leur masse salariale de 10% dans les deux prochaines années. En utilisant ces dispositifs, il est possible de réduire le coût de cette augmentation pour l'entreprise, sans diminuer le montant perçu par les salariés. Le tout en maintenant une logique d'objectifs, d'aléas et donc de motivation des équipes.

Votre responsabilité c'est d'évaluer chaque dispositif en fonction de la situation particulière de vos clients, et de les orienter vers celui qui leurs correspondent le mieux. En cela, vous jouez un rôle majeur.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.