Cession de clientèle d'expertise comptable : les pièges à éviter

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La cession d'une clientèle d'expertise comptable ne s'improvise pas. Elle doit être l'aboutissement d'une période de réflexion, d'analyse et de négociation de la part des acquéreurs et des cédants, pour se prémunir des risques sérieux qui pèsent sur les deux parties.

Pourtant, aux vues du nombre de contentieux, force est de constater qu'un grand nombre d'entre elles se déroule de manière précipitée par des professionnels souvent désarmés et inexpérimentés. A l'occasion de la sortie de la plateforme Experts'Link, le point sur les pièges à éviter.

La rentabilité des dossiers repris

Chaque dossier client possède une rentabilité spécifique qui dépend des honoraires d'une part et du temps passé par le cédant et ses collaborateurs d'autre part. Trop souvent, l'acquéreur ne récupère du cédant que le montant des honoraires facturés pour chaque client racheté. Le repreneur ne découvre qu'après la cession que certains clients ne dégagent pas de rentabilité, ce qui sera problématique pour rembourser un emprunt souscrit lors de ce rachat de clientèle par exemple.

L'obtention par l'acquéreur de cette information lui permettra de calculer la rentabilité précise de chaque dossier et ainsi affiner le coefficient de valorisation en conséquence. L'acquéreur devra bien veiller à obtenir la distinction entre les temps passés par le cédant et ceux passés ses collaborateurs.

Les collaborateurs

En lien avec le point précédent, l'acquéreur peut s'apercevoir que le temps passé par le cédant sur certains dossiers, dont la cession est envisagée, est restreint. Si tel est le cas, l'intuitu personae n'existe pas forcément entre le client et le cédant, mais plus entre le client et le collaborateur qui s'en occupe.

Si tel est le cas, le risque de perte de clientèle n'est pas lié au changement d'expert-comptable mais lié à un départ potentiel du collaborateur en question.

Sans préjuger de ce qu'il se passera postérieurement à la cession, le risque de départ d'un collaborateur expert-comptable mémorialiste qui a 3 ans d'ancienneté n'est pas le même que celui du collaborateur avec un BTS présent au cabinet depuis plus de 20 ans.

Compte tenu de cela, l'acquéreur pourra mieux apprécier le risque de perte de clientèle et impacter en conséquence le prix de cession, en cas d'accord du cédant bien évidemment. A défaut, il lui reste bien évidemment la possibilité de ne pas contractualiser la cession de clientèle.

La présentation des clients

La réussite de la cession repose essentiellement sur la présentation du repreneur aux clients qui est effectuée par le cédant. Il existe trois procédés couramment utilisés, le troisième étant bien évidemment le meilleur moyen d'effectuer cette présentation :

  • l'envoi de courriers signés par le cédant (et aussi le cessionnaire dans certains cas),
  • le passage d'appels téléphoniques,
  • une présentation physique du cessionnaire.

Lors de la rédaction du contrat de cession, le paragraphe relatif à la présentation de clientèle est généralement mal rédigé. Une mauvaise rédaction permet au cédant d'envoyer un courrier standard à tous les clients cédés. Juridiquement, en cas de perte de clientèle liée à une présentation de l'acquéreur uniquement par courrier, aucun reproche ne pourra être signifié au cédant indélicat, volontairement ou non.

Pour éviter cette situation, la clause peut ainsi être rédigée :

À compter de la date d'entrée en jouissance, le cédant s'engage, pendant la durée de..., à présenter physiquement le cessionnaire à sa clientèle, comme étant le seul successeur et en invitant la clientèle à reporter sur lui la confiance qu'elle voulait bien lui accorder.

Le membre de la famille du cédant

Il est courant que le cédant possède un membre de sa famille établi dans la profession, expert-comptable ou non. Fréquemment, suite à une cession, un des membres de la famille du cédant peut récupérer, volontairement ou involontairement, tout ou partie de la clientèle cédée.

La jurisprudence nous montre que l'acquéreur n'a aucune chance d'obtenir en justice des dommages et intérêts pour le préjudice qu'il a subi dans ce cas-là, la liberté de choix des clients étant un sacro-saint principe.

Pour se protéger, l'acquéreur peut simplement faire figurer dans le contrat de cession une déclaration du cédant par laquelle il affirme qu'« aucun membre de la famille du cédant jusqu'au quatrième degré n'est ou n'a été expert-comptable ou collaborateur d'un expert-comptable, ou d'une manière générale... ».

L'augmentation des honoraires par le repreneur

Ce point n'a une importance que lorsque le cédant a accordé une garantie sur la clientèle à l'acquéreur. Si aucune mention contraire n'est indiquée dans le contrat de cession, rien n'empêche l'acquéreur d'augmenter les honoraires des clients repris, dans les proportions qu'il souhaite, que cela soit de manière justifiée ou non.

Un acquéreur, qui souhaiterait se séparer de certains clients non souhaités, pourrait ainsi augmenter les honoraires de ces clients de manière disproportionnée. En conséquence, ces derniers quitteront l'acquéreur, pour choisir un autre expert-comptable.

À la fin de la période de garantie, l'acquéreur demandera l'application de la garantie et se fera rembourser les clients par le cédant qu'il aura « volontairement » perdus. In fine, l'acquéreur n'aura payé que les clients qu'il souhaite garder et le cédant aura subi un préjudice. Face à ce risque, le cédant peut se protéger, en limitant ou en interdisant l'augmentation des honoraires pendant la période de garantie, par une simple phrase :

Pendant la période de garantie, l'augmentation des honoraires des clients repris par l'acquéreur est interdite / est limitée annuellement à X %, sauf accord express du cédant.

Les nouveaux clients obtenus par le repreneur

Comme pour le point précédent, celui-ci ne trouve à s'appliquer que lorsque le cédant a accordé une garantie de chiffre d'affaires à l'acquéreur. Pendant cette période, l'acquéreur peut développer sa clientèle en obtenant de nouveaux clients pouvant être liés au développement des clients qu'il vient de reprendre d'une part mais également obtenir de nouveaux clients pouvant provenir de relations et de sources extérieures et indépendantes de la clientèle reprise.

Si la clause de garantie ne comporte aucune mention spécifique, relative à ces nouveaux clients, alors ces nouveaux clients seront pris en compte dans le calcul du chiffre d'affaires global pour l'application de la garantie.

Si aucune précision n'est insérée dans le contrat de cession, cela peut donc se révéler défavorable pour l'acquéreur car les efforts de l'acquéreur pour développer son cabinet sans lien direct ou indirecte avec la clientèle reprise, seront pris en considération dans le calcul de la garantie de chiffre d'affaires.

En conclusion, l'audit de la clientèle cible est l'une des phases les plus importantes de la cession de clientèle pour l'acquéreur, mais celui-ci n'est pas toujours possible.

La rédaction du contrat de cession est l'autre phase importante de la cession de clientèle. Celle-ci intéresse l'acquéreur, qui lui permet de palier une absence d'audit ou un audit insuffisamment poussé, mais également le cédant. Indépendamment de cela, une rédaction réfléchie du contrat constitue une « check-list » de toutes les particularités de la cession que les parties doivent évoquer avant de signer.

Il est essentiel que les acquéreurs et cédants prennent conseil auprès de professionnels spécialisés, afin de recueillir des avis éclairés et d'éviter de commettre des oublis ou des erreurs dans la rédaction du contrat.

Article publié dans la revue Le Francilien - numéro 94.

Publication sur Compta Online en partenariat avec le Conseil Régional de l'Ordre des experts-comptables de Paris Ile-de-France.