Automatisation de la comptabilité : faut-il avoir peur des éditeurs ?

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Modifié le 19/12/2023
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Tribune de François Millo, directeur marché experts-comptables.

Le 78e Congrès de l'Ordre vient d'en faire la démonstration, à l'aube de l'étape importante que constitue la généralisation de la facturation électronique mais aussi des premiers usages en matière d'IA générative, la numérisation et l'automatisation sont deux enjeux majeurs pour les cabinets d'expertise comptable.

Pour autant, il faut le reconnaître, l'automatisation comporte aussi le risque de la désintermédiation par un transfert de valeur. Un exemple évoqué lors du Congrès peut le laisser penser : en Australie, les acteurs technologiques et bancaires ont automatisé plus vite que la profession, qui faute d'avoir pris le virage numérique à temps, a perdu 38% de son revenu en 8 ans [1].

Dans ces conditions, faut-il craindre que la valeur ajoutée se déplace des cabinets vers les éditeurs ?

En tant que directeur du marché experts-comptables de Cegid, et compte tenu de mon attachement profond à la profession, je souhaite vous livrer en quelques lignes et en toute transparence ma conviction.

L'automatisation, créatrice ou destructrice de valeur ?

La question ne date pas d'aujourd'hui : lorsqu'on mécanise, qu'on informatise ou, plus généralement, qu'on automatise une tâche, crée-t-on ou détruit-on de la valeur ?

Mes quelques souvenirs de cours d'économie me rassurent : le concept éprouvé de « destruction créatrice » introduit par Schumpeter, postule que les innovations technologiques ou les nouveaux modèles d'affaires remplacent les anciens, conduisant à la disparition des entreprises obsolètes tout en créant de nouvelles opportunités de marché et, en règle générale, un bilan très positif en termes d'emploi et de création de richesse.

L'avènement des smartphones, par exemple, a rendu obsolète les téléphones à clapet, tout en créant le marché florissant des applications mobiles, et en générant un nouveau monde d'opportunités économiques.

Autre exemple : l'informatisation, les téléprocédures et la dématérialisation n'ont pas fait chuter le chiffre d'affaires de la profession et l'emploi, bien au contraire.

Les choses sont-elles toujours si simples ? Les cabinets d'expertise comptable peuvent-ils dormir sur leurs deux oreilles en pariant sur une transformation presque magique de leur activité grâce à une stratégie volontariste en matière de digitalisation, d'automatisation et aux gains de productivité qui en résulteront ?

L'automatisation peut déplacer de la valeur

Je n'en suis pas si sûr, et cela pour une raison simple : les experts-comptables ne sont pas seuls sur le marché de l'accompagnement du dirigeant d'entreprise. Pour reprendre l'exemple cité plus haut, ceux qui fabriquent aujourd'hui des applications mobiles ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui fabriquaient des téléphones à clapet hier. La « destruction créatrice » vaut peut-être globalement, mais tous les acteurs n'en bénéficient pas forcément. En d'autres termes, une innovation technologique - dans notre cas l'automatisation de la tenue comptable - peut donc entraîner un déplacement de valeur.

C'est précisément ce qui s'est passé en Australie ces dernières années. A trop se focaliser sur la « voiture balai » [2] de la transformation numérique qu'est la réforme obligatoire de la facture électronique, la profession australienne a oublié que d'autres couraient déjà en tête. Les banques et les éditeurs de logiciels ont proposé aux entreprises les services qu'elles réclamaient depuis longtemps, sans attendre une quelconque réforme. Les flux de facturation et tous les services associés se sont déplacés des cabinets vers ces entreprises, et il sera bien difficile de les récupérer.

Cette situation n'est pas exclue en France : il suffit de regarder les annonces de certains candidats PDP pour se rendre compte que de nombreux acteurs se positionnent pour récupérer les flux des entreprises glissant progressivement vers une offre de pré-comptabilité, de gestion de la facturation, et d'accompagnement.

L'automatisation peut détruire de la valeur

Le premier risque est donc une captation de valeur par des acteurs extérieurs à la profession. Ça n'est pas le seul. Admettons que la profession parvienne à numériser et automatiser largement ses flux dans les mois à venir, empêchant ainsi toute désintermédiation du marché. Dans ce scénario qui semble idéal, je vois un autre risque : celui de la destruction pure et simple de valeur.

Je m'explique. Si la profession ne se concentre que sur la numérisation et l'automatisation de ce qu'elle fait déjà, qu'elle pense seulement outil et non stratégie, qu'elle pense uniquement productivité et non offre de services, elle prend le risque de scier la branche sur laquelle elle est assise. Le risque, c'est de créer un environnement dans lequel les processus sont tellement automatisés que le client ne perçoit plus la valeur du service apporté. C'est suivre l'exemple des banques, qui, trop heureuses de pouvoir réduire leurs coûts, ont informatisé leurs processus en oubliant l'humain. On connaît le résultat !

La thématique du 78e Congrès était particulièrement juste à cet égard : « de la facture électronique à la data, le début d'une nouvelle ère ». La facture électronique oui, mais à condition de penser à la suite, à une offre de services qui corresponde aux attentes des entreprises. Réfléchir uniquement aux outils, c'est risquer d'en devenir un aux yeux de ses clients.

Automatiser pour créer de la valeur

Le contre-exemple, c'est celui de l'industrie automobile. La robotisation des chaînes de production est absolument considérable, et les modes de production d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec ceux d'il y a 30 ou 50 ans. Pour autant, aucun fabricant de robot n'a choisi de lancer sa propre marque de voiture. Nous continuons à acheter des Renault, des Peugeot ou des BMW et personne ne connaît le nom d'un fabricant de robots industriels.

Comment les constructeurs automobiles ont-ils réussi cet exploit d'automatiser sans détruire ou transférer de valeur à un tiers ? La réponse est simple : ils ne se sont pas contentés de produire plus vite et moins cher les véhicules des années 1950. Au contraire, ils ont capitalisé sur cette automatisation pour accroître la valeur proposée, en ajoutant de nouveaux équipements, en augmentant la sécurité des véhicules, voire en se transformant en prestataires de services, avec des offres « entretien compris ». Bref, en ajoutant de la valeur à la valeur, en réinventant leurs offres de services, dans l'intérêt de leurs clients.

L'ADN de Cegid, c'est d'être aux côtés des experts-comptables

Comment se positionne Cegid dans ce contexte ? Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du genre à trahir mes valeurs. Après 25 ans au service de la profession, au sein de ses institutions, j'ai choisi de rejoindre Cegid justement parce que son ADN est d'être au service des experts-comptables. Cegid se positionne clairement en tant qu'outil, et non en tant que « désintermédiateur » de la profession.

J'entends déjà les premières réactions : « c'est le discours de l'ensemble des partenaires de la profession, comment le croire ? ». Je ne citerai donc qu'un exemple, récent, à l'appui de cette affirmation : le positionnement de Cegid en matière de data.

Concrètement, Cegid a décidé de soutenir le projet de data lake de la profession porté par ECMA, filiale du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables en facilitant la participation des cabinets qui le souhaitent. Avec pour objectif de leur permettre de créer de la valeur à travers la restitution de ces données uniques à leurs clients et ainsi de mieux les accompagner.

Par ailleurs, nos développements, notamment avec Cegid Business Connect, Cegid Quadra Plus et Cegid Loop mais aussi par les investissements massifs réalisés ces dernières années dans le cloud et les technologies d'automatisation, visent à vous apporter les meilleurs outils et les connexions nécessaires pour adresser de nouvelles missions ressortant du Full Services ou de RAF externalisé.

Plus précisément, Cegid Business Connect, en tant que plateforme collaborative de gestion des flux électroniques permettra de collecter et concentrer en un seul espace l'intégralité des flux financiers des entreprises (ventes, achat, banque, contrat...). Aussi, le suivi en temps réel de la santé financière des entreprises permettra d'accélérer la prise de décision, d'être plus proactif et donc développer de nouvelles missions de conseil et d'accompagnement : gestion en trésorerie, facturation, relance et recouvrement amiable, financement...

Pour cela, l'automatisation des tâches les plus simples et répétitives que permettent nos solutions, visent à vous libérer du temps pour embrasser ces formidables opportunités de création de valeur. Sans compter l'impact de l'IA générative que nous implémentons dans nos outils au fur et à mesure qui, selon une étude récente de CPA Australia, pourrait contribuer à automatiser 36 % des tâches de nature comptable.

Notre stratégie est simple : être à vos côtés pour faire grandir la marque experts-comptables.

Automatiser est indispensable. Toutefois, en se contentant de cela, la profession prend le risque de perdre de la valeur. Proposer de nouveaux services, réfléchir à son modèle économique et aux attentes des clients est donc crucial. La bonne nouvelle, c'est que vous n'êtes pas seul : Cegid a été à vos côtés dans les premières années de l'informatisation de la comptabilité, au moment de la dématérialisation des déclarations, lors du passage dans le cloud. Nous le sommes aujourd'hui par l'implémentation des moteurs d'IA dans nos solutions pour vous accompagner encore plus loin dans l'automatisation et le développement de nouvelles missions. Vous l'avez compris, nous serons toujours à vos côtés pour écrire ce nouveau chapitre de votre histoire.

[1] Voir Les actes du 78ème congrès de l'Ordre des experts-comptables, p.38.

[2] Pour reprendre l'excellente expression de Florent Dujardin, directeur général de Dext

Acteur majeur de la transformation numérique des entreprises, et premier fournisseur de solutions informatiques pour la Profession Comptable, le groupe Cegid propose des services cloud et des logiciels de gestion.