Maîtriser les enjeux de l'audit du crédit impôt recherche

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Le crédit impôt recherche (CIR) est un dispositif fiscal qui fête en 2023 ses 40 ans et représente, chaque année, près de 6 milliards d'¤ pour 16 000 entreprises bénéficiaires. En tant que commissaire aux comptes, il convient d'en maîtriser les enjeux.

Les risques portant sur le CIR



Le CIR en bref

Le CIR est ouvert à toute entreprise, quelle que soit sa forme juridique et son mode d'imposition.

La recherche éligible au CIR englobe les activités réalisées selon une démarche scientifique en vue de lever des verrous scientifiques, c'est-à-dire des problèmes qui ne trouvent pas de solution dans l'état des connaissances accessibles. Il s'agit des activités de R&D correspondant à :

  • la recherche fondamentale ; 
  • la recherche appliquée ;
  • le développement expérimental. 

Le Manuel de Frascati précise les 5 critères cumulatifs qu'une opération de R&D doit respecter pour être éligible au CIR.

L'entreprise détermine annuellement les dépenses engagées au titre de ses activités de R&D éligibles, dans le respect des conditions strictes édictées par l'administration fiscale. Puis, elle déclare annuellement ce montant lors du dépôt de la liasse fiscale. Le crédit d'impôt est de 30% du montant des dépenses (jusqu'à 100 millions d'¤, puis 5% au-delà). Le CIR est alors imputé sur l'impôt ou peut être remboursé immédiatement sous certaines conditions (c'est le cas pour les entreprises nouvelles, le statut JEI, les PME au sens communautaire, etc.), mobilisé ou préfinancé.

Après le dépôt de la déclaration CIR, l'entreprise peut être soumise à un contrôle par l'administration fiscale, et ce pendant un délai de 3 ans. Le remboursement du CIR ne vaut pas validation de celui-ci. Lors d'un contrôle, l'administration fiscale s'assurera que les activités de R&D sont éligibles et que l'assiette de calcul est correcte. Le principal risque est donc lié au redressement fiscal. La législation sur le CIR évolue chaque année : l'administration fiscale édite un « Guide du CIR » afin de rendre compte de ces évolutions.

Le CIR est considéré comme une estimation de la direction et à ce titre, la NEP 540 s'applique.

Le risque de remise en cause de l'éligibilité

La nécessité d'une démarche scientifique pour chaque opération de R&D

Une activité de R&D doit satisfaire aux 5 critères cumulatifs du manuel de Frascati :

  • comporter un élément de nouveauté ;
  • comporter un élément de créativité ;
  • comporter un élément d'incertitude ;
  • être systématique ;
  • être transférable et/ou reproductible.

La démarche scientifique repose sur la notion d'état de l'art. Cela consiste à réaliser une recherche bibliographique (à partir d'articles de journaux, revues, actes de conférences scientifiques et/ou techniques, livres, thèse, brevets et bases de données techniques, etc.) ainsi qu'une analyse détaillée des approches théoriques ou pratiques existantes. Si le problème posé n'a pas trouvé de solution, alors il s'agit d'un verrou scientifique nécessitant l'engagement d'une opération de R&D.

Il est à noter que l'administration fiscale a précisé la notion d'opérations de R&D. Elle part du postulat qu'une entreprise innovante développe un ou plusieurs projets R&D qui doivent être décomposés en opérations de R&D ; chaque opération vise à lever un verrou scientifique nettement individualisé. Une même opération de R&D peut être ainsi commune à plusieurs projets de l'entreprise.

La nécessité d'un dossier justificatif argumenté

Lors d'un contrôle fiscal portant sur le CIR ou d'une demande de remboursement, l'administration demande que l'entité bénéficiaire lui transmette un dossier justificatif dont la trame est définie par le ministère de la Recherche.

Pour chacune des opérations de R&D, il est nécessaire d'indiquer notamment les indicateurs de recherche, la démarche scientifique, les ressources humaines engagées, l'existence de partenariats scientifiques et le recours éventuel à des sous-traitants.

Il s'agit d'une description très précise des travaux de recherche réalisés sur l'année. De plus, il est nécessaire de documenter la partie financière. Pour chaque opération de R&D, doit être indiqué le montant des dépenses associées (personnels et jeunes docteurs, amortissements, sous-traitance, brevets, etc.) dans le respect des dispositions fiscales.

Par la lecture du dossier, l'administration fiscale veut s'assurer que l'entité réalise des opérations de R&D conformes aux cinq critères du Manuel de Frascati. Pour ce faire, le dossier justificatif est transmis à un expert scientifique pour examen. L'objet de cette expertise est de valider la démarche intellectuelle et non pas simplement les objectifs et les résultats d'un projet de l'entreprise.

L'administration fiscale précise que le dossier doit être annuel, concis, précis, rédigé par le personnel R&D de l'entreprise. Un dossier reconstitué ultérieurement, pour les besoins d'un contrôle, va engendrer pour l'entreprise de réelles difficultés à détailler ses travaux antérieurs et, par voie de conséquence, générer des incompréhensions pour l'expert.

A défaut, l'administration fiscale peut alors remettre en cause l'intégralité du CIR lié à l'opération de R&D mise en cause, peu importe l'exactitude du calcul de l'assiette.

Le risque de remise en cause de l'assiette des dépenses

L'administration fiscale collecte, par le biais du dossier justificatif, le montant des dépenses engagées au titre des opérations de R&D. Pour chacune d'elles, elle précise spécifiquement la nature des dépenses éligibles, les plafonds applicables et les points de vigilance. La lecture de la doctrine fiscale et du Guide du CIR permet de se renseigner sur ce point.

Par exemple, la doctrine précise que « sont incluses dans l'assiette les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés aux opérations de recherche ». Puis, la doctrine définit les notions de chercheurs / techniciens et indique que sont pris en compte les salaires proprement dits, indemnités de congés payés, cotisations sociales obligatoires, etc.

Les enjeux pour l'entité bénéficiaire du CIR sont multiples :

    • avoir une comptabilité analytique fiable afin de lui permettre de retracer l'ensemble des dépenses engagées au titre de chaque opération de R&D ;

  • déterminer, en respectant les dispositions fiscales, le montant des dépenses éligibles ;
  • justifier, dans le dossier transmis à l'administration, la qualification, les compétences et l'adéquation aux travaux menés par le personnel, décrire le rôle précis de chacun et ce pour chaque opération de recherche.

Lors d'un contrôle, l'administration fiscale peut remettre en cause l'assiette des dépenses, et réduire ainsi le montant du CIR.

Les diligences du commissaire aux comptes



S'assurer de l'éligibilité des opérations de R&D

Les diligences sur l'éligibilité

Le commissaire aux comptes pourra mettre en ½uvre les diligences suivantes :

  • solliciter un entretien avec la direction scientifique et la direction générale afin de comprendre le processus de détermination des opérations éligibles et les modalités de calcul de l'assiette ;
  • faire une revue du process R&D lors d'une intervention sur le contrôle interne ; 
  • s'enquérir si des mesures de sécurisation du CIR (rescrit, contrôle sur demande) ont été effectuées ;
  • documenter le recours à un prestataire externe pour le calcul du CIR et la déclaration du CIR. Dans ce cas, la NEP 620 est applicable. A noter que le Médiateur des Entreprises a recensé 45 cabinets de conseil signataires d'une charte.

Les diligences sur les dossiers justificatifs

Il convient d'obtenir la fiche descriptive de l'ensemble des projets ou d'un échantillon s'ils sont nombreux. Sur celle-ci, le commissaire aux comptes pourra :

  • s'assurer que l'état de l'art est convenablement documenté ;
  • prendre connaissance de la chronologie des phases de recherche sur l'exercice et faire le lien avec la qualification et le nombre de salariés engagés ;
  • identifier les partenaires du consortium et les sous-traitants ;
  • être attentif aux agréments CIR.

S'assurer de la correcte assiette des dépenses

Une fois les faisceaux d'indices relevés sur l'éligibilité des opérations de R&D, le commissaire aux comptes doit contrôler l'assiette de calcul et la nature des dépenses déclarées. Les principales diligences que le commissaire aux comptes peut conduire sont listées ci-après.

Les diligences sur les dépenses de personnel

  • s'assurer de la cohérence des heures de R&D, recalculer le pourcentage d'affectation et le coût horaire. La doctrine fiscale précise que « les entreprises doivent pouvoir établir, avec précision et rigueur, le temps réellement et exclusivement passé à la réalisation d'opérations de recherche, toute détermination forfaitaire étant exclue » ;
  • s'assurer que seules les cotisations sociales obligatoires sont prises en compte ;
  • s'assurer que les conditions fixées sur les dépenses de jeunes docteurs sont respectées. 

Les diligences sur les dotations aux amortissements

  • recalculer le pourcentage d'affectation à la R&D pour les dotations les plus significatives. La doctrine indique que seule la part dévolue à la R&D doit être retenue pour le calcul de ces dotations ;
  • obtenir une copie de l'attestation du crédit-bailleur pour les immobilisations en crédit-bail.

Les diligences sur les dépenses de sous-traitance

  • contrôler sur le site du ministère de la Recherche la catégorie de sous-traitant (privé versus public) et vérifier le calcul ;
  • obtenir la fiche descriptive ad hoc indiquant le nom du sous-traitant, l'opération de R&D à laquelle est rattachée ces travaux, le résumé des travaux confiés et le montant facturé ;
  • être attentif à la sous-traitance en cascade et aux plafonds applicables ;
  • s'assurer que l'entité auditée est agréée par le Ministère de la Recherche ou non. Si oui, il est nécessaire d'éviter la double prise en compte des mêmes travaux de recherche pour le donneur d'ordre et le prestataire agréé.

Les diligences sur les autres dépenses

Il convient d'être attentif aux plafonds des dépenses de normalisation, veille technologique, propriété intellectuelle, ainsi qu'à la nature des dépenses éligibles.

Les diligences sur les sommes à déduire

Il convient de déduire de l'assiette du CIR les subventions/avances remboursables, les prestations de conseil et les prestations de sous-traitance agréée.

En conclusion, le CIR est un dispositif fiscal courant dans la vie des affaires. Les risques de redressement fiscal sont importants. Le commissaire aux comptes peut s'appuyer sur le Guide du CIR annuel pour actualiser ses connaissances.



Mathias Rodier est expert-comptable, il a rédigé un mémoire d'expertise-comptable sur les spécificités de la démarche d'audit dans une société de chimie verte et les problématiques associées (financement de l'innovation, CIR, process R&D).