Rentabilité des cabinets : et si l'arbre cachait la forêt ?

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Pour la 4è année consécutive, b-ready publie l'Eco-Graphie de la profession comptable, une analyse exclusive de la performance des cabinets d'expertise comptable. Cette nouvelle édition porte sur l'analyse comparée des performances des cabinets sur la période 2007-2015.

Décryptage de cette 4ème édition [1].

Comme les versions précédentes, l'Eco-Graphie de la profession comptable 2017 qui analyse les performances des cabinets sur l'année 2015 comprend 3 volets : une analyse nationale, une analyse par taille de cabinets et une analyse par région.

L'analyse nationale



Une bonne année 2015, mais...

La précédente édition de l'Eco-Graphie nous avait apporté une bonne nouvelle : après des années d'érosion, les performances d'exploitation des cabinets étaient enfin reparties à la hausse. Cette bonne nouvelle, qui, rappelons-le tout de même, était entièrement imputable à la baisse des charges sociales intervenues cette année-là, s'est confirmée en 2015. Dans un contexte de croissance soutenue de l'activité, les cabinets de l'échantillon sont, en effet, parvenus à stabiliser leur taux de résultat d'exploitation en 2015. Cette embellie moyenne est naturellement une bonne et même une très bonne nouvelle.

Cela dit, une analyse plus fine des résultats (et notamment l'analyse selon la taille des cabinets) montre que la fracture, que l'on voyait poindre depuis quelques temps, se confirme entre des cabinets qui s'en sortent bien et d'autres (souvent les plus petits) qui rencontrent de plus en plus de difficultés.

A titre d'illustration intéressante des difficultés rencontrées par certains cabinets, le nombre de cabinets qui ne déposent plus leurs comptes est en constante (et rapide) augmentation depuis deux ans.

Quatre grandes tendances sur la période 2007-2015, qui montrent que le modèle des cabinets évolue

Les évolutions sur les huit dernières années confirment que les mutations en cours dans la profession ont des impacts marqués sur le modèle des cabinets. Parmi les grandes tendances qui se dégagent sur les dernières années, citons notamment :

  • Une évolution relativement modeste du chiffre d'affaires déflaté des cabinets. Oubliés, en effet, les taux de croissance soutenus des années 2000. Dans un contexte de tensions toujours plus fortes sur les prix de la mission de base, la profession est clairement entrée dans une phase de croissance molle ; une phase dont elle ne sortira que par le développement de nouvelles missions.
  • Une croissance explosive des charges externes, qui progressent 2 fois plus vite que le chiffre d'affaires sur la période. Le gonflement de ce poste de dépenses traduit à la fois la hausse des dépenses incompressibles (loyers, assurance...) et le recours de plus en plus courant à des prestataires externes (juristes, fiscalistes, gestionnaire de patrimoine...) afin de proposer un spectre de missions plus large à leurs clients [2].
  • Une progression des frais de personnel moins importante que celle du chiffre d'affaires. Autrement dit, les cabinets d'expertise comptable continuent de réaliser des gains de productivité sur la période 2007-2015 [3]. C'est naturellement une bonne chose, mais, malheureusement, ces gains de productivité ont rarement été réinvestis pour préparer le cabinet de demain, notamment en développant de nouvelles missions.
  • Une croissance très modeste du résultat d'exploitation des cabinets. En pratique, les gains de productivité ont essentiellement été redistribués aux clients, aux fournisseurs, sous la forme de charges externes et, dans de nombreux cabinets, en surqualité. Si bien, qu'au final, le résultat d'exploitation déflaté des cabinets affiche une progression totale de moins de 4% sur l'ensemble des huit années de la période de référence. Et encore, rappelons que cette croissance est en (très) grande partie imputable à la baisse des charges sociales de 2014, qui a dopé le résultat des cabinets.

Un défi majeur pour les prochaines années : inventer l'offre de demain

Hors inflation, le chiffre d'affaires de la profession a affiché en 2015 sa plus forte croissance depuis 2008. Deux phénomènes se sont conjugués pour arriver à cette performance : une croissance du chiffre d'affaires supérieure à celle des deux années précédentes et une inflation nulle. Sur moyenne période, la croissance du chiffre d'affaires de la profession demeure toutefois modeste.

Par ailleurs, compte tenu de la montée en puissance inéluctable des nouveaux logiciels qui automatisent une large partie de la production comptable, cette tendance n'est pas prête de s'inverser. Au contraire, les tensions devraient même se faire de plus en plus fortes.

Selon une enquête menée par le think tank Les Moulins [4],

  • Moins de 15% des experts-comptables pensent que l'automatisation de la production comptable n'aura pas d'impact sur le chiffre d'affaires des cabinets.
  • Près de la moitié des répondants considèrent que l'automatisation fera perdre aux cabinets entre 10% et 30% de leur chiffre d'affaires. Et Ils sont même 20% à penser que l'impact sera supérieur à 30 %.

Dans ces conditions, la recherche de nouvelles missions pour « remplacer » ce chiffre d'affaires perdu va rapidement s'imposer comme le principal défi des cabinets dans les années à venir. La bonne nouvelle, c'est que ces nouveaux logiciels vont justement redonner aux cabinets ce temps qui leur fait tant défaut. La mauvaise, c'est que l'évolution de l'offre des cabinets ne se fera pas par hasard. Il va falloir mener une démarche volontaire et structurée pour faire évoluer le modèle des cabinets [5].

L'analyse par taille

Le rebond de l'activité et de la performance des cabinets observée en 2014 et en 2015 est sans conteste une bonne nouvelle, mais il ne doit pas occulter le fait que le fossé ne cesse de se creuser entre les cabinets d'une certaine taille et les autres.

Pour résumer, et même s'il existe naturellement (et heureusement) des exceptions à la règle, on distingue de plus en plus clairement :

  • des cabinets, généralement d'une certaine taille, qui s'en sortent bien (voire très bien).
  • des cabinets qui, au contraire, voient leur chiffre d'affaires se contracter et leurs performances s'éroder régulièrement [6]. Ces cabinets, le plus souvent de petite taille, ont certes obtenu un répit avec l'allègement des charges sociales de 2014, mais, s'ils ne font pas évoluer rapidement leur positionnement et leur champ d'intervention, leur futur risque rapidement de manquer cruellement d'avenir.

Le chiffre d'affaires

La prime à la taille constitue, plus que jamais, une réalité dans la profession. Plus les cabinets sont de grande taille, plus la croissance de leur chiffre d'affaires est dynamique. Ainsi,

  • alors que les cabinets réalisant plus d'1 M¤ de chiffre d'affaires annuel ont vu leur chiffre d'affaires progresser de plus de 30% sur la période 2007-2015, celui des cabinets réalisant moins de 500 k¤ a augmenté de seulement 7,3% sur la période.
  • Or, il n'est certainement pas inutile de rappeler que l'inflation cumulée sur la période a dépassé les 10%. Autrement dit, en euros courants, le chiffre d'affaires de ces cabinets a baissé entre 2007 et 2015.

Le chiffre d'affaires par collaborateur

Le chiffre d'affaires par collaborateur, qui est une donnée clé de la performance des cabinets, est également une fonction croissante de la taille.

  • Il est en effet de 110 K¤ dans les cabinets réalisant entre 5 et 10 M¤ de chiffre d'affaires, soit près de 70% de plus que ce que l'on observe dans les cabinets qui affichent moins de 500 k¤ annuels.
  • Ce chiffre d'affaires par collaborateur tend par ailleurs à progresser plus rapidement dans les cabinets d'une certaine taille que dans les structures plus petites.

Les charges externes

Comme pour le chiffre d'affaires, la croissance des charges externes est une fonction croissante de la taille. Cela dit les cabinets ont vu le poids de ce type de dépenses s'alourdir de façon très significative (et continue) entre 2007-2015 :

  • +4,0 points pour les cabinets de moins de 0,5 M¤ de chiffre d'affaires.
  • +4,4 points pour les 0,5-1 M¤.
  • +5,8 points pour les 1-2,5 M¤.
  • +4,7 points pour les 2,5-5 M¤.
  • +4,4 points pour les 5-10 M¤.

Les frais de personnel

En moyenne, les frais de personnel représentent 53,5% du chiffre d'affaires des cabinets de l'échantillon (contre 56,8% en 2007).

Toutes les tailles de cabinets ont vu le poids de leurs frais de personnel se contracter sur la période de référence. Cela dit, en la matière, le clivage est encore une fois très clair selon la taille des cabinets, avec :

  • Une baisse contenue du poids des frais de personnel sur la période pour les plus petits cabinets :
    » -0,4 point pour les moins de 0,5 M¤ de chiffre d'affaires.
    » -1,4 point pour ceux réalisant entre 0,5 et 1 M¤.
  • Une baisse beaucoup plus marquée pour les cabinets d'une certaine taille :
    » -3,9 points pour les 1-2,5 M¤.
    » -4,1 points pour les 2,5-5 M¤.
    » -4,5 points pour les 5-10 M¤.

Le résultat d'exploitation

La situation des plus petits cabinets est véritablement préoccupante, avec un résultat d'exploitation déflaté en baisse de 23% sur la période 2007-2015.

Ces difficultés croissantes des petits cabinets traduisent de fortes tensions sur les prix de la prestation de base [7], alors même que les contraintes administratives qui pèsent sur eux sont de plus en plus fortes. Autrement dit, les petits cabinets, qui réalisent l'écrasante majorité de leur activité sur la mission traditionnelle, effectuent de plus en plus de tâches à faible valeur ajoutée qu'il est de plus en plus difficile de valoriser auprès des clients et donc, in fine, de facturer.

Cette situation est de plus en plus problématique dans la mesure où ces activités chronophages empêchent ces cabinets de se dégager du temps pour faire évoluer leurs cabinets et s'adapter aux mutations profondes qui s'annoncent [8]. Toujours la tête dans le guidon, ces cabinets n'ont pas le temps de préparer l'avenir en développant des missions à plus forte « utilité ajoutée » dont les clients ont véritablement besoin (accompagnement de gestion...).

L'analyse par région



Le chiffre d'affaires

L'analyse de l'évolution de l'activité par régions fait apparaître de réelles disparités entre les territoires en matière d'évolution du chiffre d'affaires. Sur l'ensemble de la période 2007-2015, la croissance cumulée du chiffre d'affaires déflaté des cabinets s'échelonne ainsi entre :

  • 10% pour les cabinets de la région des Hauts-de-France...
  • ... et plus de 26% pour ceux de la région Bretagne.

Autre enseignement de cette analyse régionale, la forte disparité qui persiste, en termes de croissance du chiffre d'affaires, entre les cabinets franciliens et leurs homologues de province :

  • Sur les 8 années analyses, les cabinets d'Ile-de-France ont systématiquement vu leur chiffre d'affaires progresser moins rapidement que celui de la moyenne des cabinets français. Dans ces conditions, sur l'ensemble de la période 2007-2015, la croissance cumulée du chiffre d'affaires des cabinets de province est de 5 points supérieure à celle des cabinets d'Ile-de-France.
  • Cette disparité traduit notamment la très forte concurrence qui règne en région parisienne, avec près de 6 000 professionnels qui se disputent la clientèle des TPE-PME locales. Des entreprises qui hésitent de moins en moins à jouer la carte des prix, ce qui est d'autant plus facile que les prestations des cabinets demeurent, globalement, peu différenciées [9].

Le résultat d'exploitation

En matière de taux de résultat d'exploitation, la situation des cabinets français s'est améliorée en 2014 et en 2015.

  • En 2014, les cabinets de toutes les régions (à l'exception de la Bretagne) ont vu leur taux de résultat d'exploitation se redresser, après plusieurs années de baisse régulière [10].
  • En 2015, près de la moitié des régions ont confirmé, avec une nouvelle progression (ou une stabilisation) de leur taux de résultat d'exploitation.

Cela dit, sur les 8 années analysées, toutes les régions, à l'exception du Centre Val de Loire, ont vu le taux de résultat d'exploitation de leurs cabinets se contracter. Notons que les cabinets corses sont également parvenus à améliorer (sensiblement) leur niveau de performance entre 2007 et 2015.

Notons enfin que les disparités observées entre l'Ile-de-France et le reste du territoire en matière de chiffre d'affaires se retrouvent (sans grande surprise) lorsque l'on analyse les évolutions du résultat d'exploitation.

  • Entre 2007 et 2015, le résultat d'exploitation déflaté des cabinets de province s'est accru de 6,4%. Dans le même temps, celui des cabinets d'expertise comptable franciliens s'est contracté de 4,5%.
  • Dit autrement, si le développement de nouvelles missions apparaît aujourd'hui comme une obligation pour tous les cabinets, l'urgence est bel et bien réelle pour les professionnels qui opèrent dans la région parisienne.

Ludovic Melot
Consultant de la profession comptable
b-ready - Conseil et accompagnement des professions réglementées

[1] Retrouver l'intégralité de l'étude : www.b-ready.fr/juste-pour-vous/publications/nos-publications/

[2] Rares sont en effet les cabinets qui internalisent des compétences éloignées du métier de base, le plus souvent pour des questions de taille ou d'activité sous-dimensionnée par rapport au coût d'une embauche.

[3] Ce que confirme la dernière étude de l'Observatoire de la profession comptable. Selon elle, un collaborateur gérait en effet 20 dossiers en moyenne en 2002, alors qu'il en gérait 26 en 2012.

[4] Quelles missions demain ? étude des Moulins, juillet 2017

[5] Pour plus de précisions sur cette problématique de la recherche de nouvelles missions, lire l'étude des Moulins. www.lesmoulins.club

[6] Les études réalisées par le Conseil supérieur de l'Ordre montrent en effet que les plus petits cabinets sont ceux qui dépendent le plus de la mission comptable traditionnelle : la prestation comptable (tenue + surveillance) a ainsi assuré plus de 80% du chiffre d'affaires des cabinets sans salarié, contre moins des deux tiers pour les entités de plus de 20 collaborateurs.

[7] Selon les dernières études de l'Observatoire de la profession comptable, le panier moyen des cabinets de moins de 50 collaborateurs a baissé d'un tiers, en euros constants, depuis une dizaine d'années.

[8] Rappelons en effet que les opérations de saisie et de tenue, qui représentent encore aujourd'hui près de 50% du chiffre d'affaires de la profession vont être automatisées à très court terme par des logiciels de nouvelle génération.

[9] Rappelons que lorsque les prestations sont indifférenciées, le critère de choix est systématiquement le prix.

[10] Ce rebond des performances d'exploitation des cabinets était alors essentiellement imputable à la baisse des charges sociales des cabinets liée au CICE.