Non Fungible Tokens (NFT) : panorama des problématiques comptables

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Démocratisé avec l'engouement des « CryptoKitties », les « non fungible token » ou NFT sont des crypto-actifs qui possèdent des caractéristiques techniques intrinsèques qui les rendent uniques et leurs confèrent leurs valeurs fondamentales.

A lire : « Non Fungible Tokens (NFT) : déductibilité des pertes latentes »

Juridiquement : « les choses fongibles désignent les biens (matières, marchandises) qu'on ne peut pas individualiser en raison de leur nature et leur quantité ». A titre d'illustration, nous pouvons citer l'eau. En effet, l'acquisition par un consommateur via internet d'une quantité d'eau sous forme de bouteille n'est pas celle qui recevra physiquement, mais un équivalent en quantité et valeur présentant les mêmes caractéristiques (exemple emprunté au site LegaLife).

La non-fongibilité d'un objet numérique (adresse web, objet artistique numérique...) est rendue possible à travers le recours à la technologie générique de la blockchain et plus spécifiquement grâce au protocole ERC721, lequel garantit à leurs détenteurs l'unicité du jeton numérique détenu.

Compte tenu de la spéculation inhérente à cette typologie de crypto-actifs, en tant que professionnel, il convient de s'interroger sur les problématiques comptables, fiscales que peuvent rencontrer les entreprises françaises qui souhaiteraient acquérir et détenir des NFT, et les présenter fidèlement dans leur bilan comptable et financier.

Remarque

Les problématiques comptables chez l'émetteur ne sont pas traitées dans cet article, qui détaille uniquement le traitement comptable chez une société commerciale française acquéreuse.

 

Validation comptable du statut de jeton

Les règlements de l'ANC traitant des jetons (2018-07 et 2020-05), modifiant le plan comptable général, ne traitent pas spécifiquement de la comptabilisation des NFT.

Ainsi, en l'absence de traitement clair et spécifique, il convient de s'interroger afin que la comptabilisation des NFT répondent le plus objectivement à la réalité économique et juridique de l'opération d'acquisition par l'entité.

Le débat initial de la comptabilisation des NFT se situe au niveau de la définition comptable d'un token ou jeton numérique. Pour rappel, l'Autorité des Normes Comptables (ANC) reprend la définition des jetons numériques telle que définie dans le code monétaire et financier dans son article 619-1 :

« Constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

A ce stade, les NFT entrent pleinement dans la définition comptable d'un jeton numérique.

Caractéristiques du jeton : titre financier ou jeton d'utilité ?

Comme indiqué par l'article 619-10 du règlement de l'ANC, les caractéristiques du jeton déterminent les règles de comptabilisation en norme comptable française.

Dès lors, il convient de s'interroger sur les caractéristiques spécifiques d'un NFT. De manière générique, et sous réserve d'une analyse juridique approfondie du NFT par un professionnel du droit, il est raisonnable de penser que les NFT ne revêtent pas la qualification de titres financiers/bon de caisse ou encore de contrats financiers.

Ainsi, la qualification envisagée de jeton d'utilité pour la comptabilisation des NFT nécessite de s'interroger sur l'utilisation envisagée par la société :

  • utiliser le service ou les biens associés (conféré le cas échéant par le NFT) au-delà de l'exercice comptable en cours ;
  • autre intention de détention.

Dans le premier cas, le règlement de l'ANC (article 619-11) préconise une comptabilisation en immobilisation incorporelle, amorties et dépréciés selon les règles classiques françaises.

Dans le deuxième cas, l'article 619-12 précise : « lorsque l'entité détient par souscription ou acquisition, des jetons ne présentant pas les caractéristiques de titres financiers, de contrats financiers ou de bons de caisse, sans intention d'utilisation des services associés ou de la livraison des biens associés, ces jetons sont comptabilisés dans le numéro de compte 522 « jetons détenus ». »

Pour des raisons évidentes de suivi comptable, nous préconisons une comptabilisation dans un sous-compte de la classe 522, par exemple 522001 « Jeton NFT – nom de jeton - Plateforme ». Cette sous-division étant à répliquer si le token est détenu sur différentes plateformes ou wallets. Par exemple, le même jeton détenu sur la plateforme B serra comptabilité en 522002 « jeton NFT – nom de jeton – Plateforme X ». Cette méthode permet d'effectuer un suivi précis des jetons par plateforme.

A la clôture des comptes, quelles écritures d'inventaire sont à comptabiliser ?

Pour les jetons numériques acquis par la société au cours de l'exercice, il conviendra de calculer la différence entre la valeur de marché sur les différentes plateformes d'échange à la clôture de l'exercice et la valeur comptable (coût historique d'acquisition du token).

Nous proposons ci-dessus un petit exemple pour matérialiser les écritures comptables à constater.

Acquisition d'un jeton – CryptoKitties A le 24/07/2020 à 100¤ par token et paiement comptant par compte bancaire en ¤

Numéro de compte

24/07/2020

Montant

Débit

Crédit

Débit

Crédit

522001

 

Achat de 1 CryptoKitties A sur la plateforme X

100

 

 

512000

Banque ¤

 

100

Valorisation au 31/12/2020 du jeton CryptoKitties A et écriture d'inventaire

Hypothèse 1 : le cours du jeton CryptoKitties A est de 120¤ au 31/12/2020 (date de la clôture comptable) – soit un gain latent de 20¤.

Numéro de compte

31/12/2020

Montant

Débit

Crédit

Débit

Crédit

 

478720

Différences d'évaluation de jetons détenus – passifs

 

20

522001

 

Variation de valeur du jeton CryptoKitties A détenu sur la plateforme X

20

 

Hypothèse 2 : le cours du jeton CryptoKitties A est de 70¤ au 31/12/2020 (date de la clôture comptable), soit une perte latente de 30¤.

Numéro de compte

31/12/2020

Montant

Débit

Crédit

Débit

Crédit

478620

 

Différences d'évaluation de jetons détenus – actifs

30

 

 

522001

Variation de valeur du jeton CryptoKitties A détenu sur la plateforme X

 

30

686500

 

Provision pour perte latente sur le jeton CryptoKitties A détenu sur la plateforme X

30

 

 

151500

Provision pour perte latente jeton sur le jeton CryptoKitties A détenu sur la plateforme X

 

30

Calcul de la moins-value latente

Le règlement 2018-08 reste muet sur le mode de détermination de la plus ou moins-value latente, différentes questions se posent :

  • peut-on retenir la notion d'ensemble homogène, et la moins-value latente dudit ensemble pour calculer une provision globale pour pertes latentes ? Autrement dit, peut-on (doit-t'on) compenser les moins-values latentes de certains jetons par des plus-value latentes d'autres jetons malgré leur unicité conféré par la blockchain ?
  • pour le calcul des moins-values latentes, faut-il retenir un mode de détermination de prix d'acquisition selon leur prix moyen ou selon une autre méthode (FIFO)

Ces règles ne sont pas précisées, néanmoins, le bon sens peut prévaloir en prenant en compte les éléments suivants :

  • il apparaitrait pertinent de prendre en compte la notion d'ensemble homogène dès lors qu'elle est conforme à l'intention de gestion initiale. A titre d'illustration, si des arbitrages entre jetons de nature différentes sont effectués, et documentés, d'éventuelles pertes latentes devraient pouvoir faire l'objet de provisions sur base de l'ensemble homogène, sans prendre en considération la situation jeton par jeton ;
  • sauf ensemble homogène (voir point précédent), des positions perdantes et gagnantes entre jetons de natures différentes n'apparaissent pas pouvoir être compensées
  • le règlement ANC laisse la possibilité de déterminer les résultats de cession selon la méthode du prix moyen pondérée ou selon la méthode du premier entré/premier sorti (FIFO), il apparaitrait très surprenant que le calcul de moins-values latentes ne s'effectue pas selon le même principe ;
  • enfin concernant les NFT, leurs caractéristiques apparaissent peu compatibles avec la notion d'ensemble homogène (ou alors, à documenter), et la méthode FIFO apparait mieux assurer la pertinence du mode de détermination de leur prix de revient.

Comment vérifier que l'entreprise possède toujours le jeton ?

Des explorateurs de blockchain permettent de vérifier publiquement les transactions qui ont eu lieu sur l'adresse public du token. Plusieurs moyens permettent de vérifier les transactions :

  • télécharger un n½ud complet et effectuer des requêtes : c'est le seul moyen de valider la propriété à 100% ;
  • utiliser un explorateur public de blockchain : etherscan, zapper.fi, etc... ;
  • en cas de dépôt des jetons chez un conservateur, le justificatif produit pour les jetons en dépôt du 31 décembre sera utilisé.

A défaut, il convient de demander au client de justifier de la possession de ce jeton par tous moyens. Nous rappelons qu'une capture d'écran a une valeur probante plus que discutable en cas de contrôle fiscal...



Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes.