La mise à pied conservatoire ou disciplinaire

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Le pouvoir disciplinaire est inhérent à la qualité d'employeur. Celui-ci l'autorise à sanctionner les agissements de tout salarié qu'il considère comme fautifs. Son exercice relève en principe du choix discrétionnaire de l'employeur : lui seul peut décider d'engager les poursuites disciplinaires et de sanctionner ou non le comportement fautif du salarié.

Or, au même titre que l'avertissement, le blâme, la rétrogradation, la mutation ou le licenciement, la mise à pied disciplinaire fait partie de l'arsenal disciplinaire à disposition de l'employeur permettant de sanctionner le comportement du salarié. Il s'agit donc d'une sanction disciplinaire à part entière qui a une incidence directe sur le contrat de travail du salarié, notamment sa présence dans l'entreprise et sa rémunération.

C'est pourquoi la mise à pied disciplinaire ne peut s'exercer que dans le cadre d'une procédure contradictoire particulière.

Malgré tout, dans certains cas, l'employeur peut être amené à prendre des mesures conservatoires qui visent à écarter momentanément le salarié de l'entreprise dans l'attente d'une décision ultérieure. Le but ici n'est donc pas de sanctionner le salarié mais de suspendre provisoirement le contrat de travail. C'est le cas de la mise à pied conservatoire qui permet de se séparer du salarié pendant la durée de la procédure de licenciement.

Il est donc absolument nécessaire de distinguer la mise à pied disciplinaire (sanction disciplinaire) de la mise à pied conservatoire (mesure provisoire et non disciplinaire).

Mise à pied disciplinaire



Principe

La mise à pied (MAP) disciplinaire est une sanction disciplinaire par laquelle l'employeur dispense le salarié d'exécuter sa prestation de travail pour une durée déterminée. Il s'agit donc d'une période de suspension du contrat de travail imposée par l'employeur entraînant la perte du salaire des heures non-travaillées.

Autrement dit, c'est une période non travaillée et non rémunérée.

La perte de salaire n'étant que la conséquence de la mesure disciplinaire, la MAP ne peut être assimilée à une amende ou à une sanction pécuniaire interdite.

D'une durée généralement assez courte (quelques jours), la MAP disciplinaire ne peut être prononcée que pour une durée déterminée à l'avance, éventuellement fractionnée, portée à la connaissance du salarié lors du prononcé de la sanction (v. Procédure disciplinaire).

Si l'employeur est soumis à l'obligation d'établir un règlement intérieur (RI) (entreprise d'au moins 50 salariés), ce dernier doit nécessairement, d'une part, prévoir cette sanction et, d'autre part, en fixer la durée maximale. Dans le cas contraire, la sanction est illicite.

Les conventions collectives peuvent aussi prévoir des durées spécifiques.

Attention

Si le RI ne prévoit pas comme sanction la MAP disciplinaire ou n'en fixe pas la durée maximale, l'employeur ne peut la prononcer. Idem, si la convention collective comporte des dispositions relatives à la discipline mais ne fait pas figurer la MAP disciplinaire parmi les sanctions possibles, le RI ne pourra pas inclure la MAP disciplinaire comme sanction.

En revanche, le RI pourra toujours prévoir une durée maximale plus courte que celle fixée par la convention collective.

Procédure disciplinaire

Parce que cette sanction a une incidence sur la relation de travail, la procédure disciplinaire à suivre lorsque l'employeur envisage de prononcer une MAP disciplinaire se calque sur la procédure de licenciement (contenus, formes, délais, assistance du salarié) :

  • convocation du salarié à un entretien préalable à une sanction disciplinaire ; 
  • notification de la MAP disciplinaire au salarié postérieurement à l'entretien.

De même, comme dans le cas d'un licenciement, l'employeur ne peut plus sanctionner par une MAP une faute du salarié plus de 2 mois après en avoir eu connaissance.

Mise à pied conservatoire

Comme vu précédemment, la MAP conservatoire doit être distinguée de la MAP disciplinaire : la première est une mesure d'attente permettant généralement à l'employeur d'établir la matérialité des faits reprochés au salarié (vérification des faits, entente de témoins, etc.) avant le prononcé d'une éventuelle sanction une fois l'enquête terminée, alors que la deuxième est elle-même une sanction.

Or, même si, en pratique, elles ont a priori le même effet (suspension du contrat de travail, absence du salarié), leur régime juridique est différent. En effet, la MAP conservatoire :

  • ne constitue pas une sanction (aucune procédure particulière à respecter, ni aucune condition spéciale de forme même si, pour des raisons de preuve, l'employeur a intérêt à signifier la MAP conservatoire par écrit remis en main propre contre récépissé) ; 
  • est une période non travaillée mais rémunérée, sauf si elle débouche sur un licenciement pour faute grave ou lourde ; 
  • a une durée indéterminée (se finissant au terme de la procédure disciplinaire). 

La MAP conservatoire ne peut être décidée que si les faits reprochés au salarié, tels qu'ils apparaissent à l'employeur dès qu'il en a connaissance, sont « potentiellement » constitutifs d'une faute grave. Autrement dit, la MAP conservatoire ne peut être envisagée si, dès l'origine, les faits reprochés au salarié sont bénins.

En revanche, au terme de la vérification des faits, l'employeur n'est pas tenu de procéder à un licenciement pour faute grave (ou lourde). En fonction du résultat de l'enquête, il peut décider de prononcer un licenciement pour cause réelle et sérieuse, un licenciement pour insuffisance professionnelle ou un simple avertissement, voire aucune sanction (avec pour conséquence, dans ces cas, une obligation de rémunérer le salarié pour sa période de MAP).

En pratique, la MAP conservatoire doit être accompagnée de l'engagement de la procédure disciplinaire à l'égard du salarié, sous peine de requalification en MAP disciplinaire (v. Intérêt de la distinction).

L'employeur convoque donc le salarié à l'entretien préalable à une mesure de licenciement en même temps qu'il décide de sa mise à pied conservatoire.

Distinction entre la mise à pied disciplinaire et la mise à pied conservatoire



Caractéristiques principales des mises à pied

Les principales caractéristiques de la MAP disciplinaire et de la MAP conservatoire peuvent être synthétisées dans le tableau ci-après :

Mesure

MAP disciplinaire

MAP conservatoire

Nature

Sanction disciplinaire

Mesure provisoire non disciplinaire

Effet sur le contrat de travail

Suspension du contrat - Période non travaillée

Suspension du contrat - Période non travaillée

Effet sur la rémunération

Période non rémunérée

Période rémunérée (sauf prononcé ultérieur d'un licenciement pour faute grave ou lourde)

Durée

Durée déterminée

Durée indéterminée

Intérêt de la distinction

Sanction d'un côté, mesure provisoire de l'autre, cette distinction apparemment claire suscite parfois des débats de qualification juridique. Or, les enjeux sont d'importance car si une MAP conservatoire est requalifiée en MAP disciplinaire, les faits reprochés au salarié par son employeur auront été sanctionnés une première fois par la MAP disciplinaire, l'empêchant de prononcer toute nouvelle sanction pour les mêmes faits.

En effet, aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction (principe « non bis in idem »). L'employeur « épuise » donc son pouvoir de sanction en prononçant la MAP disciplinaire, le privant ainsi du droit de licencier le salarié pour des faits identiques.

Dès lors, en cas de requalification d'une MAP conservatoire en MAP disciplinaire, le licenciement qui suit la décision de MAP conservatoire est abusif (2e sanction pour les mêmes faits). Le salarié peut alors prétendre au paiement des salaires qu'il aurait dû toucher pendant la durée de sa mise à pied ainsi qu'à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Lorsqu'elle est immédiatement suivie de l'engagement d'une procédure de licenciement, la nature « conservatoire » de la MAP ne suscite pas de difficultés. Il en va de même lorsque cette procédure est « enclenchée » rapidement (généralement de 1 à 3 jours de délai, sachant qu'aucun texte ne fixe de délai particulier). Au-delà, il s'agira d'une affaire de circonstances : la MAP reste « conservatoire » si le délai entre son prononcé et celui du licenciement est justifié par un « motif » spécifique. À défaut, elle doit être requalifiée en MAP « disciplinaire ».

Les juges font du cas par cas, avec comme boussole la protection des salariés contre les excès éventuels de l'employeur. Ont par exemple été jugés trop « longs » des délais de 4 jours (Cass. soc., 19 avr. 2000, n°98-41.924), 6 jours (Cass. soc., 30 oct. 2013, n°12-22.962) ou 7 jours (Cass. soc., 1er déc. 2011, n°09-72.958). A l'inverse, n'a pas été jugé excessif un délai de 13 jours (en raison d'investigations à mener dans l'intérêt du salarié dans un contexte un détournement de fonds, Cass. soc., 13 sept. 2012, n°11-16.434).