Les évolutions du métier de collaborateur en cabinet : l'analyse d'un manager

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Aurélien Lemouton, responsable stratégie et développement d'AS Entreprises, Association de Gestion et de Comptabilité (AGC), encadre depuis plusieurs années des équipes de collaborateurs. Il nous livre son analyse sur l'avenir de la profession et plus particulièrement sur celui du métier de collaborateur en cabinet.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Je ne suis ni comptable ni expert-comptable de formation. J'ai un DEUG en économie et gestion et une maîtrise en sciences de la gestion (spécialité finance contrôle). Après mes études j'ai intégré directement le secteur bancaire. En tant que chargé d'affaires professionnelles, j'ai été amené à côtoyer très rapidement des commerçants et des artisans. Par la suite, j'ai dirigé une agence bancaire. À 29 ans, on m'a confié la direction d'une entreprise de prestation de services dans le secteur de la sécurité. J'ai ensuite été démarché pour occuper un poste de management d'agence chez AS Entreprises. Pendant 7 ans, j'ai managé une soixantaine de collaborateurs sur quatre agences. Depuis 2019, je suis responsable stratégie et développement d'AS Entreprises. Nous sommes 180 collaborateurs.

Quel est votre point de vue sur les difficultés rencontrées par les cabinets pour recruter et fidéliser des collaborateurs ?

C'est un très gros problème en effet et nous y sommes également confronté. Je ne participe plus directement au recrutement de collaborateurs mais je donne mon avis sur les profils et je fais le même constat.

Selon moi, les explications sont multiples. Les jeunes ont peut-être des aspirations différentes de celles que nous proposons dans les tâches historiques et classiques du métier de collaborateur. Il s'agit sans doute d'une évolution sociétale.

La pénurie entraîne actuellement une surenchère au niveau des salaires, même s'il est vrai que la grille était assez basse.

Actuellement, le métier d'expert-comptable n'a pas une image particulièrement sexy. Pour renforcer l'attractivité du métier, il faudrait selon moi, vendre aux jeunes le métier qu'ils feront demain. Le métier de la comptabilité arrive à un tournant avec la digitalisation des tâches et avec la facture électronique également. Cette révolution est une opportunité pour attirer de nouveaux talents. Nous souhaitons orienter le métier de collaborateur vers de l'accompagnement. J'utilise volontairement ce terme et pas celui de « conseil » car je fais la distinction entre le conseil à très haute valeur ajoutée, produit par des spécialistes, et l'accompagnement quotidien qu'on pourrait assimiler à du coaching. Cet aspect du métier de collaborateur me semble bien plus valorisant. Il faut mettre en avant ces dimensions de prestations intellectuelles, d'échanges et de relations humaines.

Pourquoi selon vous, certains cabinets ont encore du mal à proposer des missions d'accompagnement à leurs clients ?

Il y a plusieurs problématiques. En France, nous sommes déjà généralement réfractaires au changement. 

Ensuite, les collaborateurs seront difficilement moteur du changement car ils seront amenés à sortir de leur zone de confort. Ils ont appris à faire et ils font depuis très longtemps des liasses fiscales, des déclarations de TVA,... C'est un domaine dans lequel ils ont des certitudes. Ils sont aujourd'hui focalisés sur le respect des échéances fiscales, finir le bilan dans le délai imparti et cela est en plus amplifié par le manque de personnel.

Enfin, concernant les clients, j'ai pu faire le constat de part mes différentes expériences que  la plupart des entrepreneurs ne peuvent réunir l'ensemble des compétences nécessaires à la gestion (social, économique, juridique, ...). En caricaturant un peu, il y a encore quelques années, un très bon commerçant ou artisan mais mauvais gestionnaire pouvait s'en sortir. Aujourd'hui ce n'est plus vrai. Les contraintes administratives, fiscales, juridiques, de gestion du personnel exigent aussi d'être un bon gestionnaire et tout le monde ne peut pas l'être. Le rôle de nos collaborateurs est de coacher ses clients sur leurs faiblesses et de les rassurer.  On doit être à l'écoute, être force de proposition et sortir « des chiffres » tout en exploitant les données. Demain, nous n'allons pas demander aux collaborateurs de vendre mais nous allons leur demander de proposer de l'accompagnement face à des besoins réels et exprimés par le client (ou latents). 

On doit aussi casser cette problématique du client qui demande du conseil mais qui ne veut pas toujours payer.

La production du chiffre est en train de s'automatiser, nous pourrons bientôt plus la facturer aux clients mais nous n'allons pas réduire de moitié notre personnel. Il va falloir qu'on commence dès maintenant à mettre en place des prestations pour compenser cette perte d'activité. Nous pensons que le plus approprié est de proposer aux clients de l'accompagnement, de l'aide dans le pilotage de leur exploitation.

On doit être aussi capable de mettre à disposition des clients des outils pour leur faciliter la tâche.

Quel est votre point de vue sur la spécialisation des cabinets et des collaborateurs ? Encouragez-vous vos collaborateurs à suivre des formations spécialisées ?

Je reviens sur la distinction entre conseil et accompagnement. Pour du conseil, on aura toujours besoin de spécialistes. Lorsqu'on a un souci de santé, on consulte dans un premier temps son médecin généraliste. Il essaie d'établir un diagnostic et si c'est en dehors de son champ de compétence, il nous oriente vers un spécialiste. 

Mon idée est que le collaborateur en cabinet devienne un peu le médecin généraliste du chef d'entreprise et qu'il fasse intervenir un spécialiste si besoin.

Les formations suivies par les collaborateurs portent surtout sur la capacité à écouter, à rebondir, à reformuler pour s'assurer que les besoins exprimés ou non exprimés soient bien distingués et que des solutions soient apportées.

Le collaborateur n'aura pas toujours la réponse mais ce que nous souhaitons, c'est qu'il soit capable d'analyser la problématique. 

Le savoir être est aussi important afin que le collaborateur obtienne la confiance de l'entrepreneur et qu'il s'exprime en toute sérénité.

Comment voyez-vous l'arrivée sur le marché de cabinets 100% digitaux ?

Nous ne visons pas la même clientèle. Ils s'adressent plutôt aux entrepreneurs qui n'ont pas besoin d'accompagnement. Je reste persuadé qu'un grand nombre d'entrepreneurs a besoin de nous. Notre valeur ajoutée est dans l'accompagnement quotidien ou dans le conseil expert si nécessaire.

Les AGC ou les cabinets doivent optimiser l'efficacité de leurs processus administratif et de production de chiffre pour se dégager un maximum de temps afin de mieux accompagner les clients. Nous n'allons pas mettre à profit ce gain de temps pour augmenter la taille des portefeuilles de nos collaborateurs, mais pour remplacer ces prestations qui s'automatisent, par plus d'accompagnement et plus d'humain.



Maxime Navarrete
Responsable de l'actualité professionnelle de Compta Online, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Après 8 ans en tant qu'éditeur juridique puis rédacteur en chef de Lexis 360 experts-comptables chez LexisNexis, je rejoins l'équipe Compta Online en octobre 2021.
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