Les NFT : nouveau véhicule de la « fraude carrousel » à la TVA ?

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Médiatisée en 2009, l'affaire de délinquance financière relative à une fraude massive sur le marché européen des échanges de quotas de CO2 a démontré les vulnérabilités du système européen de gestion de la TVA.

Sur le fond, la fraude type « carrousel » repose toujours sur les mêmes mécanismes basiques et les contre-mesures à développer sont toujours en retard sur la créativité des criminels.

L'essor récent des Non-Fongible Token (NFT) et l'absence de règles françaises claires en matière de taux et plus largement modalité d'assujettissement laisse à penser que la boîte de Pandore est prête à être ouverte.

En tant que professionnel assujetti à la LBC-FT, nous devons être vigilant sur l'émergence d'une nouvelle typologie de fraude dont pourrait être victime nos clients et nous prémunir d'entreprises peu scrupuleuses. Par ailleurs, notre obligation de conseil nous impose d'avertir :

  • nos clients sur les risques éventuels en cas d'acquisition de NFT si elles n'ont pas l'habitude du monde « crypto » ;
  • nos prospects qui seraient tentés par l'aventure des NFT.

Remarques générales sur la fraude de type carrousel

Dans une note de juin 2015, la DGFiP donne une définition simple de cette typologie de fraude, à savoir : « La fraude carrousel est une fraude à la TVA organisée qui consiste selon des modalités diverses à ne pas reverser au Trésor la TVA facturée et encaissée auprès d'une autre entreprise. ». Un document pédagogique de 3 pages explique le fonctionnement.

Compte tenu de l'essor de l'évolution technologique et l'absence de barrière douanière, ce type de fraude fait l'objet de mesures de prévention de la part des Administrations fiscales respectives de chaque pays. Cependant, cette prévention peut être réalisée efficacement qu'après avoir été confrontée à un tel cas de fraude. C'est chose faite par l'Administration fiscale britannique (HMRC) suite à une enquête récente.

Applications spécifiques de ce type de fraude aux NFT

Les NFT présentent l'avantage de pouvoir être instantanément acquis et céder entre deux assujettis à la TVA au sein de l'Union européenne. L'absence de flux physiques aux frontières pour la plupart des NFT de 1ère génération et généralement un paiement effectué en actifs numériques viennent complexifier la détection et la prévention efficace de ce type de fraude.

A noter que les sanctions sont relativement lourdes et prévues par le code général des impôts pour les entreprises clientes d'un fournisseur dit « à risque ». En effet, dans ce cas, l'Administration fiscale française est en droit de rappeler la TVA qui a été déduite et d'appliquer les pénalités de 40% pour manquements délibérés, voire de 80% pour man½uvres frauduleuses.

En tant qu'expert-comptable, quels sont les indices qui permettent de détecter une éventuelle fraude de type carrousel ?

L'administration fiscale française précise des indices que l'on peut qualifier de « généraux », à savoir :

  • les caractéristiques du fournisseur: numéro de TVA intracommunautaire invalide, société de création récente, changements statutaires successifs, etc...
  • la transaction, le contrat et la facturation : absence de compte bancaire, insistance à un règlement espèces, etc....

Cependant, au regard des spécificités des NFT, nous pouvons ajouter les indices suivants.

1er indice : un paiement en actif numérique

Le paiement en actif numérique par une société française qui acquiert des NFT peut s'assimiler à la demande de paiement en espèces. Le paiement en actifs numériques présente les mêmes difficultés de traçage des opérations compte tenu du pseudo anonymat des transactions.

En outre, il n'existe pas de registre « officiel » qui permet de faire le rapprochement certain entre l'adresse publique détenant des actifs numériques « on-chain » ou « off-chain » et la dénomination sociale du bénéficiaire. Enfin, à la différence des particuliers, les entreprises françaises n'ont pas la nécessité de déclarer dans un document leurs comptes d'actifs numériques à l'Administration fiscale, nonobstant bien entendu leur intégration dans la comptabilité de l'entreprise.

2e indice : le recours à une plateforme sans statut PSAN

La volonté de passer par une plateforme qui ne présente pas des garanties suffisantes en matière de transmission d'information à l'Administration fiscale et qui ne dispose pas du statut de PSAN en France, doit également alerter le professionnel. Certaines plateformes pourtant bien connues des utilisateurs d'actifs numériques ne disposent en effet  d'aucun agrément en France et refusent de répondre aux demandes de circularisation d'un commissaire aux comptes.

Autres indices

D'autres éléments doivent alerter l'expert-comptable :

  • la volonté de ne transmettre aucun document qui permet d'attester de la dénomination sociale de l'entreprise côté vendeur ou acheteur ;
  • l'impossibilité d'obtenir une attestation de régularité fiscale de la part du vendeur ou de l'acheteur ;
  • les NFT étant relativement nouveau, il est peu probable que le professionnel qui a pour objet habituel d'acquérir et céder des actifs numériques sous forme de NFT ait correctement rédigé l'article des statuts lié à l'objet social de la société. Ainsi, l'objet social et l'activité décrite sur le Kbis risque d'être discordant ;
  • l'activité étant nouvelle, il est probable que les sociétés n'ont pas encore obtenu de numéro de TVA Intracommunautaire, n'ont pas publié leurs comptes car le premier exercice n'est pas clôturé. Cet état de fait ne constitue pas un indice à lui seul, mais vient conforter l'analyse du risque de l'opération ;
  • l'absence de mention claire sur la facture ou l'absence d'information identifiant la contrepartie: nom ou dénomination, adresse, prix d'acquisition, désignation explicite du NFT et de son lieu de stockage ;
  • l'impossibilité de pouvoir régler l'acquisition d'un NFT via un compte bancaire, le vendeur prétextant ne pas avoir de comptes bancaires.



Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes.