Le rôle de la commission exercice illégal

Article écrit par (1140 articles)
Modifié le
10 478 lectures

La commission exercice illégal de l'Ordre soutient les experts-comptables et les entreprises victimes des illégaux. Pas plus tard que la semaine dernière, trois sociétés ont effectué des signalements après avoir été condamnées à des redressements conséquents et à des rejets de comptabilités, aux conséquences particulièrement lourdes.

Exercer la profession d'expert-comptable nécessite de remplir deux conditions. Etre diplômé d'expertise comptable et être inscrit au tableau de l'Ordre.

A contrario, l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable est le fait qu'une personne, non titulaire du diplôme d'expertise comptable, s'installe à son compte et facture des prestations de comptabilité à ses clients. Peu importe qu'il s'agisse d'une véritable activité indépendante ou d'un faux salariat (sans lien de subordination).

Cette activité va à l'encontre du monopole des experts-comptables qui englobe la tenue, la révision et l'appréciation des comptabilités.

La chambre criminelle de la Cour de cassation le rappelle très régulièrement, lorsqu'elle statue sur ce type de délit.

Présentation

Jacques Midali est un ancien policier spécialisé dans l'économie souterraine.

Il est aujourd'hui Délégué à la lutte contre l'Exercice illégal et les Fraudes, membre du Comité National Exercice Illégal de l'Ordre des experts-comptables et expert près la Cour d'Appel de Paris

Interview



Vous êtes Délégué à la lutte contre l'Exercice illégal et les Fraudes et Membre du Comité National Exercice Illégal. Quel est votre rôle dans la lutte contre l'exercice illégal de la profession ?

J'ai été recruté en qualité d'ancien commandant de police, mon rôle est donc prioritairement orienté vers la répression.

Il s'agit d'identifier les officines pirates du chiffre, de réaliser des enquêtes en lien avec les services fiscaux, puis de rédiger des plaintes adressées aux procureurs de la république de Paris et d'Ile de France.

Il importe également de faire le lien et de développer des synergies entre les parquets, les services de police et de gendarmerie et l'administration fiscale.

Par ailleurs, nous avons des projets actions préventives avec la CCI de Paris IDF et les chambres de métiers et de l'artisanat.

Nous intervenons également devant les établissements financiers et leurs services anti-fraude afin de contrecarrer les escroqueries aggravées en bande organisée.

Nous avons enfin des actions de formation-flash très ciblées en direction des services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée et le travail illégal d'envergure. Filières dans lesquelles interviennent systématiquement les délinquants du chiffre.

Votre commission centralise les signalements liés à l'exercice illégal.
De qui proviennent-ils ? Des experts-comptables ? Des chefs d'entreprises ? Les deux ?

Effectivement, les signalements qui nous parviennent, proviennent principalement des experts-comptables et des chefs d'entreprises ruinés par l'incurie des illégaux. S'y ajoutent des cas d'exercice illégal qui émanent de notre tutelle, la DGFiP, de la police, de la gendarmerie, des avocats et des mandataires judiciaires.

Lorsqu'un cas d'exercice illégal vous est signalé, il y a d'abord une enquête.
Ces enquêtes aboutissent-elles toujours à un dépôt de plainte devant un tribunal ?

Non, une plainte doit être une décision mûrement réfléchie, répondant à un cahier des charges juridiques. Doivent être préalablement réunis les trois éléments constitutifs  de l'infraction.

Toute plainte insuffisamment étayée, nous exposerait à un classement sans suite, à une relaxe voire à une action en responsabilité de la partie faisant l'objet d'une telle mesure. Ce serait alors en outre, totalement contre-productif et ternirait notre image auprès des parquets et des services enquêteurs.

Le cahier spécial exercice illégal de l'Ordre des experts-comptables de Paris mentionne un certain nombre de condamnations. Il semble que les condamnations soient de plus en plus sévères.
Quelle est la plus forte sanction qui peut être prononcée contre un illégal ?
Pour quelles infractions pénales ?

La sévérité est le résultat de la prise de conscience par les parquets et les juges de l'extrême gravité de cette infraction, notamment, en termes de dommages collatéraux.

Pour ce qui concerne les personnes physiques qui se rendent coupable d'exercice illégal, la peine la plus sévère est celle d'un an d'emprisonnement et de 15 000¤ d'amende. Ces peines peuvent être doublées si une nouvelle situation d'exercice illégal est constatée dans les 5 ans qui suivent la condamnation initiale. L'usage abusif du titre d'expert-comptable est sanctionné des mêmes peines. Parfois, les juges considèrent que l'usage abusif du titre couplé avec l'exercice illégal constitue une escroquerie de la part de leur auteur.


Parallèlement, les personnes morales (officines servant d'appui logistique et de cadre juridique à l'activité délictuelle), peuvent être condamnées à 75 000¤ et risquent aussi une dissolution.

En outre, le délit de blanchiment du produit de l'exercice illégal est maintenant poursuivi pour tout ce qui concerne les honoraires, salaires et dividendes qui seraient directement réinvestis dans des investissements immobiliers par exemple. La peine est alors portée à 5 ans d'emprisonnement et 3 750 000¤ d'amende, avec des saisies des avoirs criminels à la clé.

Quelles sont les conséquences de l'exercice illégal pour les entreprises lorsqu'elles en sont victimes ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Les conséquences sont catastrophiques et entraînent dans la plupart des cas, la cessation de l'activité de l'entreprise. En effet, les redressements fiscaux et sociaux dont nous avons connaissance, résultat de l'incompétence, de l'irresponsabilité et de la désinvolture des illégaux, se chiffrent à plusieurs centaines de milliers d'euros.

Les conséquences sont d'autant plus graves, que les illégaux ne bénéficient d'aucune assurance professionnelle à la différence des experts comptables. De fait, ils sont amenés à subir directement et personnellement le poids des redressements.

A titre d'exemple, la semaine dernière, trois sociétés nous ont signalé avoir été victimes des agissements irresponsables d'un illégal. Celles-ci se trouvent aujourd'hui soumises à des redressements sociaux très conséquents et à des rejets de comptabilités de la part de l'administration fiscale, avec toutes les conséquences prévisibles.

Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, du 24 juin 2014 (pourvoi n°11-27450) sème le doute dans les esprits et serait à l'origine d'une libéralisation des travaux de saisie.
Qu'en pensez-vous ?

Aucune libéralisation n'est à l'ordre du jour, pas de doute dans ce domaine. Dans le cas présent, il s'agit d'un arrêt d'espèce de la chambre sociale, lié à un différend initial entre deux parties où l'Ordre n'était pas directement concerné et n'avait donc, de fait, pas pu faire valoir ses arguments.

Par contre, le dernier arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 25 février 2015 (pourvoi n° 13-86951), réaffirme avec force que la saisie et la tenue de comptabilités relève du monopole des experts comptables. Dans ce cas, l'illégal avait fait l'objet d'une plainte initiale de la part de l'Ordre, qui était Partie Civile au procès, dans le cadre d'une fraude fiscale d'envergure, facilitée comme très fréquemment, par l'illégal qui tenait la comptabilité arrangée de la société fraudeuse.

Des partenariats avec des intervenants extérieurs, notamment la Direction Générale des Finances Publiques et la Brigade Financière (pour n'en citer que deux) ont été conclus.
Qu'apportent ces partenariats à la lutte contre l'exercice illégal ?

Pour ce qui concerne les relations entre l'Ordre et les services fiscaux, les échanges d'informations à caractère fiscal, sont prévus par l'article L121 du livre des procédures fiscales.

Sur le ressort de Paris, le service de police qui traite les dossiers d'exercice illégal est la prestigieuse Brigade Financière, régulièrement saisie par le Procureur de la République de Paris (Pôle Financier). Ce choix permet de mesurer l'intérêt que portent à cette question, à la fois le Parquet parisien et les services de police financiers hautement spécialisés. Les dossiers ayant un lien avec la criminalité organisée sont eux directement gérés par la Brigade de recherches et d'investigations financières (BRIF).

Vous venez de lancer l'observatoire de l'exercice illégal.
Quel sera son rôle ?

L'Observatoire a pour mission d'étudier le phénomène spécifique de la comptabilité illégale et formuler toutes propositions utiles à sa prise en compte le plus en amont possible.

  • Il propose des mesures concertées de répression, adaptées aux différentes situations identifiées ;
  • il présente des moyens préventifs en direction des entreprises menacées ;
  • il met en place des actions de formation à l'intention de ses partenaires ;
  • il développe des synergies novatrices avec les principaux acteurs de la lutte contre la criminalité économique ;
  • il produit un rapport annuel d'analyse et de synthèse destiné à la profession, à la tutelle, à ses partenaires et aux autorités publiques.

L'OBRCI visera ainsi au respect d'un haut niveau de sécurité économique et financière au service des entreprises, en lien direct avec La Direction Générale des Finances Publiques. Au niveau régional, il collabore activement avec l'autorité judiciaire, les services de police, de gendarmerie et tous les organismes publics et privés, concernés par la comptabilité illégale, à travers l'apport de son expertise et l'échange de bonnes pratiques.



Sandra Schmidt
Rédactrice sur Compta Online de 2014 à 2022, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.