Comment gérer les impacts de l'inflation en tant que TPE/PME ?

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Alors que le conflit russo-ukrainien a accéléré le phénomène inflationniste sur les prix des matières premières fossiles et agricoles déjà initié par la crise Covid, le spectre inflationniste, voire « stagflationniste » pour certains observateurs, menace les grandes puissances occidentales, et notamment l'Europe.

« En 2008, malgré les injections massives de liquidités opérées par les banques centrales, l'inflation est restée contenue, notamment grâce aux économies d'échelle permises par le développement technologique. Aujourd'hui, l'inflation est la conséquence de décisions politiques avec les mesures prises pour lutter à la fois contre la Covid et contre la guerre en Ukraine » analyse Pierre-Henri Chappaz, Partner chez Rothschild & Cie.

La France ne fait pas exception. Au-delà des impacts macro-économiques notables (augmentation du pouvoir d'achat, raréfaction de certaines ressources...), ses effets commencent également à se faire sentir sur les entreprises et génèrent de nombreuses problématiques tant du côté des ressources humaines, que sur les approvisionnements et la gestion prévisionnelle.

En somme, un vrai casse-tête pour les fonctions financières, qui doivent faire preuve d'une grande capacité d'adaptation et d'anticipation.

 

Une pression forte sur les salaires

Dans ce contexte tendu, l'une des principales préoccupations reste la question des salaires à l'heure où la pénurie de main d'½uvre constitue déjà une réalité pour certains métiers.

« Ce n'est pas un fait nouveau, nous subissons une inflation depuis quelques années sur quelques profils spécifiques, notamment dans le secteur technologique. Mais le mouvement s'est accéléré avec des hausses de salaires pouvant aller de 20 à 25% sur les six derniers mois » note Nicolas Roux, CFO de la plateforme de freelancing Malt. Il relève également « une autre pression très forte sur le recrutement des commerciaux, qui pousse vers des démarches de relèvement de rémunération ».

De son côté, Marianne Gosset, co-fondatrice de The Socialite Family, une boutique en ligne de décoration d'intérieur, constate cette même tendance sur tous les postes. Selon elle, « augmenter les salaires est important pour retenir les talents mais aussi pour maintenir une bonne cohésion d'équipe après deux années de Covid éprouvantes pour les jeunes managers » Et de préciser : « C'est très dur de recruter, il y a un déficit d'offre qui alimente la hausse des salaires et on constate d'ailleurs indirectement ce phénomène aussi chez nos fournisseurs ».

A cela s'ajoute le nivellement des salaires entre les anciens effectifs et les nouvelles embauches. « C'est un vrai sujet, qui peut être néanmoins relativisé par les avantages acquis. Par exemple, chez Malt, chaque salarié a bénéficié d'un plan de stock-options, qui, à terme, peut-être plus ou moins contributeur de valeur en fonction du niveau d'ancienneté dans l'entreprise » souligne Nicolas Roux.

Une stratégie à repenser sur les approvisionnements

Autre variable à suivre de près, l'impact de la hausse du coût de revient sur la gestion des achats et des approvisionnements.

« La situation est différente en fonction des pays. Depuis l'été dernier, nous avons enregistré des hausses du coût d'approvisionnement comprise entre 5 et 15% en Italie, et de plus de 20% au Portugal. Les tensions inflationnistes ont été plus modérées en France où les prix ont augmenté de 3 et 10% » observe Marianne Gosset.

D'après elle, les ruptures de stock sur le bois et l'acier expliquent en grande partie cette tendance. Il y a alors plusieurs solutions pour préserver ses marges : concentrer sa stratégie commerciale sur les produits phares en s'engageant sur du stock ou conserver sa gamme en renégociant les prix directement avec ses fournisseurs. « Cela demande dans les 2 cas d'être serein sur ses prévisions et d'avoir de bonnes relations avec ses fabricants. Le tout sachant que les conditions de paiement sont de plus en plus difficiles face à des fournisseurs qui se couvrent en demandant d'importants acomptes » précise Marianne Gosset.

Rester compétitif sans fragiliser ses marges

Le positionnement sur les prix qui en découle constitue un enjeu majeur et pourrait s'avérer déterminant pour les mois, voire les années à venir.

« Dans un climat d'inflation, on constate généralement un bouleversement des équilibres concurrentiels. Je pense que les grands gagnants sont les entreprises qui vont adopter une stratégie de conquête de part de marché en se montrant offensives sur les prix » estime Pierre-Henri Chappaz.

A condition évidemment que la croissance reste rentable. « Avec la crise ukrainienne, certains dossiers d'introduction en Bourse ont été mis temporairement en suspens au profit de sociétés bénéficiant d'un solide pricing power et de taux de marge élevés » détaille Camille Leca, Directrice des activités de cotation pour la France, le Portugal et l'Espagne chez Euronext.

Toutefois, ces mêmes prix sont souvent encadrés, que ce soit côté client comme côté fournisseur, par des clauses de renégociations, qui ne laissent pas toujours beaucoup de marge de man½uvre et requiert la mise en ½uvre d'une stratégie commerciale adaptée.

« 60% de notre chiffre d'affaires est réalisé avec des groupes du CAC 40 et du DAX, ce qui limite notre pouvoir de renégociation. Dans certains cas, les clauses nous permettent déjà de maintenir les tarifs mais pas de les augmenter » témoigne Nicolas Roux. Ainsi le DAF a fait le choix de segmenter son offre : « nous avons maintenu une politique tarifaire agressive sur notre « core business » pour capter des parts de marché et augmenter nos tarifs sur des prestations de services où l'on peut justifier une proposition de valeur que le marché ne peut pas adresser ».

Marianne Gosset a, quant à elle, préféré miser sur les volumes « afin de mieux pouvoir discuter les prix avec les fournisseurs et in fine ne répercuter que partiellement la hausse des prix auprès des clients ».

Coté fournisseur, la dirigeante est liée par des contrats cadres de production avec les fabricants, qui prévoit une révision des prix une fois par an. Toutefois, selon elle, « au-delà de la partie contractuelle, il existe une autre composante phare, plus variable, qui repose sur la discussion et la relation de confiance avec ses fournisseurs ».

 

Un contexte difficile mais comme souvent source d'opportunités

Définir une stratégie adaptée côté prix comme côté coût implique de pouvoir se reposer sur un prévisionnel fiable. Or, les incertitudes économiques rendent la tâche plus que compliquée : « on a l'impression de naviguer à vue tout en ayant toujours besoin de voir le coup d'après » estime Marianne Gosset. D'où la nécessité de « revoir ses prévisions au moins une fois par mois et d'entretenir de bonnes relations avec ses actionnaires et ses banquiers, qui peuvent aider à anticiper les sujets ».

Pour Nicolas Roux, il est important « de travailler régulièrement sur des scénarios d'élasticité au prix et de surveiller de près les délais de paiements moyens qui peuvent avoir un impact significatif sur les cash-flow ».

Même si Excel reste encore très utilisé pour la réalisation des PNL, la multiplicité des facteurs de risques de marché souligne l'importance de mettre en place les bons outils de pilotage, capables de remonter avec granularité des indicateurs en temps réel. Le recours à des solutions intelligentes capables d'intégrer un grand nombre de données, et de restituer le maximum de scénarios possibles est plus que jamais devenu une priorité pour mieux anticiper les flux de trésorerie, identifier les priorités, voire réfléchir aux futurs projets d'investissements.

Car comme le rappelle Nicolas Roux, « garder une ambition de croissance, notamment dans le secteur de la technologie, est important dans le contexte actuel, qui peut potentiellement être une source d'opportunités ».

Un avis partagé par Camille Leca : « se montrer opportuniste en période de crise peut créer la différence mais il faut pour cela bien veiller à la préservation de ses ressources ».

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