Quand le financement par fonds propres s'impose comme une nécessité pour les entreprises

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« Les emprunts du secteur privé ont joué un rôle clé dans le soutien de l'activité économique au cours de la pandémie, mais une dette plus élevée pourrait désormais constituer un risque pour la stabilité financière et la croissance économique ».

Dans un récent rapport, la BRI (Banque des Règlements Internationaux) tirait la sonnette d'alarme sur le niveau d'endettement des ménages et des entreprises qui a atteint 170% du PIB mondial en 2020. Un record historique...

En Europe, la dette des entreprises non financières atteignait 14 900 milliards d'¤ fin 2020, soit 111% du PIB des 27 pays membres de l'UE.

Cette dégradation de la solvabilité des agents économiques inquiète les pouvoirs publics, qui ont décidé de s'emparer du dossier en réfléchissant à de nouvelles mesures.

A Bruxelles, la Commission Européenne a présenté mi-mai, un projet de directive baptisée DEBRA (Debt/Equity Bias Reduction Allowance) afin de « rééquilibrer les incitations fiscales favorables au financement par l'endettement ».

Priorité au renforcement par fonds propres

Cette nouvelle mesure a pour but de soutenir les entreprises via la mise en place d'une franchise qui accordera aux fonds propres le même traitement fiscal que celui appliqué aux dettes. La proposition prévoit que les augmentations de fonds propres d'un contribuable d'une année fiscale à l'autre seront déductibles de sa base d'imposition - comme c'est le cas pour les dettes.

Selon la Commission Européenne, « les règles fiscales contiennent actuellement des incitations favorisant l'endettement : elles permettent en effet aux entreprises de déduire les intérêts liés à un financement par l'emprunt, contrairement aux coûts du financement sur fonds propres, et peuvent donc les inciter à contracter des emprunts au lieu d'augmenter leurs fonds propres pour financer leur développement ». Et d'ajouter : « Des niveaux d'endettement excessifs rendent les entreprises vulnérables aux changements imprévus de l'environnement économique ». Un point de vue partagé par Pierre-Henri Chappaz, Partner chez Rothschild & Cie. Selon lui, « accumuler des masses de dette en période inflationniste peut être assez dangereux. On repousse le problème des taux à plus tard dans un contexte où ces derniers suivent une pente ascendante ».

Plus précisément, une franchise d'impôt serait calculée sur la base d'une augmentation des fonds propres nets de l'entreprise entre deux exercices fiscaux. Un taux notionnel (le taux d'intérêt sans risque à dix ans) serait ensuite appliqué au montant résultant de la différence entre les deux années.

La franchise pourrait être déductible durant dix exercices consécutifs à condition qu'elle ne dépasse pas 30% du revenu imposable du contribuable. Elle serait en outre majorée pour les PME d'une prime de risque de 1% à 1,5%.

« En ces temps sombres et incertains, nous devons agir non seulement pour aider nos entreprises à faire face à leurs difficultés immédiates, mais aussi pour soutenir leur développement à l'avenir » souligne Paolo Gentiloni, Commissaire Européen à l'Économie. Ce projet de mesure vise ainsi à « donner un coup de fouet aux jeunes pousses et aux PME innovantes dans l'ensemble de l'UE » et « aider les entreprises à disposer de capitaux plus solides ».

Un nécessaire réequilibrage vers le financement en Equity

En dépit des risques associés, le recours à la dette reste encore bien ancré dans les habitudes. D'après la Banque de France, à fin mars 2022, les crédits mobilisés par les entreprises atteignaient 1.239,2 milliards d'¤, en hausse 2,7% sur un an, après une progression de 2,5% à fin février 2022. Mais cette tendance pourrait bien s'inverser dans un avenir proche. D'abord parce qu'au-delà de sa fiscalité incitative en faveur du financement en fonds propres, le projet DEBRA prévoit en parallèle, de rendre l'endettement moins attractif, en réduisant de 15% la déductibilité des intérêts sur les emprunts.

De plus, les ressources en capital ne manquent pas : « Je pense que de plus en plus de solutions de financement en fonds propres vont se développer pour les entreprises de toute taille » anticipe Pierre-Henri Chappaz. Dans un contexte inflationniste et de taux bas, les investisseurs ont, en effet, plutôt intérêt à privilégier l'equity. Car comme le note Pierre-Henri Chappaz « s'ils gardent leur cash, ils perdent de l'argent et s'ils investissent dans des produits de dettes, ils n'ont pas de visibilité sur la trajectoire de leur rentabilité ».

Du côté des entreprises, deux options se présentent face à l'inflation : adopter une stratégie défensive en se limitant à un strict contrôle budgétaire ou profiter des capitaux disponibles pour accélérer leur croissance en saisissant des opportunités d'acquisitions. Mais pour lever des fonds, encore faut-il montrer patte blanche. « Les investisseurs se montrent de plus en plus sélectifs et portent une grande attention aux fondamentaux des entreprises, notamment à leur pricing power et à leur capacité à être rentable. Ce sont elles qui sont aujourd'hui favorisées lors des introductions en Bourse » constate Camille Leca, Directrice des activités de cotation pour la France, le Portugal et l'Espagne chez Euronext.

Reste maintenant à convaincre les chefs d'entreprise qui peuvent se montrer réticent à l'idée d'ouvrir leur capital. « Le financement en equity n'a pas toujours bonne presse parce qu'elle implique de la dilution et c'est donc une solution que l'on retient généralement en dernier » observe Pierre-Henri Chappaz. Et cela même si tel que le rappelle Camille Lecca, « il est possible d'ouvrir son capital progressivement pour étaler la dilution dans le temps ». En attendant, si le projet DEBRA venait à être approuvé par les 27 états membres, nul doute qu'à l'instar des États-Unis, l'option du financement en equity finirait par entrer dans les m½urs.

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