Experts-comptables : 4 raisons de réveiller le développeur qui sommeille en vous !

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Après un parcours traditionnel DSCG / DEC, ponctué d'un intérêt grandissant pour le numérique qui m'avait amené à proposer à la profession, dans le cadre de mon mémoire de DEC, des outils digitaux, ma curiosité pour la conception logicielle m'a conduite à suivre cet été un bootcamp dispensant les fondamentaux des métiers de développeur et concepteur d'applications web.

Après un focus sur les intérêts qu'une ouverture sur ces compétences techniques pourrait avoir pour les experts-comptables mais également pour leurs collaborateurs, je vous ferai un retour d'expérience sur cette formation. 

Rappelons le contexte

Il n'est plus nécessaire de rappeler que la profession se digitalise, qu'elle adopte des outils de plus en plus performants, et qu'elle s'intéresse à des sujets innovants tels que ceux que sont la blockchain et l'IA par exemple. A côté de cela, les entreprises se digitalisent également, certains métiers avançant plus vite que les cabinets sur ces sujets.

Les questionnements sur les imports de données, sur la conversion dans des formats spécifiques ne sont donc pas nouveau et pour autant, encore il y a quelques jours, un entrepreneur me demandait si je connaissais un expert-comptable qui maîtrisait - d'un point de vue technique et non comptable - les imports de données depuis les solutions de paiement en ligne qu'il utilise, depuis son module de vente en ligne et demain depuis l'ERP sur lequel il est en train de travailler. Entre plusieurs experts-comptables, cet entrepreneur ne va pas comparer les compétences en comptabilité, en fiscalité, en social ou encore en juridique pour déterminer celui qu'il choisira. Il se questionnera par contre sur des sujets qui pourront être plus spécifiques tel que la connaissance des outils qu'il utilise au quotidien, de manière à être rassuré et à ne pas craindre de perdre du temps ni de la qualité dans les informations qui pourront lui être restituées.

Pour se démarquer auprès des entrepreneurs, il est donc important que les experts-comptables et leurs collaborateurs comprennent leur fonctionnement digital, le cheminement des flux, et donc la récupération des données qui y transitent afin d'alimenter la comptabilité et les tableaux de bord par exemple.

Sans rentrer dans les détails des langages informatiques, ni de l'algorithmie, voici 4 raisons pour lesquelles un expert-comptable ou un collaborateur aurait intérêt à s'intéresser au développement informatique, à minima sur les concepts et méthodologies.

Comprendre techniquement le fonctionnement de l'activité de ses clients

Prenons une activité classique telle que le e-commerce : les produits sont présentés sur un site internet afin d'être vendus, chacune des ventes réalisées contribuant à générer du chiffre d'affaires, et les encaissements transitant à travers une solution de paiement en ligne, la banque traditionnelle du client, ou bien une autre solution telle que Stripe pour ne pas les citer. Raisonner comme un développeur d'applications informatiques consisterait à schématiser l'ensemble des flux pour identifier comment ces derniers sont générés, sous quelle format, et ou ils sont stockés.

Ces réflexions entraînent des questionnements qui permettent de savoir quelles sont les données exploitables et de quelle manière aller les récupérer. L'entrepreneur saura vous dire qu'il utilise une ou plusieurs API, qu'il a connecté une ou plusieurs solutions de paiement en ligne et qu'il génère ses ventes depuis les modules de vente en ligne de son site internet. Une sensibilisation des collaborateurs même juniors aux capacités du développement informatique les inciteront à demander à leur client s'il est possible de récupérer des exports depuis la plateforme de paiement en ligne et depuis le back office du site internet de vente en ligne, exports qu'ils pourront avec éventuellement quelques manipulations, importer dans le logiciel de comptabilité...

Être sensibilisé au développement informatique permettrait ainsi au collaborateur, qu'il soit assistant, collaborateur junior, ou collaborateur expérimenté, de conceptualiser le type de données qu'il pourrait récupérer, et de questionner puis guider le client sur la manière d'y accéder pour les lui transmettre. Attention, sauf si les outils du client disposent d'accès dédiés aux experts-comptables, il est préconisé de ne pas se connecter aux outils des clients.

Pour gagner du temps, de nombreux cabinets d'expertise-comptable équipent leurs clients de solutions de facturation, de manière à récupérer facilement les éléments relatifs au chiffre d'affaires. Pour autant, de nombreuses entreprises choisissent elles mêmes leur logiciel de gestion commerciale, cette question de la gestion des imports/exports se posera donc régulièrement et son traitement n'est plus à réserver au service informatique du cabinet tant la nécessité de comprendre la gestion des flux deviendra indispensable pour le collaborateur.

La plupart des entrepreneurs, excepté éventuellement ceux qui exercent en tant que développeur, ne connaissent des outils qu'ils utilisent que les fonctionnalités dont ils ont besoin pour leur activité. Savoir comment générer les données dont son cabinet d'expertise-comptable a besoin n'est donc pas forcément dans leurs priorités, raison pour laquelle il est nécessaire que les collaborateurs comptables soient à l'aise sur ce sujet, de manière à gagner du temps dans la réalisation de leur mission, et à surtout fiabiliser les éléments qu'ils produisent en important directement des données brutes générées par les outils de leurs clients.

Être sensibilisé aux possibilités de développements informatiques pour identifier des besoins de solutions numériques pour le cabinet

Les possibilités liées à l'informatique sont illimitées ! Acquérir les fondamentaux du développement informatique apprend à identifier les données que l'on peut manipuler : des chiffres, des mots, des ensembles de mots, des tableaux..., des formats que l'on peut exploiter : du XML, du JSON, du CSV..., des possibilités de faire interagir différents outils via des API, ce qui permet d'identifier les usages possibles pour améliorer son quotidien ou répondre à des besoins formulés par les clients. Ainsi par exemple :

  • utiliser un outil de conversion des fichiers d'export générés par tel outil utilisé par plusieurs clients, dans le format d'import accepté par le logiciel comptable du cabinet ;
  • utiliser un outil de restitution des résultats pour une typologie spécifique de client, à partir d'un import des balances générées par le logiciel comptable...

L'idée n'est pas de se lancer dans des développements informatiques, mais de se dire que tel ou tel développement pourrait être intéressant puis d'identifier ensuite sa réelle valeur ajoutée soit pour le cabinet (ex : gain de temps et de fiabilité) soit pour le client (ex : recevoir un état personnalisé à son activité), les économies de coûts que cela engendrerait pour le cabinet et les potentielles missions complémentaires qu'il serait possible de vendre aux clients...

Si les réponses aux questions précédentes sont favorables à l'utilisation de l'outil en question, il restera à se questionner sur l'existence ou non d'une telle solution sur le marché y compris en logiciels libres, la possibilité de s'approprier une solution du marché et de l'étoffer des développements spécifiques nécessaires, ou bien d'en concevoir une, directement au sein du cabinet si les compétences sont réunies, ou en s'appuyant sur les compétences de développeurs externes sinon.

Être en capacité de développer des solutions logicielles nécessaires pour le cabinet

Bien entendu, la vocation de cet article n'est pas de transformer les experts-comptables ni les collaborateurs en développeurs informatiques.

Toutefois, pour ceux qui ont le plus d'appétences pour le numérique, acquérir et/ou développer des connaissances dans des langages informatiques serait une réelle force pour être autonome sur la conception d'un prototype - d'un MVP, minimum viable product - que l'on pourrait traduire par une solution logicielle contenant le strict minimum en termes de fonctionnalités.

Ce MVP peut être une plateforme d'échanges avec des clients, contenant dans un premier temps la possibilité d'échanger des documents de manière sécurisée par exemple, puis au fur et à mesure de nouvelles fonctionnalités telle que la possibilité d'échanger des messages, de prendre des rendez-vous etc... Détenir cette compétence pour concevoir les premières briques du développement d'un logiciel avant de passer le relais, ou bien avant d'être rejoint par d'autres développeurs, peut être un atout pour bien piloter le projet de bout en bout pour qu'il réponde au mieux aux attentes identifiées pour le porteur du projet au sein du cabinet.

Les entrepreneurs qui conçoivent des solutions logicielles sont généralement ceux qui ont éprouvé initialement une « douleur » - la fameuse « pain » sur laquelle les fondateurs de startups se basent quand ils font des pitchs - et qu'ils résolvent en concevant des solutions digitales sur mesure, donc pourquoi ne pas aller au delà de la création d'un outil pour son propre cabinet en en proposant un pour l'ensemble de la profession ?

S'inspirer des méthodes de travail et des outils des développeurs informatiques pour les implémenter au sein du cabinet

Au delà des raisons exposées ci dessus, se former au développement informatique, c'est se former à des techniques de travail et à l'utilisation d'outils qui pourraient potentiellement être implémentés au sein des cabinets.

En cabinet, comme dans le monde du développement informatique, il est nécessaire de découper ses missions en tâches, de respecter des délais, de faire revoir son travail par ses pairs ou par quelqu'un de plus expérimenté : des outils de gestion des tâches tels que Trello, Asana ou encore d'autres utilisés par les développeurs auraient ainsi toute leur légitimité au sein des cabinets pour s'organiser soit pour son propre travail, soit pour les travaux réalisés en équipe, soit pour partager des tâches avec ses clients.

Découvrir le système de revue de code mis en place par les développeurs qui travaillent en équipe - les fameuses « pull requests » faites sur Github - pourrait également inspirer des managers, des chefs de missions, ou encore des experts-comptables dans la mise en place de workflow de supervision de travaux.

Enfin s'inspirer des méthodes de travail agiles des développeurs pourrait permettre de dynamiser la relation de travail avec ses clients et créer une proximité permettant d'identifier des potentielles missions complémentaires à leur proposer.

Se former, oui mais comment ?

Pour se former au développement informatique, il y a de nombreuses solutions : en bon autodidacte vous pouvez prendre connaissance de la documentation très conséquente disponible en ligne et ainsi acquérir des connaissances petit à petit, suivre des MOOCS sur des plateformes en ligne, ou suivre une formation en présentiel ou télé-présentiel selon vos préférences et en tenant compte de vos contraintes professionnelles et personnelles. Les durées des formations sont variables, elles peuvent porter sur un ou plusieurs langages, et être axées sur du back, ou sur du front ou encore ne consister qu'à de l'acculturation au développement informatique sans rentrer dans le détail des langages donc il faut au préalable se questionner sur les objectifs que vous vous donnez au travers de cette recherche de montée en compétences avant de choisir la formation à retenir.

J'ai de mon côté choisi de suivre pendant l'été un bootcamp de 9 semaines dispensé par le Wagon - une formation suivie également par Jonathan Cohen il y a plusieurs mois - et d'acquérir par ce biais les fondamentaux couvrant l'ensemble du métier de développeur fullstack. Au travers de cette formation, j'ai ainsi eu l'occasion de travailler sur :

  • la rédaction des cas d'usages - les use cases ou les users stories - qui consiste à traduire de manière non technique les besoins des utilisateurs de la solution à concevoir ;
  • la réalisation du schéma de base de données que l'application utilisera et à matérialiser les liens entre les différentes tables qui la composent ;
  • la conception des maquettes - les mockups - des différents écrans de l'application à concevoir, que ce soit pour des applications mobile first, ou bien desktop ;
  • la conception de l'application - côté front et côté back - en utilisant les langages Ruby On Rails, Javascript, CSS, HTML... ;
  • l'implémentation de fonctionnalités de géolocalisation, de paiement en ligne... via des connexions avec des API ;
  • l'importation et la transformation de données en autres formats ;
  • la création de landing page, de formulaires de collecte d'informations ;
  • le paramétrage de l'authentification sécurisée aux applications ;
  • le déploiement de l'application.

Ces quelques semaines cadencées par un programme assez dense avaient vocation à me faire acquérir les fondamentaux techniques du métier de développeur, fondamentaux qui continueront à se consolider et à se développer par de la mise en pratique régulière.

La vocation de cette formation était également de devenir autonome sur la conception de MVP, sur l'ajout de nouvelles fonctionnalités à des solutions logicielles que j'utilise au quotidien, mais également d'acquérir un ensemble de termes techniques, de concepts et de méthodologies me permettant d'enrichir les missions de product owner et de consultante et auditrice RGPD que je réalise.

Sortir de sa zone de confort peut être déroutant mais en suivant une formation bien structurée, en adéquation avec les objectifs que vous vous donnez, organisée pour progresser petit à petit en pratiquant le maximum et en ayant la possibilité de questionner les formateurs ou bien la communauté des développeurs au travers du forum StackOverFlow - l'homologue des forums de Compta Online pour les développeurs - permet de progresser et le fait de pouvoir comprendre de quelle manière les données transitent dans les outils et d'être capable de s'en inspirer pour concevoir des applications pour satisfaire ses propres besoins ou ceux de ses clients est très enrichissant.

Vous hésitez encore ? Participez à des hackactons, écoutez les pitchs de start-ups et assistez à des meetups pour découvrir tous les usages du numérique qui pourraient être transposés au sein des cabinets ! La digitalisation de la profession avance, mais en étant tous acteurs, elle ira plus vite pour le bien de tous, experts-comptables, collaborateurs et clients !



Amélie CARO
PiaLab, accompagnement à la mise en conformité au RGPD