Comptabilité non-financière : interview de Jean Bouquot, au board de l'IFAC

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Il y a quelques mois, l'IFAC, fédération internationale des professionnels de la comptabilité, publiait son rapport sur « L'état d'avancement de l'assurance de la durabilité » dans le monde. Jean Bouquot, membre du board de l'IFAC et ancien président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, revient sur ce document et sur l'enjeu de la normalisation et de la certification des informations extra-financières dans les années à venir.

Dans quel cadre s'inscrit la publication de ce nouveau rapport de l'IFAC ?

En ce moment, au niveau mondial, de nombreux travaux sont menés autour de  la normalisation de l'information non financière, et particulièrement du « sustainability report » [NDLR : ou rapport de durabilité, portant notamment sur les données RSE]. L'Europe a pris très tôt ce sujet, en le confiant à l'EFRAG, le Groupe consultatif européen sur l'information financière. Au sein de l'EFRAG, Patrick de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables (ANC) pilote un groupe de travail sur ce sujet, qui devrait donner lieu prochainement à un projet de directive européenne.

Dans le même temps, l'IFRS Foundation a aussi investi ce domaine en annonçant toute une série de consultations, et la probable création d'une branche dédiée à la sustainability, ou développement durable. On assiste donc à un véritable bouillonnement d'idées à travers le monde, avec des échéances relativement courtes, puisque les normes et standards en la matière devraient être disponibles à l'horizon 2023 ou 2024.

Mais normaliser l'information ne suffit pas. Les régulateurs, comme l'Organisation Internationale des Commissions de Valeur (OICV ou IOSCO en anglais), ou même la Commission européenne, s'interrogent sur le niveau de confiance qu'ils pourront accorder à ces informations. C'est donc la question de la certification et de l'assurance qui se pose. Selon quelles normes ? Par quels acteurs ? 

Il n'est en effet pas écrit que ce seront les professionnels comptables qui réaliseront la validation des données non financières dans le monde. Tout l'enjeu du travail de l'IFAC est donc de montrer que la profession comptable est la mieux placée, par son éthique et son exigence, mais aussi par le référentiel normatif produit par l'IASB, avec notamment la norme ISAE 3000.

Quelles suites seront données à ce rapport ?

Le rapport sur « L'état d'avancement de l'assurance de la durabilité » dresse un état des lieux mondial, ce qui n'avait jamais été assez fait. Mais ce constat n'est qu'une première étape. Il faut en tirer des plans d'actions concrets.

Pour cela, l'IFAC mène actuellement des présentations et des consultations à travers le monde, basées sur ce constat international. Il y a par exemple déjà eu des présentations auprès de Accountancy Europe, ou en Asie. Ces échanges devraient donner lieu à la publication par l'IFAC d'une synthèse, de préconisations et recommandations, probablement à l'automne.

L'objectif est double : convaincre les autorités (de marché, économiques ou politiques) de la légitimité de la profession comptable sur ce sujet, mais aussi participer à la prise de conscience des cons½urs et confrères à travers le monde. Car c'est à la profession de s'emparer de ces sujets si elle veut en être l'acteur de référence dans les années à venir.

La France apparait en très bonne position dans ce classement mondial (100% des entreprises analysées par l'IFAC publient des informations non-financières et 96% les ont soumises à une mission d'expression d'assurance). Mais cette analyse ne porte que sur les 50 plus grandes entreprises cotées. Qu'en est-il de la réalité du terrain en France ?

Effectivement, pour réaliser ce comparatif, l'étude s'est focalisée sur les plus grandes entreprises, qui publient des rapports assez complets. Il est vrai que la France est en excellente position, mais il ne s'agit que d'une première étape. Il ne faudrait pas en conclure que tout est déjà fait dans notre pays. Loin de là. Les enjeux sociétaux, économiques, et climatiques sont immenses, et il reste encore beaucoup à faire.

Mais il est vrai aussi que la France est moteur sur le sujet de l'information non-financière. Beaucoup de choses sont faites dans ce domaine, et pas seulement dans les plus grandes entreprises. C'est d'ailleurs une certaine expertise française qui est reconnue quand l'EFRAG nomme Patrick de Cambourg à la tête de son groupe de travail dédié.

De quelle façon l'IFAC travaille-t-elle sur ces sujets avec les institutions nationales, CNCC et CSOEC ?

De façon générale, la profession comptable française est très active sur ce sujet. Elle est notamment très présente dans les groupes de travail internationaux et mène des réflexions avancées dans le domaine de l'information non-financière. Si je ne devais citer qu'un exemple, ce serait celui de la chaire Audencia - Performance globale et multi-capitaux, dont le professeur Delphine Gibassier est titulaire, et qui est soutenue par l'Institut Français de l'Audit et du Contrôle Internes (IFACI) et la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC).

Sur le plan opérationnel, l'IFAC ne travaille pas directement avec les institutions nationales, mais plutôt avec des sous-ensembles mondiaux, au niveau de l'Europe ou de l'Asie par exemple. En pratique, ces discussions ont donc plutôt lieu avec Accountancy Europe, où sont représentés le CSOEC et la CNCC.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.