Avenir du contrôle qualité et valeur perçue par le client de l'expert-comptable

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L'Ordre des experts-comptables contrôle régulièrement la qualité des travaux de ses membres. Ces contrôles qualités ont lieu périodiquement, environ une fois tous les 8 ans en Île-de-France.

Trop peu pour le ministère de tutelle qui souhaite une augmentation de ces contrôles pour que chaque cabinet se fasse contrôler une fois tous les six ans. Or, c'est justement l'augmentation des contrôles et de la réglementation qui est à l'origine du relèvement des seuils de nominations des CAC.

Laurent Benoudiz, président du CROEC de Paris Île-de-France, revient sur la problématique des contrôles qualités, les options possibles et en profite pour présenter ses mesures phares pour 2019.

Vous avez lancé une enquête auprès des 6 000 experts-comptables franciliens pour recueillir l'avis de vos confrères sur l'évolution du contrôle qualité. Quelle en est la raison ?

Le contrôle qualité est un enjeu essentiel pour notre profession. Il a notamment pour objet de garantir un haut niveau de qualité des prestations offertes à nos clients, de véhiculer l'image d'une profession sérieuse et d'assurer la bonne compréhension et la bonne application des normes et des règles déontologiques par l'ensemble des professionnels.

Le contrôle qualité s'appuie sur un corps de 120 contrôleurs qui font tous un travail remarquable puisque chaque année, ils interviennent auprès de 700 confrères.

Avec, comme vous l'avez relevé, 6 000 experts-comptables inscrits en Île-de-France, la moyenne est donc d'un contrôle tous les 8,5 ans.

Le Conseil Supérieur nous incite de plus en plus fortement, sous la pression de la tutelle, à augmenter le nombre de contrôles pour arriver à un tous les six ans, soit 1 000 contrôles par an.

La première difficulté, c'est que nous n'avons ni les équipes pour le faire, ni le budget.

Actuellement, la charge du contrôle qualité pour le Conseil régional est de 700 000 ¤. En répondant à l'exigence du Conseil Supérieur, il devrait dépasser un million d'euros par an.

Plutôt que de vouloir faire plus pour plus cher, nous devons chercher à faire mieux à coût constant !

Il faut donc poser la question de la qualité du contrôle et de son efficacité par rapport aux objectifs recherchés. C'est l'objet de cette enquête : recueillir le sentiment des professionnels et imaginer ensemble une approche différente.

Qu'est-ce qui motive le Conseil Supérieur et Bercy à accentuer le contrôle ? Une dégradation de la qualité des services des experts-comptables aurait-elle été identifiée ?

Non, ce n'est pas, à ma connaissance, la raison. Il faut en revanche lier cela à la LAB. Le dernier rapport Tracfin sur les déclarations de soupçons éclaire mieux les raisons de cette mobilisation.

Pour Tracfin, « le volume des déclarations de soupçon adressées par les CAC et les experts-comptables reste faible par rapport au nombre global de professionnels en activité. De plus, eu égard au volume des flux financiers traités (2,6 milliards d'euros), au nombre important d'entreprises sollicitant les services des professionnels du chiffre et d'entités françaises bénéficiant d'un contrôle légal (220 000) et à la variété des structures contrôlées (sociétés cotées, PME, associations), un potentiel déclaratif important reste à exploiter ».

Tout est dit pour qui sait lire.

Le contrôle qualité intègre depuis 2016 un volet spécifique à Tracfin et il nous est donc demandé d'accentuer encore l'effort sur ce sujet.

Même si des progrès sont toujours possibles, ce qu'il faut expliquer, c'est que le blanchiment est généralement réalisé par des entreprises qui ne recourent pas aux services d'un expert-comptable mais s'adressent prioritairement aux illégaux.

Mettre la pression sur les experts-comptables, c'est comme chercher ses clés sous le lampadaire parce qu'il y a de la lumière alors que celles-ci ont été perdues ailleurs.

J'en veux pour preuve qu'en Seine-Saint-Denis (93), plaque tournante du trafic de drogue avec de multiples officines de blanchiment, comme l'a révélé une enquête du Monde estimant à plus d'un milliard d'euros le chiffre d'affaires généré par cette économie parallèle, une seule déclaration de soupçon a été faite par la profession.

Mais il n'y a dans ce département que 270 experts-comptables inscrits, soit très peu proportionnellement à la taille et au nombre d'entités (134 000) qui y sont installées.

Mes confrères choisissent, et ils en ont le droit, leurs clients et tous, ou presque, ne prennent pas de dossiers jugés sensibles en matière de fraude et de blanchiment. Pour lutter efficacement contre le blanchiment, il faut donc chercher auprès des illégaux...

N'y aurait-il pas un risque de voir le contrôle délégué à une entité externe à la profession, tel que le H3C pour les CAC si vous n'intensifiez pas les contrôles qualité ?

C'est effectivement la grande menace qu'on nous fait sur ce sujet.

Il y a donc deux attitudes possibles :

  • répondre à la demande en rajoutant des contrôles pour un coût toujours plus élevé avec toujours plus de contraintes pour notre profession ;
  • ou prendre un peu de recul et changer nos méthodes.

Le sujet est d'une importance cruciale et les résistances sont nombreuses. Certains disent qu'en posant la question de l'efficacité du contrôle, nous ouvrons la porte à une remise en question par la tutelle de notre système confraternel au profit d'une autorité indépendante :

« Il ne faut pas marcher sur la queue du tigre ! ».

Cette analogie nous a été faite lorsque nous avons mis sur la table le rapprochement des institutions et l'audit adapté : « ne bougeons pas ou nous connaîtrons un relèvement des seuils » nous disait-on. On connait la suite...

Comme l'a montré la récente actualité, l'immobilisme nous sera fatal. Il faut bouger pour écarter la menace et non rester prostré à attendre le réveil inévitable du tigre !

J'attire l'attention de mes cons½urs et confrères sur ce sujet. Plus de contraintes et plus de contrôles, c'est renchérir le coût de nos prestations pour que fatalement, on nous le reproche au final.

J'imagine qu'on a tous en tête ce que notre profession vient de vivre avec les mandats de commissariat aux comptes dans les TPE dont le coût jugé disproportionné par rapport au service rendu provient essentiellement des contraintes administratives et normatives que la Compagnie et le H3C nous ont rajoutés inlassablement, d'année en année.

Prendre la même direction serait suicidaire !

Les enjeux pour notre profession sont prioritairement la dématérialisation liée au numérique. Il nous faut gagner en souplesse et cela passe par une adaptation du contrôle (un contrôle systématique non sélectif est-il pertinent ? Peut-on imaginer un contrôle sur pièces et non sur place ?), par une réflexion sur les normes (sont-elles encore adaptées à un monde numérique ?), par une redéfinition des objectifs du contrôle (doit-on se contenter de contrôler sans accompagner la transition ?).

Soit nous sommes capables de nous réinventer sur ces sujets afin de garantir la qualité de nos prestations et consolider l'image de notre profession auprès de nos clients et des tiers, soit nous prenons le chemin d'une profession statique, handicapée par des règles obsolètes, déconnectée du marché avec les conséquences qu'on imagine d'autant plus facilement que nous venons de les vivre sur nos missions d'audit légal.

L'Ordre doit prendre ses responsabilités en allégeant les contraintes qui pèsent sur les cabinets :

  • simplification des normes ;
  • efficacité et efficience des contrôles;
  • réactivité des services ;
  • outils permettant de « contribuer à la bonne organisation des structures d'exercice professionnel et au perfectionnement des méthodes de travail », l'un des objectifs du contrôle qualité prévu par l'article 402 du Règlement Intérieur de l'Ordre qui semble avoir été peut-être un peu perdu de vue pour un contrôle trop orienté vers la conformité et non vers l'efficacité.

Quelles sont, concrètement, les pistes de réflexion actuelles et la méthode envisagée ?

Avant de vous parler des pistes, un point sur la méthode mise en place au sein de l'Ordre de Paris Ile-de-France.

Nous avons commencé à échanger sur ce sujet lors des derniers Conseil en présence de l'ensemble des élus. Un groupe de travail réunissant des contrôleurs qualité, des élus volontaires et motivés, dont bien évidement Agnès Caire, Présidente de la Commission Qualité, et les permanents a été créé.

Nous avons lancé l'enquête auprès de la profession et sommes en cours de réalisation d'une étude sur la manière dont le contrôle qualité est réalisé chez nos voisins européens et outre-Atlantique.

Nous avons également sollicité la commissaire du gouvernement, Sylvie Sanchez, pour qu'elle nous expose l'approche retenue par Bercy en matière de contrôle fiscal qui est, depuis plusieurs années, systématiquement ciblé : il n'existe plus de contrôle diligenté au hasard !

La dernière étape sera une séance dédiée à la présentation de nos travaux lors du séminaire des élus mi-janvier pour un vote des élus avec une mise en place dès l'année 2019.

La première piste consiste ainsi, sans remettre en cause l'universalité des contrôles, principe fondamental prévu à l'article 403 du Règlement Intérieur de l'Ordre, à mieux cibler ceux-ci par une approche par les risques car 70% des contrôles actuels sont conclus sans observations.

Le contrôle permet, et cet aspect est très apprécié par les contrôleurs et, je l'espère, par les contrôlés (l'enquête nous le dira), un échange confraternel entre confrères. Faudra-t-il prévoir d'autres moments d'échange ou l'Ordre doit-il nécessairement continuer à assurer une présence régulière dans tous les cabinets ?

La deuxième piste consiste à réfléchir sur la difficulté que rencontrent les cabinets dans la compréhension des normes et des règles : faut-il les simplifier ou proposer des outils facilitant leur compréhension, à l'instar de ce qui a été fait par notre Conseil Régional et par la Compagnie de Paris sous l'impulsion de Françoise Berthon et Serge Anouchian, avec Cap Performance pour la construction du manuel cabinet ?

La troisième piste consiste à s'interroger sur l'objectif, qui est à mon sens essentiel dans la démarche, d'une amélioration de la qualité perçue par nos clients des prestations offertes par la profession. La qualité se résume-t-elle à la seule application des normes et des règles ?

Actuellement, le contrôle qualité se focalise principalement sur l'aspect normatif mais ne faut-il pas l'approfondir en apportant des recommandations sur les bonnes pratiques en matière d'approche commerciale, de relation client, de management des équipes ? Le débat est très ouvert sur ce sujet !

Enfin, la quatrième piste découle d'une éventuelle mise en ½uvre d'une approche ciblée des contrôles : ne faut-il pas, dans cette hypothèse où moins de contrôles sur place seraient réalisés, faire des contrôles étendus dans le temps avec plus d'accompagnement afin de faire porter l'effort d'amélioration vers ceux qui en ont le plus besoin ?

Si ces pistes se concrétisent, les statistiques du contrôle (70% sans observations et un contrôle tous les 8 ans environ) risquent de se dégrader fortement puisque vous contrôlerez moins de cabinets avec une attention particulière sur les plus fragiles ? N'est-ce pas, là encore, un problème vis-à-vis de la tutelle ?

Il ne vous aura pas échappé que la tutelle, c'est Bercy. J'imagine que nos interlocuteurs sont des fonctionnaires avertis qui ont eux-mêmes mis en place une approche ciblée des contrôles fiscaux. J'y vois au contraire la preuve de l'efficacité de notre démarche et je ne doute pas qu'il sera facile de les convaincre.

L'efficacité de la dépense publique est un enjeu prioritaire, on l'a vu avec le mouvement des gilets jaunes.

Or, le paiement d'une cotisation à l'Ordre étant obligatoire, il s'apparente à une sorte d'impôt payé par les confrères : le conseil régional est ainsi garant de l'efficience des dépenses engagées et le gouvernement ne peut y être insensible.

En outre, l'objectif du contrôle qualité n'est pas de s'auto satisfaire avec de bonnes ou de moins bonnes statistiques mais bien de garantir à nos clients la qualité qu'ils sont en droit d'attendre en ayant recours à un expert-comptable.

Cet enjeu est, là encore, déterminant car notre véritable avantage concurrentiel n'est pas la prérogative d'exercice – le monopole – qui, avec le numérique, est devenue une protection illusoire, mais la force et la reconnaissance de notre titre.

Si demain la profession est dérèglementée, dans la pratique du fait de la robotisation ou dans les textes du fait d'une évolution législative, l'Ordre continuera à exister et les experts-comptables continueront à y adhérer volontairement pour conserver l'usage du titre expert-comptable qui restera protégé et qui sera un élément distinctif et un gage de qualité et de compétence.

C'est pourquoi, il est de première importance que le contrôle qualité remplisse pleinement son objectif principal, d'assurer « au public une meilleure perception de la qualité des prestations offertes par la profession ».

Au-delà de la réforme en cours du contrôle qualité, y-a-t-il d'autres projets pour la fin de la mandature ?

Le mandat actuel des élus devait initialement se terminer en 2018. Il a été prolongé d'une année, le temps que la loi Pacte puisse être votée début 2019. Nous avons donc une année de plus qu'il convient de mettre à profit.

Comme les textes le prévoient, le conseil réuni le 13 décembre dernier a renouvelé à l'unanimité l'ensemble du bureau et m'a fait l'honneur de me réélire Président.

Beaucoup de choses ont été faites au cours des deux années précédentes :

  • la réalisation des travaux rue de Londres pour permettre à l'Asforef de rejoindre nos locaux ;
  • le lancement de formations innovantes d'adaptation des compétences des collaborateurs avec e-coll ;
  • la mise en place d'outils de partage de missions entre experts-comptables avec Bbusi...

Le grand sujet en 2019, avec la réforme du contrôle qualité, est le déploiement de BBigger.fr, un site internet recensant les cabinets qui souhaitent recruter des jeunes issus des filières Master CCA, DCG/DSCG et écoles de commerce.

Ce site nous permettra de participer efficacement aux rencontres organisées par ces écoles et ces universités afin de leur permettre d'orienter leurs étudiants vers les cabinets indépendants susceptibles de les embaucher.

Le recrutement reste en effet l'une des principales priorités des cabinets franciliens aujourd'hui et nous espérons pouvoir y apporter des réponses concrètes.

Enfin, nous avons pris la décision lors du vote du budget 2019 de répercuter la baisse des cotisations appelée par le Conseil Supérieur auprès des Conseils Régionaux de 20 euros par personne en réduisant les cotisations des 6 000 experts-comptables de notre ressort.

Nous allons même plus loin en les diminuant de 50 ¤ par an, faisant ainsi passer celles-ci de 748 ¤ à 698 ¤.

L'Ordre de Paris Ile-de-France propose désormais la cotisation ordinale pour les experts-comptables personne physique la moins chère de France (la moyenne est de 899 ¤ avec un maximum de 1 200 ¤). Plus de services et moins de cotisations, c'était notre promesse de campagne et nous nous y tenons.