Automatisation et facturation électronique : le décryptage du 78ème Congrès

Article écrit par (316 articles)
Modifié le
1 251 lectures

L'annonce du report du calendrier de généralisation de la facture électronique a surpris l'ensemble de la profession au c½ur de l'été. Faut-il pour autant suspendre les projets de transformation numérique des cabinets ?

A grands renforts d'études macro-économiques, d'enquêtes au sein de la profession et de retours d'expérience internationaux, la réponse de la première Grande conférence du 78ème Congrès de l'Ordre est claire : non, bien au contraire !

L'automatisation : le pari gagnant, selon Xavier Jaravel

Professeur d'économie à la London School of Economics, Xavier Jaravel a commencé par apporter un éclairage macro-économique au thème de l'automatisation. Il a notamment mis en lumière ses bénéfices sur l'emploi et la croissance des entreprises, en démontrant l'idée reçue selon laquelle automatiser, c'est forcément supprimer des postes. Au contraire : « quand les entreprises automatisent, l'emploi augmente ». Les conséquences sont également positives sur l'activité, ces mêmes entreprises voyant en moyenne leur chiffre d'affaires croître plus rapidement que celles qui ne prennent pas le virage numérique.

Selon Xavier Jaravel, l'enjeu au sein du secteur de l'expertise comptable n'est donc pas de savoir s'il faut automatiser la production, mais « qui va le faire », banques, éditeurs... ou experts-comptables. Une façon d'esquisser la problématique de partage de la valeur, évoquée plus largement à la fin de cette conférence.

Quelles sont les entreprises les mieux placées pour automatiser ? Celles qui forment leurs salariés, répond le professeur d'économie. Notamment celles qui privilégient les formations « métier », ancrées dans un contexte professionnel spécifiques, plutôt que des formations trop générales. Une référence directe au programme Profession comptable 2030, présenté lors de ce Congrès.

L'automatisation vue par la profession comptable, en France et à l'étranger

Philippe Barré, expert-comptable et commissaire aux comptes et dirigeant de b-ready, a ensuite partagé les résultats d'une enquête OpinionWay réalisée auprès de la profession. Les chiffres évoqués démontrent une certaine hésitation des experts-comptables.

Si 89% des répondants constatent un gain de temps grâce aux nouvelles technologies, seuls 54% écartent l'idée d'une menace sur la profession liée à ces mêmes technologies. On voit donc que la profession est bien consciente des gains de productivité réalisés, tout en s'interrogeant à long terme sur la pérennité de son modèle économique.

Afin d'éclairer le public français, Stéphane Raynaud, expert-comptable et commissaire aux comptes, directeur de La Profession comptable et consultant au sein du cabinet BBA a apporté un regard international à cette réflexion. Une enquête menée dans 7 pays permet de mettre en évidence plusieurs scénarios, dont deux particulièrement marquants :

  • le « gagnant-gagnant » qui prévaut au Mexique, au Brésil et en Italie notamment : dans ces pays, la profession comptable a profité de la réforme de la facture électronique tout en respectant les attentes de l'administration et des entreprises ;
  • le « perdant-perdant », qu'illustre à ses dépens l'Australie. Dans ce pays au contraire, des reports successifs du calendrier de généralisation de la facture électronique ont créé une fracture entre les acteurs bancaires et les éditeurs, d'une part, et la profession comptable de l'autre. Les premiers ont réalisé les investissements nécessaires sans attendre la réforme australienne et ont tiré leur épingle du jeu, tandis que les seconds ont pris du retard et enregistré une baisse de revenu de 38% sur les 8 dernières années. Un avertissement sérieux pour la France, qui vient de reporter pour la 2e fois le calendrier de sa propre réforme. 

La conclusion est claire : pour ne pas suivre l'exemple australien « il ne faut pas laisser la place libre, sinon quelqu'un d'autre la prendra » résume Dominique Perrier, co-rapporteur de ce 78ème Congrès.

Comment évoluent les cabinets qui automatisent ? 

A l'international, l'automatisation fait aussi gagner du temps sur les missions comptables de base. Stéphane Raynaud estime le gain entre 12 et 18% en moyenne. Une amélioration de la productivité qui n'intervient toutefois qu'après un investissement significatif pour paramétrer efficacement les solutions, précise-t-il.

Toutefois, pour Xavier Jaravel, il ne s'agit que d'une des deux facettes de l'automatisation. « Il y a deux manières d'exploiter ces gains de productivité. On peut choisir de garder le même périmètre d'activité et être plus efficace, plus rentable, ou en profiter pour élargir son champ d'action ».

Pour Stéphane Raynaud, les possibilités sont nombreuses, et chaque expert-comptable doit décider de « mettre le curseur où il veut ». Analyse des conditions générales de vente en Italie, généralisation des tableaux de bord en Finlande, reporting fiscal renforcé au Brésil,... les exemples à l'international ne manquent pas. C'est donc une transformation globale de l'offre de service du cabinet qui doit être menée.

Les cabinets les plus équipés sont aussi les plus optimistes

Autre enseignement marquant de cette première conférence : les cabinets les moins équipés de solutions d'automatisation sont aussi les moins convaincus par la transformation numérique, et ceux qui la voient davantage comme une menace. L'enquête OpinionWay montre en effet que 92% des experts-comptables qui ont bien avancé dans ce domaine sont confiants dans l'avenir, contre 47% de ceux qui sont peu ou pas équipés.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la taille du cabinet n'est pas un facteur déterminant. Cette confiance en l'avenir de la profession est au contraire déterminée par deux facteurs : la rapidité d'adoption des nouvelles technologies, et l'aisance personnelle du dirigeant de cabinet face aux solutions numériques.

Quel partage de la valeur avec les éditeurs ? 

Pour autant, faut-il craindre que l'essentiel des gains de productivité disparaissent en coûts informatiques ? « La question du partage de la valeur, est une question que nous nous posons tous » précise Arnaud Cayzac, co-rapporteur de ce 78ème Congrès. Un point de vue confirmé là encore par les chiffres, puisque 74% des cabinets craignent d'être plus dépendant des éditeurs à l'avenir. 

« Le partage devrait être plus facile si le gâteau croit pour tout le monde » tempère Xavier Jaravel, rappelant que l'automatisation est généralement source de croissance pour les entreprises qui font ce choix. Un point de vue partagé par Philippe Barré, qui rappelle que l'automatisation au sein des cabinets entraîne certes, une destruction de valeur sur la mission de base, fortement automatisée, mais surtout un gain de valeur sur de nouvelles missions, notamment d'accompagnement.

La conclusion de cette conférence, empreinte d'optimisme, revient à Xavier Jaravel, qui cite l'économiste Jean Forestier, « La machine conduit l'homme à se spécialiser dans l'humain ». Un beau sujet de réflexion pour les cabinets dans les jours qui suivront le Congrès.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.