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Utilisation de l'IA par la DGFiP : précisions de son directeur général, Jérôme Fournel

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Catégorie : Actualité des métiers du chiffre
Jérôme Fournel DGFiP

Dans le cadre de sa mission de lutte contre la fraude fiscale, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) utilise, depuis maintenant plusieurs années, l'intelligence artificielle (IA), afin de mieux cibler ses opérations de contrôle.

Jérôme Fournel, directeur général de la DGFiP, apporte des précisions sur ce mode de détection de la fraude, qui devrait se renforcer dans les années à venir.

Quelles ont été les principales adaptations de ce dispositif depuis son lancement ?

La DGFiP a engagé, en 2017, un processus de modernisation de son dispositif d'analyse risque qui repose sur le décloisonnement des données, l'enrichissement des méthodes d'analyse par l'utilisation de techniques statistiques et le renforcement de l'organisation des travaux des différents acteurs. Le dispositif mis en place couvre actuellement environ 200 thématiques s'agissant des risques fiscaux des professionnels et une cinquantaine s'agissant de ceux relatifs aux particuliers. Actuellement, il est à l'origine de 44% des contrôles fiscaux programmées avec pour objectif d'atteindre 50% fin 2022.

Le dispositif s'est enrichi et consolidé au cours des dernières années :

  • par l'intégration dans les analyses des informations figurant dans les données obtenues dans le cadre des évolutions législatives ou réglementaires récentes : données des plateformes collaboratives, données du registre des bénéficiaires effectifs, données issues des dispositifs d'échanges automatiques internationaux, données des déclarations sociales nominatives... Ce processus d'enrichissement a vocation à se poursuivre dans les années qui viennent ;
  • par le développement de nouveaux outils qui permettent d'élargir le champ des analyses informatiques à des données qui relevaient jusque-là d'investigations manuelles (données du net, text-mining, ...) ;
  • par la réorganisation de nos services en charge de cette analyse risque et de son utilisation, en renforçant les liens entre l'administration centrale et les services territoriaux.

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet « Foncier innovant » ?

Il s'agit d'un projet dans le cadre duquel la DGFiP recourt aux technologies novatrices d'intelligence artificielle et de valorisation des données à partir des prises de vue aériennes de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Le but recherché est de garantir une meilleure fiabilité des bases de la fiscalité directe locale et une meilleure équité entre contribuables.

Ce projet a pour objectif d'optimiser le processus de détection des constructions ou aménagements non déclarés, de lutter plus efficacement contre les anomalies déclaratives et de procéder à la juste imposition des biens. Il facilitera également la représentation sur le plan cadastral des bâtiments et des piscines, à partir des prises de vues aériennes.

Concrètement, des algorithmes permettent d'extraire des images aériennes publiques de l'IGN les contours des immeubles bâtis ainsi que des piscines. Un traitement informatique vérifie ensuite, à partir notamment des déclarations des propriétaires effectuées auprès des services de l'urbanisme et de l'administration fiscale, si les éléments ainsi détectés sur les images sont correctement imposés aux impôts locaux (taxe foncière notamment). Il y a toujours une intervention humaine : un agent de l'administration fiscale vérifie ensuite systématiquement chaque anomalie détectée avant toute opération de relance du propriétaire du bien et in fine de taxation.

 

Des contribuables s'inquiètent particulièrement au sujet de ce projet et d'une éventuelle atteinte à leur intimité, en ce qu'il permettrait de « zoomer » sur leurs propriétés privées. Que leur répondez-vous ?

Aucune inquiétude à avoir, le cadre juridique, contractuel et technique du projet garantit une stricte confidentialité des données.

Tout d'abord, seules les images aériennes publiques de l'IGN, à l'exclusion de toutes autres sources d'imagerie, font l'objet d'un traitement par la DGFiP. Les photographies aériennes réalisées par l'IGN dans le cadre de sa mission d'intérêt général sont considérées comme des données publiques, et elles ne contiennent aucune donnée personnelle. Ces images sont consultables par tous sur le site internet geoportail.gouv.fr.

Par ailleurs, les prestataires informatiques qui interviennent sur le projet n'ont pas accès aux données fiscales, notamment celles à caractère personnel contenues dans les déclarations des propriétaires, et n'interviennent pas dans la conduite et la gestion des missions topographiques et fiscales qui demeurent de la compétence exclusive de la DGFiP.

 

Quels sont les impacts de l'IA dans les missions quotidiennes de contrôle des agents ?  L'utilisation de l'IA aura-t-elle une incidence sur le profil des futurs agents recrutés par la DGFiP ?

L'IA est utilisée, en matière de contrôle fiscal, pour améliorer le ciblage des opérations de contrôle. Elle permet aux agents en charge de cette mission d'avoir une meilleure visibilité sur les risques fiscaux des entreprises ou des particuliers qui relèvent de leur compétence de contrôle. Elle facilite ainsi le choix des entités à contrôler (la constitution des programmes de contrôles) et permet de concentrer l'action des agents sur les dossiers aux enjeux les plus importants.

Le développement de ces analyses nécessite des compétences en science de la donnée qui n'étaient pas disponibles en interne au sein de la DGFiP. Ces compétences ont été réunies principalement par recrutement de contractuels. Par ailleurs, à côté de ces spécialistes qui resteront en nombre limité, la DGFiP constitue, en interne, un réseau d'analystes composés d'agents ayant des compétences en matière d'analyses de données mais aussi la connaissance des règles fiscales, pour mettre à jour et enrichir au fil de l'eau le socle d'analyses déjà constitué.

Il est important de souligner néanmoins, que les productions issues de l'IA (et d'une façon plus générale l'ensemble des techniques d'analyse de données) ne sont que des outils d'aide à la décision mis à la disposition des agents. Les décisions en matière de contrôle (entités à vérifier, type de procédure, rectifications éventuelles, application des pénalités ...) ne sont jamais, en effet, directement issues d'analyses de données, mais découlent obligatoirement des choix et initiatives effectués par les agents des services de contrôle.

Ces décisions reposent sur la capacité des agents à appréhender les conséquences juridiques, comptables et économiques des faits ciblés par les analyses informatiques.

L'efficacité du contrôle fiscal repose donc désormais en grande partie sur sa capacité à réunir et à faire dialoguer des agents ayant des compétences et des parcours différents.

 

L'IA est-elle aussi efficace dans la lutte contre la fraude des personnes physiques et celle des personnes morales ? Jugez-vous les résultats satisfaisants à ce stade ? 

Les premiers travaux de data-mining avaient effectivement pour but le ciblage des fraudes des entreprises. Mais très rapidement, dès la fin de l'année 2017, avec l'accord du délégué à la protection des données du ministère et sous le contrôle de la CNIL, ces travaux ont été élargis aux fraudes réalisées par des personnes physiques.

Les productions concernant les personnes physiques sont issues actuellement d'une cinquantaine d'analyses (200 pour les entreprises). Elles portent sur l'ensemble des impositions concernant les particuliers : impôt sur le revenu dans ses différentes composantes, mais aussi droits de succession, droits d'enregistrement et de publicité foncière, impôt sur la fortune immobilière.

Elles ont permis la réalisation, en 2020, de plus de 32 000 contrôles du bureau et 246 contrôles approfondis qui ont donné lieu à 356 M¤ de rappels de droits et pénalités.

Ces travaux sont appréciés des services chargés du contrôle des particuliers, qui ne disposaient pas, jusque-là, d'applicatifs leur permettant de disposer d'une analyse globale de la situation d'une personne physique.

 

Comment garantir que l'Administration fiscale ne devienne pas dépendante des acteurs privés du secteur, s'agissant de l'utilisation de l'IA dans la lutte contre la fraude fiscale ?

En 2017, lors du lancement des travaux de data-mining, l'administration fiscale a fait le choix de conserver la maîtrise de l'ensemble des processus en écartant notamment les offres proposées par certains éditeurs de solutions globales qui auraient effectivement conduit les équipes d'analyse à lancer des processus dont ils n'auraient pas maitrisé le fonctionnement.

Cela ne signifie pas que les travaux d'IA conduits en matière de ciblage des opérations de contrôle fiscal n'intègrent pas des outils privés ou ne s'appuient pas, pour certains développements spécifiques sur des prestataires privés, mais ces éléments sont internalisés dans un dispositif global totalement maîtrisé par l'administration.

Maxime Navarrete

Maxime Navarrete
Responsable de l'actualité professionnelle de Compta Online, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Après 8 ans en tant qu'éditeur juridique puis rédacteur en chef de Lexis 360 experts-comptables chez LexisNexis, je rejoins l'équipe Compta Online en octobre 2021.
Suivez moi sur Twitter et sur Linkedin.


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