L'ubérisation peut redonner du sens à la solidarité et à la collaboration

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Les experts-comptables doivent se poser les bonnes questions, parce que l'ubérisation peut aussi être une opportunité. Si « le monopole n'a plus de sens à l'heure du digital », la profession doit se doter des « outils pour s'auto-ubériser, avant que d'autres ne le fassent » à sa place.

Découvrez la vision de Denis Jacquet, co-fondateur de l'Observatoire de l'ubérisation.

Introduction

La digitalisation change le travail et fait peur. Généralement, le discours est plutôt alarmiste. Les plateformes telles que celles d'Uber détruisent des emplois. Mais est-ce la réalité ?

N'y a-t-il pas des opportunités aussi et surtout dans le numérique ? Y compris pour les experts-comptables et leurs salariés ?

Présentation

Diplômé de HEC 1989 et détenteur d'une maîtrise de Droit des affaires, Denis Jacquet a racheté en 1997, le numéro un de la formation à distance, avant de se lancer dans le e-learning en créant et en dirigeant Edufactory, PME de formation française présente dans huit pays dans lesquels il a vécu.

En 2009, Denis Jacquet crée Parrainer la Croissance (PLC), afin d'aider les PME françaises à rechercher la croissance à tout prix, et surtout s'internationaliser afin de s'imposer comme leader de leur marché.

En 2016, Denis Jacquet lance l'Observatoire de l'Ubérisation, avec pour objectifs de comprendre l'ubérisation, d'anticiper les changements à venir et de faire des proposiitons.

Interview



Nous entendons beaucoup parler d'ubérisation autour de nous, et pour certains secteurs, nous pouvons constater ses effets au quotidien.
Qu'en est-il du secteur de l'expertise comptable ?
Peut-on parler d'ubérisation ou s'agit-il plutôt d'un changement du business model, les experts-comptables étant protégés par leur monopole ?

Le monopole n'a plus de sens à l'heure du digital.

Il peut être réconfortant pour ceux qui ne veulent pas évoluer, de se réfugier derrière cette barrière de sécurité, mais ce ne sera pas le rempart sécuritaire que les acteurs pensent avoir. Les acteurs de l'ubérisation se moquent de ces barrières juridiques. La preuve de ce fait, c'est que les professions juridiques ont été parmi les premières à être attaquées.

Certains pays, certaines législations peuvent provisoirement protéger certaines professions, mais quand ce phénomène devient mondial, il est difficile d'imaginer qu'il restera beaucoup de villages gaulois ou non, capables de devenir les exceptions. Je ne m'en réjouis, ni ne m'en désole. Je le constate.

Dès lors, il faut se poser 2 questions :

1- Quels sont les dégâts que me posent cette économie, en tant qu'expert-comptable et comment je peux m'y adapter en sortant plus fort et différent ?

2- Comment dois-je préparer mes collaborateurs à ces changements, car ils laisseront nombre de ces personnes sur le bord du chemin, si l'on n'anticipe rien ?

3- Quelle est la plus-value que je peux apporter aux clients, et comment faire de cette plus-value ma meilleure protection ? Car l'ubérisation se nourrit en premier lieu des tâches automatisables, à faible valeur ajoutée, faciles à répliquer et à servir de façon plus souple, plus rapide et moins coûteuse.

Cette profession essentielle contient une large part de tâches répétitives et automatisables. Elle est également, comme nombre de sociétés qui traitent et saisissent des données, exposée à la révolution de l'intelligence artificielle, qui va pouvoir analyser et commenter des « data » d'une telle façon qu'une partie des travaux actuels des experts-comptables et commissaires aux comptes, n'aura plus lieu d'être. Il faut donc s'y préparer et ne pas pratiquer la politique de l'autruche. Ceux qui gagneront sont ceux qui anticiperont.

Vous étudiez au sein de l'observatoire de l'ubérisation les évolutions de tous les secteurs de l'économie. Quelles professions sont selon vous, les plus en danger immédiat ?

L'observatoire a non seulement l'ambition de dégager les tendances mondiales, sentir l'inéluctable, ne pas le subir bêtement, mais l'anticiper et décider ce que nous voulons, tous ensemble, au niveau français, mais également au niveau mondial.

Que voulons-nous pour nous ?
Voulons-nous tout le digital car c'est inéluctable ou parce que c'est un réel progrès, un mieux pour tous. Si la réponse est négative, nous n'avons pas de raison d'accepter le changement pour le plaisir de faire différemment, mais uniquement si nous avons, nous humains, quelque chose à y gagner. Si l'automatisation n'a pour seul but que de supprimer le rôle de l'homme, si des folies proches de l'eugénisme, nous promettent un homme augmenté car nous ne savons nous satisfaire de notre condition humaine, alors nous devons avoir le droit de refuser certains changements.

C'est également ce que nous défendons dans notre livre « Ubérisation: Un ennemi qui vous veut du bien ? ». Il faut se poser les bonnes questions pour trouver des réponses.

Toutes les professions sont touchées et le seront, si elles ne le sont pas encore aujourd'hui. La santé, l'éducation, le droit, le chiffre, le transport, l'énergie. La liste est infinie. A court terme, tout est déjà devant nos yeux. Le transport, l'hôtellerie, le droit, ont été immédiatement touchés.

Votre livre présente l'ubérisation comme un ami qui vous veut du bien.
Pourquoi ce titre ?

Un changement, un déséquilibre, une rupture est traumatique pour tout être humain et l'économie dans laquelle il évolue. C'est normal. Donc diaboliser cette économie ou l'encenser n'a pas de sens. Tout espérer ou tout craindre n'a pas de sens.

Est ce que l'économie digitale sera le remède aux maux de la société ou son pire cauchemar ?
Nous ne le savons pas.
Ce que nous savons, c'est que c'est à nous tous d'en décider. Nous avons le pouvoir entre nos mains.

C'est ce que le titre du livre souhaite refléter. Il faut écouter, comprendre, anticiper et proposer. Il n'y a ni bien, ni mal, le digital ce n'est pas un prisme religieux de la vision de la société. Il y a ce qui peut être bon pour la société et ce qui peut lui être fatal. Le livre pose les bonnes questions et met le destin de l'homme au centre pour évaluer le danger ou l'opportunité.

En quoi l'ubérisation est-elle une opportunité ?
De manière générale ?

Elle a la capacité de nous redonner goût à la liberté, à retrouver le sens de la responsabilité, à permettre la ré-inclusion de populations qui étaient exclues de l'accès à l'emploi. Elle a la capacité de redonner un sens à la solidarité et à la collaboration. Donc, en ce sens, l'ubérisation qui redonne le pouvoir à chacun de gérer son temps de travail, ses conditions de travail, son rythme de travail, et de le faire comme indépendant.

C'est une révolution en France où chacun a abandonné à l'Etat et aux corps intermédiaires, sa liberté et son autonomie, avec le succès qu'on connaît.

Si nous savons convaincre les décideurs que nos grands comptes doivent devenir, très vite, les champions mondiaux du digital.
Si nous savons convaincre qu'il faudra perdre pour gagner, c'est à dire investir massivement pour se doter de jeunes champions mondiaux, en perdant souvent, et en gagnant rarement, certes, mais en gagnant gros et grand.
Si nous savons réfléchir très vite au nouveau cadre de la société française et cesser de considérer que l'interdiction, la loi et la fiscalité sont les seules questions que la société doit poser.
Alors, nous pourrons devenir une grande nation du digital, assise sur sa formidable créativité.

Et plus spécifiquement dans le secteur de l'expertise comptable ?

Il faut comme je le disais plus haut, anticiper, former, reconvertir, dégager ce qu'est la plus-value de la profession et y investir massivement et se doter de ces outils pour s'auto-ubériser, avant que d'autres ne le fassent à votre place et vous en déloge.

Cette profession le mérite, car elle assure la sécurité du marché, de l'entreprise.

Denis Jacquet et Grégoire Leclercq sortent un livre le 12 octobre 2016 intitulé « Ubérisation : un ennemi qui vous veut du bien ? ».

Plus de richesse ou de précarité ? Plus d'activité ou de chômage ? Plus d'égalité ou de discrimination ? Plus de bonheur ou nouvel esclavage ? Plus d'information ou moins de mémoire ? Plus de rêves ou de cauchemars ?

L'ubérisation excite toutes les peurs, les fantasmes, les espoirs. C'est un phénomène mondial, massif, qui ne se jugulera pas.

En savoir plus : www.uberisation.org



Sandra Schmidt
Rédactrice sur Compta Online de 2014 à 2022, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.