Transfert de créances au sein d'un groupe : deux exemples de difficultés

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En ces temps de crise économique et sociale, de nombreux groupes se restructurent pour rationaliser les coûts de gestion, améliorer la situation de sociétés du groupe en détresse, favoriser leur développement international, etc...

Dans ce contexte, il est fréquent que des transferts de créances interviennent au sein du groupe. Une telle opération n'est pas sans impact fiscal.

Deux exemples de difficultés vous sont présentés ci-après.

Premier exemple : l'apport en société d'une créance rachetée pour une valeur décotée

L'hypothèse est la suivante

La société A et la société B appartiennent au même groupe de sociétés. La société A rachète des créances sur la société B, pour une valeur inférieure à leur valeur nominale. Ces créances sont inscrites au bilan de la société A pour leur valeur d'acquisition. Pour rappel, le prix de cession des créances doit correspondre à leur valeur de marché, ce dernier étant déterminé en fonction de la capacité du débiteur à rembourser les créances.

Postérieurement à cette opération de transfert de créances, la société A apporte ces créances à la société B à l'occasion d'une augmentation de capital. Cette augmentation de capital est libérée par compensation avec les créances que A détient sur B. Il ressort de cette opération que la société A reçoit des titres pour une valeur correspondant à la valeur nominale de la créance et les inscrit pour ce montant à son bilan, alors que la valeur réelle des créances est inférieure à cette valeur nominale. Autrement dit, la valeur réelle des titres reçus en échange de l'augmentation de capital est inférieure à la valeur d'inscription des titres au bilan de la société qui souscrit à l'augmentation de capital. Dans la plupart des cas, cette différence de valeur sera matérialisée par l'enregistrement d'une provision pour dépréciation des titres.

Sur le plan comptable, la CNCC (bulletin n° 131 de septembre 2003, EC 2003-37, p 496) considère que les écritures suivantes doivent être passées :

  • les titres souscrits dans le cadre d'une augmentation de capital sont comptabilisés pour leur montant de souscription, soit, au cas d'espèce, pour un montant correspondant à la valeur nominale des créances ;

  • la libération de la souscription par compensation avec les créances génère un profit pour un montant égal à la différence entre la valeur nominale de la créance et son prix de rachat (i.e. le montant du profit taxable correspond au montant de la décote appliquée sur le prix de rachat de la créance).

Sur le plan fiscal, l'administration considère que ce profit comptable est taxable et doit être soumis à l'impôt sur les sociétés. Ce profit ne sera pas neutralisé par la provision pour dépréciation des titres dans la mesure où celle-ci n'est pas fiscalement déductible.

Face à cette situation, la société B se trouve plutôt démunie d'arguments pour contester la taxation du profit ainsi créé :

  • dans un arrêt Cocinor (CAA Paris, 25-5-1998, n°94-1916, Cocinor), la Cour Administrative d'Appel de Paris a jugé que l'apport en société d'une créance acquise auprès d'un tiers est générateur d'un profit déterminé d'après la différence entre la valeur réelle des titres remis en contrepartie de l'apport (i.e. inférieure à la valeur nominale de la créance) et la valeur nette pour laquelle la créance apportée figurait au bilan de la société apporteuse. Cela signifie que seule serait taxée la prise de valeur de la créance entre la date de son rachat pour une valeur décotée et son incorporation au capital.

    Toutefois, cette décision peut difficilement être invoquée dans le cadre d'une transaction intragroupe dans la mesure où l'acquisition de la créance, dans le cas d'espèce visé, a été réalisée entre sociétés tierces.

    Il convient de noter que la décision ne précise pas que la neutralisation totale ou partielle de la taxation de la décote est réservée aux transactions dans lesquelles seules des entreprises tierces les unes vis-à-vis des autres interviennent. Mais, dès lors que le cas d'espèce soumis aux juges met en présence des sociétés tierces, il n'est pas du tout évident que l'administration fiscale et le juge de l'impôt acceptent d'étendre cette solution à des opérations intragroupe similaires ;

      • les dispositions introduites par la loi de finances pour 2013, codifiées à l'article 209 VII bis du CGI (article 24, II de la loi n°2012-1509 du 29 décembre 2012) qui neutralisent le profit comptable constaté chez l'apporteur lors d'une augmentation de capital libérée par compensation avec des créances liquides et exigibles acquises auprès d'une entreprise tierce non liée au sens de l'article 39, 12 du CGI (i.e. absence de liens de dépendance entre le créancier initial et d'une part, la société rachetant la créance et, d'autre part, la société émettrice des parts), ne peuvent pas non plus être invoquées, pour les mêmes raisons (i.e. dispositions réservées aux transactions conclues entre sociétés tierces).


La problématique ici abordée requiert donc une attention toute particulière lorsque le groupe objet de la restructuration rencontre de sérieuses difficultés financières. Si des créances sont cédées pour des valeurs décotées, il faudra être bien certains qu'il ne sera pas nécessaire de les capitaliser dans le futur, afin d'échapper à un coût fiscal qui peut s'avérer très lourd.

Second exemple : la cession de créance

L'hypothèse est la suivante

Une société A a inscrit à son bilan une dette à l'égard d'un tiers (une banque, par exemple) ou d'un associé.

Cette dette à l'égard d'un tiers/d'un associé est annulée et le compte-courant d'un autre associé de la société A est augmenté du même montant que la dette annulée. En pratique, cela signifie que la créance détenue par le tiers ou l'associé sur la société A a été transférée à un autre associé de cette dernière société.

Dans cette situation, l'administration fiscale considère que le transfert de la créance ne lui est pas opposable et refuse de reconnaître l'existence de la dette libellée au nom du nouveau créancier, et constate, d'autre part, que cette dette ne figure plus au bilan du débiteur au nom du créancier initial. Ce raisonnement amène l'administration fiscale à considérer que le débiteur de la créance a bénéficié d'un abandon de créance de la part du créancier initial, générant une augmentation de son actif net.

En conséquence, le débiteur, alors qu'il n'est pas impliqué de manière active dans l'opération de cession de la créance, est tenu d'enregistrer un profit taxable soumis à l'impôt sur les sociétés, qui peut s'avérer assez élevé puisque c'est le montant de la créance transférée qui est alors inclus dans son résultat fiscal.

Toutefois, le débiteur peut échapper à cette taxation s'il est en mesure de prouver que les formalités de l'article 1690 du Code Civil ont été respectées, autrement dit que le transfert de la créance lui a été signifié (i.e. par exploit d'huissier) ou qu'il a accepté ce transfert dans un acte authentique.

Sur cette question, le juge de l'impôt a donné raison, de manière constante, à l'administration fiscale (par exemple : CE 25 octobre 2002 n°223292, 10ème et 9ème s.-s., Société Audit Conseil International, CE 9 novembre 2011 n°319717, 8ème et 3ème s.-s., SARL Arches, CAA Marseille 2 octobre 2018 n°17MA03062).

Notons toutefois que certaines décisions considèrent que la preuve du transfert de la créance peut être apportée par tout autre moyen de preuve que le respect des formalités prévues par l'article 1690 du Code Civil (par exemple : CE 28 février 1997 n°127890, 8ème et 9ème s.-s., SA Sabe, TA Besançon 5 octobre 2000 n°98-1040, 00-289, 1ère ch., SA Colly-Blombed). Mais, les éléments de preuves présentés doivent être suffisamment probants pour compenser le défaut de réalisation des formalités de l'article 1690 du Code Civil.

En pratique, cela signifie que toute cession de créance consentie au profit d'un associé de la société débitrice doit pouvoir être prouvée. Le moyen le plus simple de se ménager une preuve consiste à respecter les formalités de l'article 1690 du Code Civil (i.e. signification de la cession au débiteur cédé par voie d'huissier ou acceptation du débiteur cédé dans un acte authentique), bien que d'autres moyens de preuve puissent être invoqués.

A titre indicatif, le formalisme de la cession de créance a été allégé par l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016. Désormais, la cession de créance doit, pour être valable, être constatée par écrit (article 1322 du Code civil). En outre, pour être opposable au débiteur cédé, la cession de créance doit lui avoir été notifiée ou le débiteur doit en avoir pris acte (article 1324 du Code civil). Dans ce contexte, la preuve du respect des nouvelles formalités de la cession de créance au débiteur (i.e. un acte écrit constatant la cession, la notification de la cession de créance au débiteur ou le fait qu'il en a pris acte) devrait permette au débiteur d'échapper à la taxation du montant de la créance transférée.

Par ailleurs, selon la jurisprudence, l'administration fiscale est également fondée à considérer que l'augmentation du crédit du compte-courant d'associé (i.e. le compte-courant du bénéficiaire de la cession de créance dont les formalités prescrites par le Code Civil n'ont pas été respectées) constitue une distribution au profit de l'associé concerné, imposable sur le fondement de l'article 109, 1-2° du CGI. Lorsque ce dernier n'est pas résident français, la retenue à la source de l'article 119 bis est susceptible de s'appliquer (par exemple : CAA Marseille 2 octobre 2018 n°17MA03062).



Clotilde Cattier, avocate spécialisée en fiscalité, inscrite au Barreau de Paris.
Contact : contact@clotilde-cattier.com

Après avoir passé deux ans chez STC Partners et six ans chez Taj (Deloitte), Clotilde a rejoint le cabinet Room Avocats, en Suisse. Elle partage son temps entre Paris et la Suisse.

Ses principaux domaines d'intervention, en fiscalité française et internationale, sont les suivants :

  • fiscalité patrimoniale (restructuration de patrimoine, transmission de patrimoine, acquisition/détention/cession de biens immobiliers, etc.) ;
  • fiscalité des particuliers (imposition des cadres internationaux et des dirigeants, traitement fiscal des pensions de retraite versées sous forme de capital, etc.) ;
  • installation en Suisse de personnes physiques et de sociétés ;
  • fiscalité générale des entreprises (restructurations, assistance à contrôle fiscale, intégration fiscale, problématiques de remontée des liquidités, etc.) ;
  • fiscalité immobilière (fiscalité des marchands de biens et des promoteurs immobiliers) ;
  • fiscalité internationale (transactions transfrontalières, traitement fiscal des flux internationaux, etc.) ;
  • opérations de fusions-acquisitions ;
  • régularisation de la situation fiscale des français détenant des avoirs non déclarés à l'étranger.