Questions/réponses sur le statut de l'entrepreneur individuel

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Modifié le 01/09/2023
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Depuis le 15 mai 2022, les entrepreneurs individuels ont désormais deux patrimoines distincts : un patrimoine professionnel, composé des biens « utiles à l'exercice de l'activité professionnelle » et un patrimoine personnel.

Quelles sont les conséquences concrètes de ce changement ? En quoi cela modifie-t-il le conseil à apporter aux entrepreneurs individuels ?

Quel est l'objectif de cette réforme ?

Ce nouveau statut de l'entreprise individuelle distingue, sur le plan juridique, les patrimoines professionnel et personnel de l'entrepreneur individuel. Il s'agit d'une mesure de protection de l'entrepreneur individuel, qui n'engage plus, comme auparavant, l'ensemble de son patrimoine par défaut. En effet, les créanciers professionnels ne peuvent pas exercer leur droit de créance sur le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel.

Qui est concerné ?

Ce nouveau statut de l'entrepreneur individuel s'applique à toutes les catégories d'entrepreneurs individuels, qu'il s'agisse d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs ou de professionnels libéraux. En pratique sont donc concernés tous les entrepreneurs qui exercent « en nom propre », ou dit autrement tous les travailleurs indépendants. Bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux, bénéfices agricoles,... le régime fiscal n'a pas d'incidence.

Aucune considération de chiffre d'affaires ou de régime fiscal n'entre en ligne de compte. Enfin, cette réforme s'applique à la fois aux nouvelles entreprises individuelles et à celles qui existaient avant l'entrée en vigueur de la loi.

Dès lors que l'entrepreneur conserve plusieurs activités professionnelles, l'ensemble des activités font partie du patrimoine professionnel, contrairement à l'EIRL ou plusieurs patrimoines affectés était possible.

Les dettes nées avant le 15 mai, le gage des créanciers correspond à la totalité du patrimoine de l'entrepreneur individuel. Pour toutes les dettes nées à compter du 15 mai, les créanciers professionnels ne pourront exercer leur droit de gage que sur le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel.

Faut-il exercer une option formelle pour bénéficier de ce nouveau statut ?

Non. Le nouveau statut de l'entreprise individuelle s'applique de plein droit, sans formalité particulière. Toutefois, dans une logique d'information des tiers, les entrepreneurs individuels doivent mentionner sur leurs documents officiels la mention « entreprise individuelle » ou le sigle « EI ». Faute de quoi, ils s'exposent à une amende de 750¤.

De quoi est constitué le patrimoine professionnel ?

On distingue deux catégories d'éléments dans le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel :

  • ceux qui en font partie de plein droit ; 
  • ceux pour lesquels l'entrepreneur dispose d'une liberté d'affectation.

Les biens qui font obligatoirement partie du patrimoine professionnel sont les « biens utiles à l'activité », regroupés en 5 catégories :

  • le fonds, qu'il s'agisse d'un fonds de commerce, d'un fonds artisanal, ou d'une patientèle ; 
  • certains bien meubles, comme la marchandise, le matériel ou les « moyens de mobilité » (c'est à dire les véhicules) dans le cadre d'activités de vente itinérante ou d'activité à domicile. Des précisions de l'administration sont attendues sur les véhicules mixtes ou non utilisés pour une activité itinérante ou à domicile ;
  • les biens immobiliers, y compris, le cas échéant, la fraction de la résidence principale utilisée à titre professionnel. Attention toutefois, l'insaisissabilité de la résidence principale et la possibilité d'effectuer une déclaration d'insaisissabilité de certains immeubles bâtis ou non bâtis qui ne sont pas affectés à l'activité professionnelle demeurent ;
  • les actifs incorporels : brevets, licences, marques, nom, enseigne, etc.
  • les éléments liés aux liquidités : caisse enregistreuse, sommes en numéraire, solde bancaire.

S'ils sont utilisés dans le cadre de l'activité professionnelle, les biens appartenant à l'une de ces 5 catégories entrent donc obligatoirement dans le patrimoine professionnel.

L'entrepreneur individuel conserve toutefois la possibilité d'ajouter d'autres biens à son patrimoine professionnel, en les inscrivant à l'actif de son entreprise individuelle, en comptabilité. Pour ces autres types de biens, il y a donc une liberté d'affectation.

Un entrepreneur individuel doit-il forcément ouvrir un compte professionnel auprès de sa banque ?

Les micro-entrepreneurs qui réalisent moins de 10 000¤ par an pendant 2 années consécutives ne sont pas tenus d'ouvrir un compte dédié à leur activité professionnelle. Tous les autres entrepreneurs, a contrario, le sont.

Toutefois, compte dédié ne signifie pas forcément « compte professionnel ». Rien n'oblige un entrepreneur individuel à souscrire à une offre professionnelle d'un établissement bancaire, un compte personnel, mais dédié à l'activité professionnelle, suffit.

Un compte bancaire dédié permet aussi de distinguer clairement les sommes détenues à titre professionnel des sommes personnelles, et donc d'éviter tout problème en cas de saisie.

Quel patrimoine engage un entrepreneur individuel lorsqu'il se porte caution ?

Depuis la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, l'entrepreneur individuel ne peut plus se porter caution, que ce soit dans le cadre de son activité professionnelle ou personnelle. Si toutefois une caution est nécessaire dans l'exercice de son activité, deux solutions s'offrent à lui :

  • avoir recours à une tierce personne, un proche par exemple, qui se portera caution à sa place ; 
  • avoir recours à une société de caution mutuelle, dont c'est précisément l'objet.

Le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables a ainsi mis en place un dispositif qui permet à tout expert-comptable d'accompagner son client entrepreneur individuel dans l'obtention d'une caution auprès de la SIAGI. C'est tout particulièrement précieux lorsqu'une caution est demandée dans le cadre d'un financement.

L'impossibilité pour l'entrepreneur individuel de se porter caution constitue une différence notable avec le statut de dirigeant de société, qui lui a toujours cette possibilité.

Les dettes liées aux cotisations sociales personnelles de l'entrepreneur individuel sont-elles considérées comme personnelles ou professionnelles ?

Les dettes liées aux cotisations sociales personnelles obligatoires font systématiquement partie du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Là encore, c'est une différence notable avec le statut de dirigeant de société. Les dettes liées aux cotisations sociales personnelles du gérant de SARL ou d'EURL par exemple, sont en effet considérées comme des dettes personnelles.

Aucune précision relative aux cotisations sociales personnelles facultatives n'est apportée dans les textes publiés à ce jour. Bien qu'il semble logique qu'elles suivent le traitement des cotisations sociales obligatoires, on attendra avec intérêt les précisions de l'administration fiscale sur ce point.

Les dettes liées aux prélèvements sociaux sur les revenus d'activité (CSG, CRDS) sont considérées comme des dettes personnelles, et non professionnelles.

L'existence de man½uvres frauduleuses fait « tomber » l'étanchéité du patrimoine personnel vis à vis de l'URSSAF ou de la DGFiP. Par ailleurs, en cas d'arrêt d'activité, les dettes relatives aux cotisations sociales sont intégrées automatiquement dans le patrimoine personnel.

En matière de cotisations sociales, la protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel cesse lorsque celui-ci se rend coupable de « man½uvres frauduleuses ou d'inobservations graves et répétées de ses obligations sociales ayant empêché le recouvrement des cotisations sociales dont il est redevable ». L'engagement de son patrimoine personnel ne peut toutefois intervenir que si le montant des cotisations et contributions sociales concernées excède 1 000¤ (arrêté du 17 juillet 2023 : JO 30 juillet 2023).

De quoi est constitué le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel ?

Tout ce qui n'est pas dans le patrimoine professionnel fait partie du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel. Les créanciers privés ne peuvent exercer leurs droits que sur ce patrimoine personnel, sauf dans le cas d'une insuffisance du patrimoine personnel.

En effet, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s'exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos.

Un créancier peut-il demander à l'entrepreneur de renoncer à la protection de son patrimoine personnel ?

Oui, c'est possible. Certains créanciers pourraient en effet être tentés de réduire leur risque en augmentant la « surface » du patrimoine saisissable. Cette possibilité est toutefois strictement encadrée :

  • la demande doit venir du créancier, par écrit ; 
  • elle doit porter sur une créance spécifique : il n'est donc pas possible de renoncer globalement à la protection de son patrimoine personnel ;
  • l'entrepreneur ne peut renoncer à cette protection qu'après avoir laissé passer un délai de réflexion de 7 jours à compter de la réception de la demande de renonciation. Ce délai peut être réduit à 3 jours si une mention spécifique figure dans l'acte de renonciation (acte dont la forme est fixée par arrêté) ;
  • l'engagement de la totalité du patrimoine de l'entrepreneur doit avoir un terme

L'EIRL existe-t-elle encore ?

La loi du 14 février 2022 ne met pas fin de façon brutale à l'EIRL. Toutefois, deux dispositions vont entraîner sa disparition progressive :

  • depuis le 16 février 2022, il n'est plus possible de créer une entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) ; 
  • depuis le 15 août, il n'est plus possible de transmettre une EIRL en l'état.

Dans un webinaire tenu le 20 septembre 2022, le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables dit attendre des précisions de la Direction générale des entreprises (DGE) et de la DGFiP sur les modalités de passage de l'EIRL vers l'entreprise individuelle « classique », tant sur les plans juridiques que fiscaux.

Le régime fiscal de l'entreprise individuelle est-il modifié ?

Oui. Le régime fiscal de droit de l'entreprise individuelle reste inchangé : il s'agit de l'impôt sur le revenu. Toutefois, les entreprises individuelles ont désormais la possibilité d'opter pour « une assimilation au régime fiscal de l'EURL », qui, concrètement, vaut option pour l'impôt sur les sociétés. Cette option doit être exercée dans les 3 premiers mois qui suivent l'ouverture d'un nouvel exercice, ou au moment de la déclaration de création d'activité.

L'assujettissement à l'IS peut être révoqué au cours des 5 années qui suivent l'option. Les conséquences de ces différents changements de régimes fiscaux doivent encore faire l'objet de commentaires administratifs.

Attention, l'option fiscale n'a pas de conséquences juridiques sur la séparation des patrimoines.

Le régime social de l'entrepreneur individuel est-il modifié ?

Non, le régime social de l'entrepreneur n'est pas modifié par la loi. Il reste un travailleur salarié relevant du régime des indépendants. Ce qui change par contre, c'est l'assiette de ces cotisations :

  • à l'IR, l'assiette correspond au résultat de l'entreprise, sans que la rémunération de l'entrepreneur individuel ne soit déductible ;
  • à l'IS, c'est la rémunération comptabilisée qui sert de base au calcul des cotisations.

Dans les entreprises individuelles à l'IS, une clause anti-abus est également prévue : les versements de dividendes qui dépassent 10% des bénéfices nets de l'exercice précédent sont également soumis à cotisations sociales.

Comment comptabiliser une distribution de dividendes dans une entreprise individuelle à l'IS ?

Lors du webinaire précité, le CNOEC a annoncé la constitution d'un groupe de travail fiscalo-comptable pour déterminer sa doctrine sur le sujet. A la date de rédaction de l'article, les travaux sont en cours. Au cours de cette intervention Damien Dreux, vice-président du CNOEC, a évoqué la piste d'un « sous-compte du compte 108 ».

Dans une lettre à la profession du 17 novembre 2022, le CNOEC a indiqué étudier un « mécanisme [...] pour la comptabilisation de l'affectation du bénéfice en N+1 et des sommes prélevées et imposables selon le régime des dividendes », sans donner plus de précision.

Comment comptabiliser la rémunération de l'entrepreneur individuel dans une entreprise individuelle à l'IS ?

Lors du webinaire précité, le CNOEC a annoncé la constitution d'un groupe de travail fiscalo-comptable pour déterminer sa doctrine sur le sujet. A la date de rédaction de l'article, les travaux sont en cours. Au cours de cette intervention Damien Dreux, vice-président du CNOEC, a évoqué la piste probable du compte 644 ou d'un sous-compte. Cette orientation a été confirmée dans une lettre à la profession du CNOEC le 17 novembre 2022.

Comment comptabiliser la rémunération de l'entrepreneur individuel dans une entreprise individuelle à l'IR ?

Dans une lettre à la profession du 17 novembre 2022, le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables recommande de comptabiliser la rémunération de l'entrepreneur individuel en compte 644 et de réintégrer fiscalement cette charge pour le calcul du résultat imposable.

Plusieurs raisons sont avancées :

  • permettre la comparabilité et une meilleure présentation économique ;
  • améliorer la protection vis-à-vis des créanciers personnels en déduisant du bénéfice une rémunération.

Selon le CNOEC, les entreprises individuelles qui comptabilisent habituellement les prélèvements du dirigeant en compte 108 et souhaitent désormais s'aligner sur la méthode recommandée (comptabilisation en charges) doivent considérer les impacts sur les états financiers :

  • entreprises soumises à la présentation simplifiée de l'annexe : mention de ce changement de méthode comptable. Le CNOEC précise « qu'il peut s'avérer que l'application rétrospective du changement de méthode ne soit pas toujours possible (notamment en raison des critères d'objectivité à respecter) et, qu'à défaut, une application prospective soit nécessaire. Elle consistera alors à comptabiliser au titre de l'exercice, le cas échéant pour la première fois, une charge de rémunération dans le compte 644 ».
  • entreprises en dessous des seuils rendant obligatoire l'établissement d'une annexe : le passage d'une pratique à une autre dans le cadre d'un changement comptable est une information complémentaire à donner à la suite du bilan et du compte de résultat.

Dans quel cas un entrepreneur individuel peut-il bénéficier des formalités simplifiées de cessation d'activité ?

Des formalités simplifiées de cessation d'activité sont prévues en cas de transmission de l'universalité du patrimoine (TUP) professionnel. Il n'est alors pas nécessaire de procéder à une liquidation de l'entreprise individuelle, et une simple publication au BODACC suffit. Cette publication doit intervenir dans le délai d'un mois après la TUP. Les créanciers disposent ensuite d'un mois supplémentaire pour exercer leur droit d'opposition.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.