Sécuriser le prêt de main d'oeuvre au sein des groupes de sociétés

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Il arrive parfois, notamment dans les groupes de sociétés, que certains membres du groupe connaissent un ralentissement de leur activité, alors que d'autres se trouvent en surcharge de travail. Dans ce cas, la solution logique semble être d'utiliser la sous-activité des unes pour compenser la suractivité des autres, en s'appuyant sur la notion de mobilité salariale intragroupe.

Pendant longtemps, cette pratique était encadrée de façon peu précise.

On savait qu'on n'avait pas le droit de « faire une marge » sur la mise à disposition, qu'elle devait être faite « à but non lucratif ». Sauf qu'aucune définition claire de la notion de « but lucratif » n'était donnée. Et pourtant, la mise à disposition de personnel à but lucratif (en dehors des entreprises de travail temporaire, et certaine opérations de portage) était condamnable pénalement, de façon lourde.

Il a fallu une décision de la Cour de Cassation de mai 2011 pour qu'enfin, une loi vienne sécuriser l'environnement juridique de cette pratique.

C'est la loi 2011-893 du 28 juillet 2011 (loi dite CHERPION)  qui encadre désormais la mise à disposition de personnel.

La notion de prêt de main d'½uvre

Le prêt de main d'½uvre, ou la mise à disposition de personnel est une pratique qui consiste, pour un employeur à mettre à disposition d'une autre entreprise (en pratique souvent une partie liée au sens de l'article R 123-199-1 du code de commerce), d'une manière provisoire et sans but lucratif, des salariés permanents de son entreprise. 

Le recours à cette opération peut être motivé par plusieurs raisons :

  • Soit parce-que l'entreprise employeur connait une baisse conjoncturelle d'activité, et qu'elle ne souhaite pas licencier ses salariés
  • Soit pour des raisons d'entraide technique
  • Soit parce-que la mission confiée au salarié mis à disposition est temporaire et ciblée, et que l'entreprise employeur souhaite réintégrer le salarié concerné au terme de sa mission.

Les notions voisines

L'entreprise de travail temporaire (ETT)

Aussi connu sous le nom de société d'intérim, c'est l'article L 124-1 du Code de Travail qui énonce « qu'est une entrepreneur de travail temporaire, toute personne physique ou morale dont l'activité exclusive est de mettre à disposition provisoire d'utilisateurs, des salariés qu'en fonction d'une qualification convenue, elle embauche et rémunère à cet effet ».

La loi rappelle que « le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pouvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ». La conclusion d'un contrat de travail temporaire n'est possible que pour l'exécution d'une tache précise et temporaire dénommée mission, et seulement dans les cas énumérés par l'article L124 - 2 - 2 du Code de Travail. Les ETT constituent donc une entreprise particulière, seule habilitée au prêt de main d'½uvre à titre lucratif.

Le portage salarial

L'article L1251-64 du Code de Travail définit le portage salarial comme étant "un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage".

Le portage salarial se démarque très nettement de l'intérim notamment par le fait que l'intervenant n'a aucun lien de subordination avec l'entreprise cliente. Ce système s'adresse principalement à des professionnels de haut niveau agissant comme experts, consultants, formateurs ou prestataires de services, entièrement autonomes dans leur prospection commerciale et leurs interventions en entreprises.

Le consultant intervient dans un mode proche de celui du travailleur indépendant, sans avoir à monter sa propre structure juridique.

Elle constitue une solution pour ceux qui souhaitent exercer une activité indépendante, sans pour autant en avoir le statut. La société de portage facture, en plus du coût de revient salarial, des frais de portage (environ 10% du coût de revient du salarié porté) à la société cliente.

La sous-traitance

La sous-traitance peut être définie comme "l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître d'ouvrage" (article 1 de la loi du 31/12/1975).

Dans le cas d'un contrat de sous-traitance, une entreprise a recours à une autre entreprise extérieure qui exécute, sous sa propre responsabilité, une opération précise et ponctuelle qui nécessite un savoir-faire spécifique, moyennant une rémunération forfaitaire et globale, dans un but lucratif. Il n'y a jamais de mise à disposition de personnel par le sous-traitant à la société donneuse d'ordre, les deux entités étant juridiquement distinctes, et jouissant de leurs propres moyens pour exécuter leurs travaux.

Les prestations de management intragroupes

Il s'agit des conventions entre sociétés d'un même groupe tendant à permettre à une entreprise cliente de bénéficier d'un ensemble de prestations de services (dans des domaines comme la gestion, les taches administratives, juridiques, ou conseil) fournies par une société fournisseur.

Ce fournisseur dispose d'un ensemble de moyens techniques et humains qu'il utilise pour produire les services vendus. Attention toutefois car si une telle convention conduisait à mettre à disposition, pendant 100% de son temps, un salarié de l'entreprise fournisseur, elle pourrait être assimilée à une convention de prêt de main d'½uvre illicite.

Le cadre juridique du prêt de main d'½uvre

Définition de la notion de but non lucratif

L'article 40 de la loi du 28 juillet 2011, modifiant l'article L 8241-1 du code de travail qui précise qu' « une opération de prêt de main-d'½uvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition. »

Dès lors, dans le cadre d'une telle opération, la société prêteuse se borne à refacturer à la société utilisatrice :

  • Le salaire horaire brut réel du salarié mis à disposition x nombre d'heures de mise à disposition
  • Majoré du taux de charges patronales (calculé précisément, et intégrant notamment les taxes sur les salaires, et les cotisations de prévoyance et de retraite complémentaire)

Cas particulier

Comment traiter les congés payés acquis par le salarié pendant la période de mise à disposition ?

La réponse à cette question n'est pas donnée par la loi.

Prenons un cas pratique : Un salarié employé par une entreprise A est mise à la disposition d'une société B pour une période de 6 mois, à compter du 1er juin 2012. L'entreprise B est fermée pour l'intégralité du mois d'août 2012. Quel montant la société A doit elle facturer à la société B au cours du mois d'août ?

Il y a deux façons d'aborder cette problématique :

  • Soit le coût horaire chargé est majoré de 10% pour tenir compte des congés payés acquis par le salarié au titre de la période de mise à disposition. Dans ce cas, la société B a pris en charge le coût des congés acquis par le salarié prêté pendant sa période d'utilisation. Du coup, aucune facturation ne sera opérée par la société A au titre du mois d'août 2012.
  • Soit aucune majoration n'est appliquée sur les factures mensuelles, mais au cours du mois d'août, la société A va facturer à la société B, le coût d'une journée de congés chargée, multiplié par le nombre de jours de congés acquis par le salarié pendant sa période de mise à disposition.

Il semblerait, du fait de l'analyse de l'esprit de la loi, qu'il convient de retenir la première solution, c'est-à-dire, de majorer chaque mois, le coût de revient chargé du salarié (hors frais professionnels) de 10% pour tenir compte des congés acquis par le salarié mis à disposition. Mais ce point a besoin d'être clarifié. Aucun commentaire administratif n'existe sur ce point à ma connaissance. 

Cette refacturation doit être faite sans marge directe (taux de marge appliqué sur le coût de revient défini ci-dessus) ni indirecte (frais de dossier, d'établissement de bulletin de paie, etc).

Les conditions de forme à respecter

Aux termes de ce même article 40 de la loi du 28/11/2011, modifiant l'article L8241-2 du Code de Travail, le cadre contractuel de ce type d'opération est devenu beaucoup plus exigeant. Ainsi :

« Le prêt de main-d'½uvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :

1° L'accord du salarié concerné ;

2° Une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l'identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse ;

3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l'entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d'exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail ». (article L8241-2 du Code de Travail)

Auparavant, dans un souci de sécurisation, les praticiens proposaient à leurs clients de recourir à une convention tripartite signée entre le salarié, l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice. Désormais, la lecture stricte des dispositions législatives semble clairement inviter à la rédaction de deux documents distincts correspondant au 2° (la convention de mise à disposition) et au 3° (l'avenant au contrat de travail) de l'article L8241-2.

L'accord du salarié doit donc être express, et indiqué par le salarié au travers d'un avenant à son contrat de travail.  L'avenant doit obligatoirement préciser :

  • La durée de la mise à disposition. Signalons que cette durée peut être déterminée précisément dès le départ, ou être à terme imprécis. Dans ce dernier cas toutefois, le terme doit être défini en se basant par exemple sur l'objet de la mission confiée
  • Le travail confié dans l'entreprise d'accueil
  • Les horaires et le lieu d'exécution du travail
  • Les caractéristiques particulières du poste de travail.

Même si cela semblait évident, la loi a également précisé que :

« Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition. » et encore que « La cessation du prêt de main-d'½uvre à l'initiative de l'une des parties avant la fin de la période probatoire ne peut, sauf faute grave du salarié, constituer un motif de sanction ou de licenciement. »

Enfin, la loi de 2011 prévoit également l'implication des représentants du personnel dans l'opération de mise à disposition. Ainsi, aux termes de l'article L8241 - 2, l'employeur de l'entreprise prêteuse doit s'assurer que  : 

« Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l'entreprise prêteuse sont consultés préalablement à la mise en ½uvre d'un prêt de main-d'½uvre et informés des différentes conventions signées.

Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'entreprise prêteuse est informé lorsque le poste occupé dans l'entreprise utilisatrice par le salarié mis à disposition figure sur la liste de ceux présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés mentionnée au second alinéa de l'article L. 4154-2. »

Du coté de l'entreprise utilisatrice, ce même article impose que :

« Le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, les délégués du personnel de l'entreprise utilisatrice sont informés et consultés préalablement à l'accueil de salariés mis à la disposition de celle-ci dans le cadre de prêts de main-d'½uvre. »

La convention de mise à disposition

Cette convention doit donc forcement être écrite, et signée par les deux parties. Doit y être annexée, l'avenant au contrat du travail signé par le salarié mis à disposition. A mon sens, il convient de faire une convention pour chaque salarié mis à disposition, et d'exclure d'office toute convention cadre au titre de ce type d'opération.

La convention doit clairement énoncer :

  • L'identité des parties contractantes
  • L'identité du salarié concerné
  • Les raisons précises justifiant le recours à ce type de convention
  • Rappeler le contexte légal de l'opération, et les conséquences sur le contrat de travail du salarié prêté
  • Le prix de la prestation (taux horaire chargé du salarié, et une clause rappelant que les frais professionnels seront également à rembourser)

La loi prévoit (article L8241-2 du Code de Travail) que « L'entreprise prêteuse et le salarié peuvent convenir que le prêt de main-d'½uvre est soumis à une période probatoire au cours de laquelle il peut y être mis fin à la demande de l'une des parties. Cette période probatoire est obligatoire lorsque le prêt de main-d'½uvre entraîne la modification d'un élément essentiel du contrat de travail. » 

Ces conventions constituent, le cas échéant, des conventions réglementées au sens donné par le Code de Commerce.

Le statut du salarié pendant sa mise à disposition

L'article L 8241-2 du code de Travail rappelle que « pendant la période de prêt de main-d'½uvre, le contrat de travail qui lie le salarié à l'entreprise prêteuse n'est ni rompu ni suspendu. Le salarié continue d'appartenir au personnel de l'entreprise prêteuse ; il conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il avait exécuté son travail dans l'entreprise prêteuse »

Le salarié prêté continue donc à appartenir au personnel de la société prêteuse, et conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il y avait exécuté son contrat de travail. C'est ainsi que cette période est prise en compte pour le calcul de son ancienneté, de ses droits au DIF, aux congés payés, à la participation des salariés, aux primes de toute sorte, à la couverture sociale conventionnelle, etc.

C'est l'entreprise prêteuse qui verse la rémunération au salarié prêté, et qui supportera, le cas échéant, la charge de la rupture du contrat de travail. Confier la charge du paiement de la rémunération à l'entreprise utilisatrice fait peser très lourdement le risque d'une requalification de la relation entre le salarié prêté et l'entreprise utilisatrice.

La mise à disposition reste sans incidence sur la protection du salarié ayant un mandat représentatif (exemple : délégué du personnel)

Au terme de la période de mise à disposition, le salarié «retrouve son poste de travail dans l'entreprise prêteuse sans que l'évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt ».

Rappelons que le salarié prêté travaille sous l'autorité et sous la responsabilité de la partie utilisatrice.  En effet, bien que l'entreprise prêteuse reste juridiquement l'employeur du salarié prêté, les taches réalisées par ce dernier s'effectuent au service de l'entreprise utilisatrice. C'est donc l'utilisatrice qui oriente le travail du salarié, qui lui donne ses directives et qui contrôle le travail effectué.

Toutefois, le pouvoir disciplinaire appartient à l'entreprise prêteuse, et tout aménagement conventionnel (bien qu'envisageable) est à mon sens à proscrire (afin notamment d'éviter une requalification de la relation de travail entre l'utilisatrice et le salarié prêté).

Les sanctions

Le non respect de la loi CHERPION peut entraîner la mise en cause de la responsabilité pénale des parties concernées au titre de deux délits :

  • Le délit de marchandage - Article 8231-1 du Code de travail.
  • La réalisation des opérations de prêt de main d'½uvre illicites (à but lucratif).

Ces deux infractions sont punies d'une peine d'emprisonnement de 2 ans, et d'une amende pouvant aller jusqu'à 30 000¤.