Suite au redressement d'un client, concessionnaire automobile, pour mauvaise application du régime de la marge, un cabinet oppose une clause des conditions générales de vente prescrivant toute action en dommages et intérêts au-delà de 3 mois.
Des CGV annexées à la lettre de mission mais non signées sont-elles valables ? Quel contrôle basique mettre en place sur les dossiers de ce secteur d'activité ? Réponse avec un jugement de la Cour d'appel de Nîmes.
Contexte
Une entreprise de négoce en véhicules d'occasion est redressée par l'administration fiscale à hauteur de 177 182¤ au titre de la TVA (dont 89 928¤ d'intérêts et de majoration), pour mauvaise application du régime des mandataires transparents. Elle ne facturait en effet qu'une commission, alors qu'elle réglait aux fournisseurs la totalité du prix d'achat des véhicules et encaissait l'intégralité du prix de vente auprès de ses clients.
Suite à ce redressement, l'entreprise engage la responsabilité de son expert-comptable devant les tribunaux (Cour d'appel de Nîmes, 4e chambre commerciale, 26 nov. 2020, n° 18/04378).
L'expert-comptable se défend d'abord en soutenant que l'action en dommages et intérêts est prescrite, les conditions générales annexées à la lettre de mission prévoyant un délai contractuel de 3 mois pour mettre en cause sa responsabilité.
Il conteste par ailleurs tout manquement professionnel en rapport avec ce redressement, « sa mission ne constituant ni un audit, ni un examen limité des comptes, ni une mission de commissariat aux comptes ».
Fautes
Absence d'acceptation formelle des CGV
Bien que la lettre de mission précise que les conditions générales et financières sont jointes au contrat, la Cour d'appel relève que ces conditions sont « non signées et non paraphées » et qu'il n'y a donc « aucune preuve de l'acceptation de la clause litigieuse par [l'entreprise]. Cette clause lui est par conséquent inopposable ».
Mauvaise application du régime de mandataire transparent
Pour le tribunal, « la facturation d'une commission au lieu d'une vente de véhicule, associée à une présentation comptable par un compte de tiers » a permis d'échapper à la TVA sur le prix de vente des véhicules. La lettre de mission signée par la société concessionnaire incluant la tenue de comptabilité et l'établissement des déclarations fiscales, la Cour indique que :
« [le professionnel] a vu les anomalies ou, s'il ne les a pas vues, n'a alors fait aucun état de rapprochement entre les écritures comptables et les écritures bancaires. Il a donc présenté des comptes faux que sa qualification professionnelle lui imposait de voir. [...]
En tout état de cause, tenue d'une obligation de moyen, elle ne justifie aucunement d'avoir conseillé son client de présenter une comptabilité conforme à la réalité des pièces de comptabilité, de l'avoir avisée des conséquences encourues et, au besoin, de refuser de poursuivre la mission qui lui avait été confiée. [...]
La SARL [...] a donc failli à son obligation de moyen et sa responsabilité contractuelle vis à vis de son client est susceptible d'être engagée ».
Sanctions
Le jugement écarte le remboursement du principal et des intérêts par le cabinet, « qui ne résulte[nt] pas de l'évaluation d'un préjudice mais d'une obligation faite en son temps à la société [...] de payer un impôt dont elle devait s'acquitter. »
L'expert-comptable est toutefois condamné à rembourser les majorations, à hauteur de 79 204¤ au titre du préjudice subi par la société.
Bonnes pratiques
Faire signer et parapher les conditions générales de vente au client.
Mettre en place des procédures de contrôle supplémentaires pour détecter la mauvaise application du régime de la marge. L'encaissement du prix total de vente et le décaissement du prix total d'achat doivent alerter.
Au sommaire du dossier
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Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.
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