Report de la réforme de la facturation électronique : l'analyse de la FNFE

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L'ordonnance du 15 septembre 2021 a modifié le calendrier de généralisation de la facture électronique, reportant notamment l'obligation de réception généralisée au 1er juillet 2024 et l'obligation d'émission pour les PME et les TPE au 1er janvier 2026.

Pourquoi ce décalage ? Quelles conclusions en tirer ? Quelles sont les autres dispositions de ce texte qui méritent d'être soulignées ? Cyrille Sautereau, président du Forum national de la facturation électronique et des marchés publics électroniques (FNFE-MPE) répond à nos questions.

L'ordonnance relative à la facturation électronique vient d'être publiée : son contenu vous a-t-il surpris ?

On savait qu'une ordonnance devait fixer le cadre de cette réforme, ses grandes lignes. Il est normal que tout ne soit pas précisé dans cette ordonnance, car beaucoup de choses relèvent du périmètre réglementaire et nécessitent encore des précisions et des concertations. Il faudra donc attendre les décrets d'application et les commentaires administratifs pour cela.

Ce que nous n'avions pas, ce sont les détails relatifs à l'immatriculation des plateformes, ou aux sanctions. Le texte est relativement bienveillant en termes de sanctions, notamment parce qu'il prévoit un plafonnement. Dans le secteur du B2G, la sanction est plus directe : si vous ne respectez pas la procédure de facturation électronique, vous n'êtes pas payé. A ce stade, il n'est pas prévu que l'acheteur privé puisse décider de ne pas payer une facture papier qui devrait être électronique.

La vraie surprise, c'est l'ampleur du report de la réforme. 

Pourquoi selon vous le calendrier est-il décalé de 18 mois ?

On s'attendait à un décalage. Mais d'une année maximum, pas de 18 mois. Certains membres des groupes de travail, et notamment les représentants des grandes entreprises, militaient pour un report important, arguant d'un décalage entre la réalité du terrain et le calendrier initial. Mais il n'ont pas demandé un tel report.

Mon interprétation c'est qu'il reste encore beaucoup de choses à faire avant de pouvoir généraliser la facturation électronique, et que l'administration n'a pas voulu prendre le risque de décaler deux fois cette réforme importante. Par ailleurs, en décalant de 18 mois, on permet à tout l'écosystème de se constituer, aux futures plateformes de se constituer, et donc aux entreprises de faire jouer la concurrence pour choisir le prestataire le plus adapté.

Pour moi, les plateformes devront être mises en place dès 2023, et l'ensemble de la chaîne devra fonctionner dès début 2024, pour que le premier semestre de cette année soit en quelque sorte une phase pilote et d'initialisation car près de 4 millions d'entreprises vont devoir choisir une plateforme de réception, pour un démarrage opérationnel au 1er juillet 2024.

D'ailleurs, si l'on regarde de près le nouveau calendrier, on se rend compte que toutes les étapes ne sont pas décalées de 18 mois. La première [NDLR : c'est à dire l'obligation généralisée de réception et l'obligation d'émission pour les plus grandes entreprises] l'est, mais les ETI entrent dans le système à peine 6 mois plus tard. 

Certains acteurs estiment que ce report fait perdre tout caractère d'urgence, voire remet en cause la réalité de cette réforme à terme : qu'en pensez-vous ?

Ce type d'analyse est notre pire crainte. Ces dernières semaines, dans les groupes de travail avec la DGFiP, nous avons eu un rythme très soutenu, avec beaucoup de sujets à traiter, de problématiques soulevées. Notre peur est de nous retrouver exactement au même point dans un an, parce que la dynamique que nous connaissons actuellement aurait cessé.

La réalité en effet est toute autre : l'ordonnance confirme la réforme, et lui donne un calendrier précis, acté juridiquement. Nous continuons donc à avancer, en souhaitant que les décrets et les commentaires BOFiP arrivent le plus rapidement possible, pour figer encore davantage les prochaines étapes et permettre une mise en oeuvre coordonnée.

Nous avons constaté une réelle prise de conscience ces derniers mois, voire ces dernières semaines, à l'approche de l'échéance. Il ne faut pas laisser retomber ce mouvement, et profiter au contraire de ces mois supplémentaires pour travailler sur certains aspects qui n'étaient pas encore totalement clarifiés. Je pense en particulier à l'articulation entre Plateformes de dématérialisations partenaires et Portail public de facturation, ainsi qu'à l'interopérabilité au sein de cet écosystème. En d'autres termes, il ne faut surtout pas relâcher la pression : nous avons le droit de réfléchir un peu plus longtemps, c'est tout.

Quel est votre regard sur la durée d'agrément des plateformes privées, fixée à 3 ans ?

Il n'est pas étonnant qu'une durée d'agrément renouvelable soit prévue, compte tenu des enjeux. Par contre, on ne sait pas encore qui auditera les plateformes, ni quand. L'audit aura-t-il lieu dans les 12 mois de l'immatriculation ? Ou de la mise en production ? Avec des flux réels, ou préalablement à la mise en service ? Là encore, le plus important est que la règle soit rapidement connue, pour que tous les acteurs puissent se positionner. Il faut qu'il y ait un mécanisme d'audit, avec un périmètre clair, et des méthodes partagées, pour éviter tout risque d'audit de complaisance.

Comment les plateformes de factures électroniques vont-elles se différencier les unes des autres ?

Toutes les plateformes doivent pouvoir traiter un cycle de facturation standard, et acheminer une facture du fournisseur au client, via une autre plateforme si nécessaire. Mais on peut imaginer des statuts partagés, qui permettent d'en savoir davantage sur chaque facture : est-elle acceptée ou refusée par le client, la marchandise est-elle reçue, le règlement validé ? Aujourd'hui, les acteurs du marché savent afficher ces statuts lorsqu'ils ont à la fois sur leur plateforme le client et le fournisseur. Demain, les différentes plateformes vont devoir communiquer entre elles ces informations.

Ensuite, certaines plateformes pourront se différencier en allant au-delà, en proposant d'autres services, comme le refinancement de factures clients ou des systèmes de paiement de factures fournisseurs par exemple.

Quelles sont les toutes prochaines étapes de la réforme ?

Nous attendions des spécifications précises, produites par l'AIFE pour fin septembre. Cela devrait inclure des précisions sur les données exigées, les formats, le cycle de vie et les statuts, les exigences pour les plateformes, les grandes fonctions du portail public de facturation, et les modalités d'interconnexion. Il est possible que cela se décale de quelques jours / semaines, espérons pas au-delà de mi-octobre. Ce sera aussi une bonne façon de voir si le rythme reste soutenu, ce qui reste le cas aujourd'hui dans les intentions.

Dans l'idéal, il faudrait ensuite que les décrets, arrêtés et BOFiP soient publiés au cours du 1er trimestre 2022. Tout l'écosystème a désormais besoin de visibilité, et le plus tôt sera le mieux.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.