RECIT, le mouvement d'Alexandre Salas-Gordo, démarre sa campagne

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Candidat à la présidence du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables il y a quelques mois encore, Alexandre Salas-Gordo a quitté son syndicat et a récemment fondé RECIT, un nouveau mouvement pour défendre les intérêts des experts-comptables.

Son objectif : faire entendre la voix de tous les cabinets, notamment les non syndiqués, et ce quelle que soit leur taille.

Quel est le positionnement de RECIT face aux syndicats historiques (ECF, IFEC) ou à certaines associations de cabinets (F3P, FCI) ?

RECIT est un rassemblement d'experts-comptables, mais aussi un mouvement de pensées avec une vocation politique affichée. Pour être tout à fait clair, notre but est de présenter des listes aux élections ordinales dès cette année.

On constate un essoufflement des syndicats traditionnels, qui se neutralisent et créent un sentiment d'immobilisme dans la profession. Nous souhaitons donc proposer une alternative, pour porter la voix de tous les cabinets. Seulement 4 000 ou 5 000 confrères sont syndiqués. Il en reste donc plus de 15 000 dont la voix n'est pas représentée, et nous voulons combler ce manque.

Ce positionnement politique assumé ne nous place pas sur le même terrain que les associations de cabinets F3P et FCI [NDLR: respectivement la Fédération française des firmes pluridisciplinaires et la Fédération des cabinets intermédiaires].

Ceci dit, je constate que les 7 plus grands cabinets internationaux (F3P) et les 250 suivants (FCI), sont en capacité de se réunir dans des structures pour défendre leurs intérêts, alors que les plus petits cabinets ne disposent pas de tels relais. RECIT vise aussi ceux-là.

Quel est le constat qui vous a amené à la création de RECIT ?

Mes fonctions d'expert-comptable libéral et de président du Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables d'Aquitaine m'amènent naturellement à rencontrer de nombreux confrères. Au cours de ces nombreux échanges, j'ai pu vérifier que nombre de mes constats personnels étaient partagés :

  • une absence médiatique et d'influence auprès des autorités publiques, entraînant un manque de reconnaissance et une sur-réglementation croissante ;
  • un déficit d'attractivité, qui se traduit par d'importantes difficultés de recrutement et de renouvellement de notre profession ;
  • une tendance à la concentration de notre profession qui renforce les acteurs internationaux omnipotents au détriment de notre exercice traditionnel de moins en moins représenté.

Pour lutter contre cette situation, nous proposons de concentrer nos actions autour de quatre axes principaux :

  • défendre le haut niveau et la qualité de notre diplôme, gage de notre expertise et de notre compétence ;
  • adopter une posture ferme en toutes circonstances et notamment dans nos échanges avec notre tutelle pour que nos observations légitimes et pertinentes soient prises en compte dans la production des textes qui sont adoptés ;
  • favoriser l'attractivité de la profession en la positionnant de façon moderne, dynamique et respectueuse sur l'ensemble des territoires ; 
  • défendre l'expertise comptable, refuser le rapprochement de l'audit et du conseil, en nous opposant coûte que coûte à la fusion des institutions pour préserver notre indépendance d'esprit et la valeur ajoutée de nos métiers.

Votre attachement au DEC signifie-t-elle que vous vous opposez à toute réforme ?

Pas du tout, je pense au contraire que le diplôme d'expertise comptable (DEC) doit être adapté, pour mieux correspondre aux attentes du marché. Mais je suis farouchement opposé à certaines réflexions en cours, qui voudraient rendre plus accessible ce diplôme, et donc le dévaloriser, pour résoudre la question de l'attractivité. Là encore, cette mesure répondrait uniquement aux besoins d'une minorité, celle des réseaux de cabinets les plus importants, qui connaissent une pénurie de signataires.

Pour ma part, je pense au contraire que le DEC doit rester un diplôme d'excellence, de très haut niveau. Si on veut que les experts-comptables restent les interlocuteurs privilégiés des dirigeants et apportent toujours plus de valeur ajoutée, il faut maintenir un niveau de compétences techniques et comportementales également élevé. Je milite aussi pour la défense et la valorisation du DEC à un niveau bac +8.

En quoi la sur-réglementation est-elle un risque pour la profession ?

La crise sanitaire que nous traversons a révélé au grand public certaines défaillances d'une administration omniprésente, très bureaucratique, et parfois rigide. Mais nous connaissons cela depuis bien plus longtemps dans nos cabinets, avec un foisonnement de normes et de contraintes, et un empilement de procédures qui rendent notre exercice de plus en plus difficile.

Nous sommes une profession d'intérêt public, il est donc normal de contribuer au bon fonctionnement de l'économie en appliquant des standards de qualité élevés. Mais cette réglementation semble disproportionnée par rapport à certains segments de notre marché. De mon point de vue, de nouvelles contraintes ne sont acceptables que si elles apportent une nouvelle valeur ajoutée à nos clients ou à la collectivité. Il nous faut sortir de cette logique bureaucratique, en décalage avec la plupart de nos dossiers.

Le risque, c'est de voir rejouer en expertise comptable le scénario qu'a connu l'audit ces dernières années. Une réglementation excessive, des normes trop contraignantes et surtout déconnectées de la réalité d'une partie du marché, ont entraîné par effet de levier la disparition pure et simple du commissariat dans les TPE/PME. Ne commettons pas la même erreur avec l'expertise comptable !

Pourquoi êtes-vous opposé au rapprochement de l'audit et conseil ?

Pour moi, il s'agit d'une mauvaise nouvelle pour la profession, et même d'une menace pour l'expertise comptable. Le rapprochement de l'audit et du conseil ne favorise qu'une petite partie de la profession, et notamment les cabinets les plus importants. Ce « décloisonnement », à l'encontre de nos valeurs d'indépendance, va créer de nouveaux risques chez nos clients et des tensions sur le marché, en aggravant la concurrence.

Je me souviens d'une époque pas si lointaine où on enseignait les méfaits du « commissariat élargi », en citant en contre-exemple les cabinets peu scrupuleux qui proposaient des missions annexes aux entités dont ils certifiaient les comptes. Avec cette réforme, ces pratiques ne sont plus dénoncées : elles sont au contraire devenues possibles, voire encouragées.

Je suis par ailleurs opposé à une fusion qui ne dit pas son nom, celle de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables. On le voit, le rapprochement est lancé : locaux communs, secrétaire général commun,... pour ma part je suis pour une séparation nette de ces deux professions. La finalité de la mission de l'expert-comptable est intrinsèquement différente de celle du commissaire aux comptes.

Que pensez-vous du fonctionnement actuel des institutions ? 

Le Conseil supérieur dispose de très nombreuses compétences, notamment grâce aux permanents et délivre des services d'excellente qualité à la profession. C'est un très bel outil, avec un potentiel énorme.

Toutefois, sur le plan politique, je trouve l'institution faible dans la défense de certains sujets importants face à notre tutelle. Il est vrai que de nombreux corps de métiers se plaignent de difficultés de communication avec les pouvoirs publics, comme récemment les professionnels de santé, ou les infirmiers. Mais je trouve malgré tout notre profession trop discrète, trop conciliante avec Bercy. De nombreux confrères ont relevé l'absence de reconnaissance publique du gouvernement suite au travail accompli en période de crise sanitaire. Alors que dans le même temps, on a beaucoup compté sur nous pour déployer les dispositifs mis en place. Il est normal que nous répondions présent, c'est notre responsabilité, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la reconnaissance de la profession et de la prise en compte de nos propositions.

Quel doit être selon vous l'évolution de l'offre des cabinets ? Missions de conseil ponctuelles à haute valeur ajoutée ou missions d'accompagnement récurrentes ?

Je pense que les deux approches peuvent coexister. Mais encore une fois, il faut regarder combien de professionnels sont concernés. Faire du conseil de haut niveau c'est évidemment très attractif, mais la demande n'est pas universelle : elle provient d'entreprises qui ont à la fois une capacité financière et des besoins spécifiques.

L'essentiel des cabinets sont structurés autour d'un modèle de chiffre d'affaires récurrent, et ils auront besoin que ce modèle soit maintenu, quitte à le faire évoluer. La mise en place de missions d'accompagnement récurrentes correspond donc davantage à la plupart des cabinets.

Globalement, je ne suis pas inquiet pour l'avenir de la profession. Malheureusement, la tendance générale est à la complexification de notre environnement économique, réglementaire. Les dirigeants d'entreprise auront donc de plus en plus besoin d'un interlocuteur neutre, indépendant, et compétent.

Quel regard portez-vous sur l'organisation des prochaines élections à la CNCC ?

Avant tout, je tiens à rappeler que RECIT n'a pas vocation à déposer des listes pour les élections à la Compagnie. Notre projet porte uniquement sur l'expertise comptable. Ceci dit la mise en place de collèges d'électeurs est pour moi scandaleuse et antidémocratique. Ce système est fait pour garantir la majorité des voix à une petite fraction de la population des commissaires aux comptes.

Pourquoi créer des collèges et donner plus de poids à une certaine catégorie de confrères ? Considère-t-on qu'il y a, en quelque sorte, des sous-professionnels ? Ou que nous n'exerçons pas tous le même métier ? Si c'est le cas, autant l'annoncer clairement. Pour ma part, je suis attaché à un principe simple : « un homme, une voix ».

Que pensez-vous de la reconnaissance des compétences spécialisées, qui vient d'être mise en place en pratique ?

La reconnaissance des spécialités est une bonne chose pour les cabinets, quand elle permet de décrocher de nouvelles missions, ou de conquérir de nouveaux marchés. Elle présente aussi un intérêt pour les entreprises qui souhaitent s'attacher les services de professionnels connaissant parfaitement leur secteur d'activité. Nous recevons d'ailleurs régulièrement au Conseil régional de l'Ordre des demandes d'entreprises de ce type, et cette réforme permet d'y répondre de manière plus efficace. Mais n'inversons pas les rôles : c'est à nous d'adapter nos compétences aux besoins des clients, pas l'inverse.

Ceci dit, le paysage des cabinets français ne peut pas être uniquement constitué de spécialistes. L'existence de cabinets généralistes, présents au plus près des entreprises dans les territoires, répond aussi à un besoin fort de certains clients. Il faut donc également veiller à valoriser ces cabinets, essentiels pour la profession et pour l'économie.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les listes qui seront présentées lors des prochaines élections ? Avez-vous des noms ou des chiffres à nous annoncer ? 

Pas à ce stade. Nous sommes toujours en phase de constitution de ces listes, et nous communiquerons plus précisément le moment venu. Les règles électorales actuelles, avec un scrutin de liste, favorisent les équilibres instaurés, il y a donc beaucoup de travail devant nous.

Mais nous avons bien évidemment déjà reçu des candidatures. Concrètement, pour être présents dès cette année au niveau national, nous devons rassembler 40 candidats et 7 personnes pour la réserve soit 47 personnes dans le respect des règles de parité. Bien entendu, on peut également imaginer être présents au niveau régional, dès cette année. En Nouvelle Aquitaine par exemple, ce sont 36 candidats et 6 personnes pour la réserve soit 42 personnes dans le respect des mêmes règles.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.