Pourquoi les élus régionaux de la CRCC de Lyon ont démissionné de la CNCC

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Les compagnies régionales des commissaires aux comptes ou CRCC, membres du collectif CAC en mouvement défendent la mission d'intérêt général que les commissaires aux comptes exercent depuis plus de 150 ans. Elles sont contre la vision plus anglo-saxonne d'une mission optionnelle.

C'est un moyen de faire entendre la voix des présidents de CRCC qui n'ont pas pu prendre part de manière active aux discussions avec le gouvernement au sujet de l'article 9 de la loi PACTE.

Témoignage d'Olivier Arthaud, président de la CRCC de Lyon.

« Un conseil national de la CNCC dont le fonctionnement pose problème en temps de crise »

La Compagnie nationale des commissaires aux comptes ou CNCC est composée d'un bureau national et d'un conseil national, équivalent de l'Assemblée générale des sociétés et associations.

Les textes réglementaires « prévoient que le conseil national, qui se réunit tous les deux mois prenne les décisions qui seront ensuite appliquées par le bureau » précise Olivier Arthaud, président de la CRCC de Lyon.

« Ce fonctionnement est inversé depuis de nombreuses années et le bureau national (et son président) prend les décisions pour le conseil national qui se transforme en chambre d'enregistrement ». Or, si cela « ne pose pas de problème en temps normal, en temps de crise, il en va tout autrement ».

Car dans le cadre de la loi PACTE, « ni le conseil national, ni les présidents des 33 CRCC n'ont eu l'occasion de prendre part aux décisions, les discussions avec les ministères et les décisions prises pour la profession n'ont pas été soumises au vote préalable du conseil national ».

« Ce fonctionnement interne de la CNCC » est en partie « à l'origine du collectif CAC en mouvement » qui regroupe 17 CRCC soit la majorité d'entre elles.

« Un texte de loi qui va faire disparaître l'essentiel des cabinets indépendants »

Les commissaires aux comptes font désormais « face à un gouvernement qui n'a pas compris leur mission ». Le CAC est le « garant de la sécurité financière », il n'intervient pas que pour son client, l'entité auditée, mais « pour toutes les parties prenantes », ses clients, ses fournisseurs, ses investisseurs, ses banques...

« Nous devons remettre les choses à plat et essayer de comprendre pourquoi le gouvernement a souhaité tuer une partie de la profession de commissaires aux comptes ». Car le mandat de six exercices ne devait pas permettre aux commissaires aux comptes de toucher une rente. Il devait « permettre d'assurer l'indépendance du professionnel par rapport à l'entité auditée », surtout lorsque « cela se passe mal » et que le risque d'alerte se fait sentir. Pour mémoire, « le commissaire aux comptes n'a pas le droit de démissionner ».

La solution acceptable « aurait été de remonter le seuil à 4 millions d'euros et de refaire le point dans 3 ou 4 ans ». Les missions optionnelles et les attestations des commissaires aux comptes « sont une fausse réponse économique à la problématique de perte du chiffre d'affaires ». La mission d'intérêt général « ne peut pas se remplacer par des missions de prestataire classique optionnelles, l'essentiel des petits cabinets indépendants va disparaître » estime encore Olivier Arthaud.

« La démission des représentants de la CRCC de Lyon au sein du Conseil national est un message »

La démission des 5 représentants de la CRCC de Lyon au sein du Conseil national n'aura pas d'incidence sur le fonctionnement de la CNCC. « C'est surtout un message que nous avons souhaité envoyer à la profession, notamment parce que nos confrères, sur le terrain, ne sont pas au courant de ce mode de fonctionnement dans lequel les présidents de CRCC n'ont aucun pouvoir » précise Olivier Arthaud.

Que se passera-t-il si d'autres CRCC décidaient de suivre cet exemple ? « Si la moitié des 83 membres du Conseil national décidaient de démissionner, se poserait le problème du quorum » conclut Olivier Arthaud. Les élections au sein de la CNCC, initialement prévues en octobre 2018 seraient-elles toujours repoussées de 18 mois ? La question mérite d'être posée.

Lire le billet d'Olivier Arthaud sur Linkedin (02/10/2018) : « Nous disons tout haut ce que tout le monde pense tout bas ! »

Discours d'Olivier Arthaud aux universités d'été de CRCC de Lyon (28/09/2018)

Madame le Président du H3C,

Monsieur le Vice-Président de la CNCC,

Chers élus de la CRCC de Lyon,

Chers Cons½urs, chers Confrères,

C'est la quatrième Assemblée Générale que je préside devant vous et je ne vous le cache pas : c'est de loin la plus désagréable !

En effet, malgré toute l'énergie que mes élus et moi-même avons mise dans le combat qui nous oppose à Bruno Le Maire depuis bientôt un an, nous n'avons pas réussi à lui faire prendre conscience de l'énorme bêtise qu'il est en train de commettre avec la loi PACTE et son article 9.

C'est donc avec beaucoup de tristesse, de déception, et même d'éc½urement, que je clôture cette Assemblée Générale en plein c½ur des débats parlementaires que nous avons évoqué tout à l'heure et dont le ton est tout simplement inadmissible, violent, scandaleux et irrespectueux envers une profession de justice qui existe depuis plus de 150 ans.

Annoncer fièrement aux entreprises qu'avec l'économie des honoraires du CAC, elles sont pouvoir embaucher me rend triste car c'est un mensonge. Cela représente 11¤ par jour net d'impôt. Vous croyez vraiment qu'une entreprise va pouvoir embaucher avec ça ? C'est de l'enfumage...

Ce qui est le plus agaçant et désespérant dans cette histoire, c'est d'avoir la certitude que notre métier est particulièrement pertinent et utile, mais que personne n'en a vraiment compris les subtilités.

Quand j'entends de la bouche des chefs d'entreprises, du MEDEF, de la CPME et des politiques et même des élus de la CNCC que le problème du relèvement des seuils provient du fait que le commissaire aux comptes n'apporte pas assez de Valeur ajoutée à l'entité qu'il audite, je suis triste !

Je suis triste car c'est le concept même d'une mission d'intérêt général qui n'est pas compris. Le commissaire aux comptes n'intervient pas en priorité pour l'entité qu'il audite. Il intervient pour toutes les parties prenantes de cette entité : les clients et fournisseurs qui contractent avec elle, les banquiers qui lui prêtent, les salariés, les actionnaires minoritaires, les organismes sociaux, l'administration fiscale...

Le commissaire aux comptes intervient pour que toutes ces parties prenantes soient sécurisées par rapport aux engagements qu'elles ont avec cette entité. La valeur ajoutée du CAC est donc indirecte mais certainement pas mesurable uniquement par l'entité comme n'importe quel autre prestataire. Ceux qui n'ont pas compris ça n'ont rien compris !

Quand j'entends depuis des mois que le mandat de 6 exercices est trop long car cela nous met dans une position de rentier, de nanti, je suis triste. Je suis triste car c'est nier le principe même d'indépendance indispensable à toute mission d'intérêt général et à toute profession de justice. On ne peut pas être indépendant si nous n'avons pas la sécurité d'un mandat de plusieurs exercices qui nous interdit de démissionner notamment dans les situations à risque. Ceux qui n'ont pas compris ça, n'ont rien compris !

Quand j'entends de la bouche de nos élus qu'il faut inventer une mission allégée en supprimer la révélation de faits délictueux et l'alerte, je suis triste. Je suis triste car c'est vouloir s'écarter de notre mission de justice pour devenir un simple prestataire à l'image du concept anglo-saxon de l'audit.

Quand j'entends de la bouche même de nos élus de la CNCC qu'il faut proposer une mission de réviseur légal optionnelle, je suis triste. L'intérêt général ne peut pas être optionnel. La justice ne peut pas être optionnelle ! Ceux qui n'ont pas compris ça, n'ont rien compris !

Alors oui je suis triste, pour notre profession bien évidement.

Vous le savez, nous avons déjà dénoncé à Lyon à plusieurs reprises le mode de gouvernance opaque de la CNCC dont la majorité du Bureau National est composé d'associés de firmes internationales d'audit.

Aucun des axes de défense de la CNCC n'a été ni partagé, ni soumis aux élus du conseil national. Il n'y a eu aucun vote en conseil national sur la loi PACTE depuis des mois, aucune consultation. Autrement dit, seul le bureau de la CNCC et son Président ont géré les discussions avec les ministères et fait des propositions sans même consulter ni les Présidents de CRCC, ni les élus et encore moins les confrères de terrain.

C'est tout simplement inadmissible. C'est la raison pour laquelle nous avons été contraints avec d'autres Présidents de CRCC à créer un collectif de 17 présidents de CRCC « CAC en mouvement » pour se donner les moyens de défendre nos confrères. C'est absolument inadmissible d'avoir été condamnés de se défendre seuls avec nos propres moyens en payant avec nos ressources des cabinets de lobbying pour nous défendre correctement et surtout honnêtement !

Nous ne voulions pas nous désolidariser de la CNCC pendant cette période de combat pour ne pas affaiblir la profession, mais aujourd'hui, nous n'avons plus le choix je vous l'annonce : tous les élus de la CRCC de Lyon démissionnent aujourd'hui, 28 septembre, du conseil national. Nous nous désolidarisons de la CNCC que nous considérons responsable de la situation dans laquelle nos confrères se trouvent du fait de leur incompétence, voire de leur complicité.

Nous ne baisserons jamais les armes face à tant de malhonnêteté.

Je vous remercie.



Sandra Schmidt
Rédactrice sur Compta Online de 2014 à 2022, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.